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ANNFAR-4664; No. of Pages 7 Annales Franc¸aises d’Anesthe´sie et de Re´animation xxx (2011) xxx–xxx
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www.sciencedirect.com
Article original
Analge´sie pe´ridurale pour le traitement chirurgical des carcinoses pe´ritone´ales : une pratique a` risque ? Epidural analgesia for surgical treatment of peritoneal carcinomatosis: A risky technique? F.-P. Desgranges a,*,b, A. Steghens b, H. Rosay a, P. Me´eus c, A. Stoian a, A.-L. Daunizeau a, S. Pouderoux-Martin a, V. Piriou b a
De´partement d’anesthe´sie-re´animation, centre re´gional de lutte contre le cancer Le´on-Be´rard, 28, rue Lae¨nnec, 69373 Lyon cedex 08, France De´partement d’anesthe´sie-re´animation, centre hospitalier Lyon-Sud, 165, chemin du Grand-Revoyet, 69495 Pierre-Be´nite cedex, France c De´partement de chirurgie, centre re´gional de lutte contre le cancer Le´on-Be´rard, 28, rue Lae¨nnec, 69373 Lyon cedex 08, France b
I N F O A R T I C L E
R E´ S U M E´
Historique de l’article : Rec¸u le 25 fe´vrier 2011 ˆ t 2011 Accepte´ le 25 aou Disponible sur Internet le xxx
Objectif. – E´tudier les risques d’instabilite´ he´modynamique et la survenue e´ventuelle d’he´matome pe´rime´dullaire, de me´ningite et d’abce`s pe´rime´dullaire lors de l’utilisation de l’analge´sie pe´ridurale pour la chirurgie de cytore´duction tumorale et chimiohyperthermie intrape´ritone´ale (CHIP). Me´thode. – Il s’agit d’une e´tude re´trospective portant sur 35 patients traite´s par CHIP a` l’oxaliplatine ou au cisplatine. Un cathe´ter pe´ridural e´tait introduit avant induction de l’anesthe´sie ge´ne´rale. En postope´ratoire, une administration pe´ridurale continue de ropivacaı¨ne, puis une analge´sie pe´ridurale autocontroˆle´e par le patient e´taient instaure´es. Re´sultats. – Le cathe´ter pe´ridural a e´te´ utilise´ en perope´ratoire avant la CHIP chez 12 patients (34 %) et apre`s la CHIP chez 23 patients (66 %). La dose me´diane de ropivacaı¨ne administre´e en pe´ridural en perope´ratoire e´tait de 40 mg (30–75). Deux patients (6 %) be´ne´ficiaient de noradre´naline en perope´ratoire (de´bit me´dian de 0,325 mg/kg par minute [0,32–0,33]) et quatre patients (11 %) pendant les premie`res 24 heures postope´ratoires. Aucun cas d’he´matome pe´rime´dullaire, de me´ningite ou d’abce`s pe´rime´dullaire n’e´tait constate´. Cinq patients (14 %) pre´sentaient une thrombope´nie ou un taux de prothrombine infe´rieur a` 60 % avant ablation du cathe´ter pe´ridural. Deux patients (6 %) pre´sentaient une leucope´nie avant ablation du cathe´ter. Aucun cas de thrombope´nie ou de trouble d’he´mostase significatif n’e´tait note´ le jour d’ablation du cathe´ter. Conclusion. – Dans cette se´rie limite´e de 35 patients, l’utilisation de l’analge´sie pe´ridurale pour la CHIP n’a pas e´te´ responsable d’instabilite´ he´modynamique majeure, d’he´matome pe´rime´dullaire, de me´ningite et d’abce`s pe´rime´dullaire. La re´alisation d’une CHIP aux sels de platine n’est pas incompatible avec une bonne tole´rance de l’analge´sie pe´ridurale, avec un remplissage vasculaire optimise´ en perope´ratoire et un respect strict des bonnes pratiques de l’anesthe´sie pe´rime´dullaire. ß 2011 Publie´ par Elsevier Masson SAS.
