Déprimé(e)s de Dieu

June 20, 2017 | Autor: Luca Marulli | Categoria: Religion, Depression, Faith and Reason, Faith and Depression, Personality, Resilience
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“Déprimé(e)s de Dieu“, Signes des Temps, mai 2014 Une chose est la dépression clinique, autre est le « coup de cafard » ou déprime : ces quelques lignes veulent simplement apporter une parole d’Évangile en complément au travail irremplaçable des psychothérapeutes, en le valorisant davantage par l’introduction d’une dimension spirituelle. Puisque les thérapeutes restent unanimes sur le fait qu’un sentiment refoulé ne peut être guéri, nous ne pouvons que remercier l’évangéliste Marc de nous renseigner sur le ressenti des femmes qui vont au tombeau pour embaumer Jésus et, ne le trouvant pas, sont saisies de crainte au point d’en perdre la parole : « les femmes sortent de la tombe et partent en courant. Elles tremblent, elles sont bouleversées, et elles ne disent rien à personne, parce qu'elles ont peur »1. Exprimer la crainte et l’angoisse, après tout, c’est le premier pas vers leur dépassement. Ces femmes subissent un changement d’humeur, mais aussi un changement dans leur manière de penser et d’interpréter la réalité : elles entrent bien motivées dans un lieu de mort après avoir quitté le marché, lieu de vie par excellence2, pour ensuite en sortir et réintégrer le monde des vivants, mais bouleversées et effrayées. Aaron Beck, un des principaux fondateurs de la thérapie comportementale et cognitive, élabore une liste des pensées négatives qui affligent les personnes déprimées et même dépressives : opinion négative sur soi-même, autocritique et auto-condamnation, interprétation systématiquement négative des événements, attentes négatives concernant le futur, exagération des difficultés et des responsabilités. Peut-être les femmes au tombeau ont bel et bien eu leur « coup de cafard ». Un des problèmes majeurs est l’interprétation faussée de la réalité, l’évaluation négative et exagérée des événements, qui provoque inévitablement des sentiments douloureux d’incongruité, d’insuffisance, de désespoir. Mais c’est justement là le cœur de l’évangile : encourager toute personne à appréhender la complexité du réel sans le réduire à des approximations simplistes ou foncièrement négatives. Il y a dans la foi, comme dans la nature, quelque chose qui nous rassure, et qui nous trouble. Une délicate pelouse verte, un charmant lagon bleu… ou un arbre estropié par la foudre, des nuages sinistres dans un ciel menaçant. Nous sommes apaisés par la pureté de Jésus, son pardon, sa douceur. En revanche, son absence, la croix, l’échec des disciples (qui est aussi le nôtre), la peur des femmes au tombeau nous effraient. Deux sentiments éternels en 1

Voir dans la Bible Marc 16.8, version Parole de vie. Cf. Marc 16.1 : « Lorsque le sabbat fut passé, Marie-Madeleine, Marie, mère de Jacques, et Salomé achetèrent des aromates, pour venir l'embaumer » (version NBS). Le verbe « acheter », en grec, est « agorazô », qui vient du substantif « agora », place du marché. 2

lutte perpétuelle : d’un côté la recherche de l’ordre et de la sérénité, de l’autre la fascination pour l’inconnu et la nouveauté, qui est, au fond, dés-ordre, car toute véritable nouveauté met en crise l’ordre établi. C’est à l’intérieur de cette lutte qu’habite l’être humain. Nous voulons atteindre la paix et l’ordre par des règles, des explications claires et satisfaisantes, par des structures rigides et rassurantes. Mais nous sentons que cela n’est pas suffisant pour saisir le sens ultime des choses, et de nous-mêmes. Le sens ultime, vrai et profond, reste un éternel mystère. La peur, l’angoisse, la frayeur sont causées par la terreur que tout être humain éprouve devant l’impossibilité de résoudre ce mystère. Nous sommes destinés à fluctuer entre la recherche de l’impossible harmonie parfaite et le désir d’abandonner la quête elle-même. Ceci nous aide à comprendre l’écart entre la création et le Créateur, entre l’être humain et Dieu, qui est le sens ultime des choses et des êtres. L’évangile nous aide à accepter la tension entre ordre et désordre, entre sérénité et nouveauté. Il s’agit de donner la possibilité à tout homme et à toute femme de se valoriser, de se redimensionner aussi, de s’étonner encore devant un vide qui tout à coup prend un sens jusqu’alors inimaginable. Il s’agit de se donner le temps de mener un rude combat qui ne nous laisse pas indifférents. Tous – et certains plus que d’autres – en sont affectés. Ce combat nous rappelle la précarité de la condition humaine, la souffrance au cœur même de l’amour, le désespoir qui peut habiter l’espérance. Nous n’aimons pas cela : nous qui avons fait du succès, de la réussite et de la bonne santé une obsession, un dieu. Nous voulons vaincre toujours et de toute façon. Nous avons relégués la mort, comme la maladie et la précarité, à des espaces cachés. Nous voulons vivre le mirage du succès et pour ce faire, il nous est devenu difficile de regarder avec noblesse d’esprit nos blessures, notre vulnérabilité, sans parler de celles des autres. Pourtant, pour Dieu, cette vulnérabilité est précieuse, elle fait partie de la vie, de notre vie. Elle ne nous disqualifie ni aux yeux de notre Créateur, ni aux yeux de ses enfants. Dieu, en Jésus, frissonne, pleure, et éprouve ce que tout être humain ressent face à la désespérance. Il souffre de notre absence, tout comme Jésus souffrait de l’absence de Lazare qui n’était plus. Mais Jésus-Christ est source de salut et de vie : toute pathologie ou déprime, grâce à cette rencontre avec le Dieu aimant, devient de ce fait « non mortelle ». Au fond, si l’annonce du tombeau vide et du Christ victorieux sur la mort est arrivée jusqu’à nous, nous le devons en grande partie à ces femmes tremblantes et angoissées. Luca Marulli

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