Mots cle´s : Analge´sie pe´ridurale Chimiohyperthermie intrape´ritone´ale Effets secondaires He´matome pe´rime´dullaire He´modynamique Me´ningite Abce`s pe´rime´dullaire
A B S T R A C T
Keywords: Epidural analgesia Hyperthermic intraperitoneal chemotherapy Adverse events Spinal haematoma Haemodynamics Meningitis Epidural abscess
Background. – To study the risks of haemodynamic instability, and the possible occurrence of spinal haematoma, meningitis and epidural abscess when epidural analgesia is performed for cytoreductive surgery and hyperthermic intraperitoneal chemotherapy (HIPEC). Methods. – We retrospectively analyzed the data of 35 patients treated by HIPEC with oxaliplatin or cisplatin. An epidural catheter was inserted before induction of general anaesthesia. Postoperatively, a continuous epidural infusion of ropivacain, then a patient-controlled epidural analgesia were started. Results. – The epidural catheter was used peroperatively before HIPEC in 12 subjects (34%), and after HIPEC in 23 subjects (66%). The median dose of ropivacain given peroperatively in the epidural catheter was 40 mg (30–75). Norepinephrin was used in two subjects (6%) peroperatively (median infusion rate 0.325 mg/kg per minute [0.32–0.33]), and in four subjects (11%) in the postoperative 24 hours. No spinal haematoma, meningitis or epidural abscess were noted. Five subjects (14%) had a thrombopenia or a
* Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (F.-P. Desgranges). 0750-7658/$ – see front matter ß 2011 Publie´ par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.annfar.2011.08.020
Pour citer cet article : Desgranges F-P, et al. Analge´sie pe´ridurale pour le traitement chirurgical des carcinoses pe´ritone´ales : une pratique a` risque ? Ann Fr Anesth Reanim (2011), doi:10.1016/j.annfar.2011.08.020
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prothrombin time less than 60% before catheter removal. Two subjects (6%) had a leukopenia before catheter removal. No thrombopenia or blood coagulation disorders were recorded the day of catheter removal. Conclusion. – In this series of 35 patients, the use of epidural analgesia for HIPEC does not seem to be associated with a worse risk of haemodynamic instability, spinal haematoma, meningitis or epidural abscess. HIPEC with platinum salt is not incompatible with the safety of epidural analgesia, with an optimized fluid management peroperatively and the following of perimedullary anesthesia practice guidelines. ß 2011 Published by Elsevier Masson SAS.
1. Introduction
2. Patients et me´thodes
Longtemps conside´re´e comme stade terminal de la maladie cance´reuse, la carcinose pe´ritone´ale est actuellement accessible, en l’absence d’autre site me´tastatique, a` un traitement chirurgical locore´gional, la chirurgie de cytore´duction tumorale avec chimiohyperthermie intrape´ritone´ale (CHIP). Cette the´rapeutique a montre´ un be´ne´fice en termes de survie chez des patients strictement se´lectionne´s, mais est encore re´serve´e a` des e´quipes spe´cialise´es. Les principales indications de ce traitement sont les carcinoses pe´ritone´ales du cancer colorectal, des tumeurs de l’ovaire, du cancer gastrique et les tumeurs primitives du pe´ritoine (pseudomyxome et me´sothe´liome pe´ritone´al) [1–3]. Apre`s une phase initiale de cytore´duction tumorale, la CHIP, deuxie`me e´tape de l’intervention, consiste en l’instillation intrape´ritone´ale d’agents de chimiothe´rapie, associe´e a` une hyperthermie de la cavite´ abdominale. Le but est l’obtention de hautes concentrations de produits cytotoxiques dans le pe´ritoine, dont l’action est potentialise´e par la tempe´rature, avec des concentrations syste´miques limite´es [2]. Toutefois, cette intervention est greve´e d’un taux de morbidite´ postope´ratoire non ne´gligeable, re´sultant de deux phe´nome`nes : les effets de la manipulation chirurgicale elle-meˆme et les effets toxiques de la chimiothe´rapie, avec une synergie possible entre ces deux composantes. Outre de fre´quentes complications chirurgicales, des complications syste´miques des agents de chimiothe´rapie sont souvent constate´es, notamment la toxicite´ he´matologique et re´nale [2,4–7]. La prise en charge pe´riope´ratoire des patients be´ne´ficiant d’une CHIP est relativement complexe, du fait de la nature agressive de la proce´dure, de la longue dure´e ope´ratoire, du saignement secondaire a` la chirurgie de cytore´duction tumorale et de l’hyperthermie syste´mique secondaire a` la CHIP [2]. A`
2.1. Type d’e´tude et population e´tudie´e
l’heure actuelle, l’analge´sie pe´ridurale s’impose comme technique analge´sique de re´fe´rence en chirurgie abdominale majeure [8–14], mais aucun consensus n’est actuellement disponible concernant la prise en charge de la douleur pe´riope´ratoire dans la CHIP. Certaines e´quipes pre´conisent l’analge´sie pe´ridurale alors que d’autres soulignent les risques potentiels de cette technique [15–17]. L’analge´sie pe´ridurale a montre´ un effet d’e´pargne opioı¨des perope´ratoire et de re´duction de la dure´e de ventilation postope´ratoire dans cette chirurgie [15]. Toutefois, le retentissement he´modynamique de la CHIP est susceptible de potentialiser les effets he´modynamiques de´le´te`res de la pe´ridurale. De plus, des troubles d’he´mostase et diverses cytope´nies sont fre´quents au cours des premiers jours postope´ratoires, augmentant the´oriquement le risque d’he´matome pe´rime´dullaire et de complication infectieuse de cette technique (me´ningite et abce`s pe´rime´dullaire). Le but de notre e´tude e´tait d’appre´cier les risques potentiels de l’analge´sie pe´ridurale dans le traitement chirurgical des carcinoses pe´ritone´ales.
Nous avons recueilli, de manie`re anonyme et re´trospective, les donne´es de 35 patients conse´cutifs traite´s par chirurgie de cytore´duction tumorale et CHIP pour carcinose pe´ritone´ale primitive ou secondaire, depuis juillet 2005 a` avril 2010. Les caracte´ristiques recueillies de la population e´taient le sex-ratio, l’aˆge, la tumeur primitive a` l’origine de la carcinose, ainsi que les comorbidite´s, les traitements a` vise´e cardiovasculaire, les traitements anticoagulants ou antiagre´gants plaquettaires. 2.2. Proce´dure chirurgicale Apre`s exploration comple`te de la cavite´ abdominale, e´tait re´alise´e la premie`re e´tape de l’intervention, la cytore´duction tumorale, consistant en l’exe´re`se de toute tumeur macroscopiquement visible (pe´ritonectomies et exe´re`se des visce`res envahis par la carcinose). L’e´tendue de la re´section, variable d’un patient a` l’autre, de´pendait de la distribution de la maladie. Lorsque la cytore´duction e´tait juge´e comme macroscopiquement satisfaisante, e´tait de´bute´e la CHIP, deuxie`me e´tape de la proce´dure. L’irrigation de la cavite´ abdominale e´tait re´alise´e pour une dure´e de 30 a` 60 minutes, apre`s fermeture de la cavite´ abdominale dans la technique a` abdomen ferme´, ou sans fermeture de la cavite´ abdominale avec brassage direct de la chimiothe´rapie dans la technique ouverte. L’irrigation e´tait re´alise´e a` l’aide d’une solution de se´rum glucose´ 5 % contenant 460 mg/m2 d’oxaliplatine ou 50 a` 75 mg/m2 de cisplatine. Le re´chauffement de la solution d’irrigation e´tait re´alise´ a` l’aide d’une pompe chauffante, afin d’obtenir une hyperthermie intrape´ritone´ale constante. Un monitorage en temps re´el de la tempe´rature intra-abdominale e´tait re´alise´ a` l’aide d’une sonde thermique, avec pour objectif une tempe´rature de 42 8C. La tempe´rature œsophagienne e´tait e´galement mesure´e en continu (Smiths Medical ASD Inc, Rockland, MA, E´tats-Unis). Le drainage de la solution administre´e en dehors de la cavite´ abdominale e´tait re´alise´ a` l’aide d’une pompe centrifuge. Une fois la the´rapie termine´e, les fluides re´siduels e´taient aspire´s hors de l’abdomen. Des anastomoses gastro-intestinales e´taient alors re´alise´es si indique´es. La dure´e d’intervention, la re´alisation d’e´ventuelles anastomoses digestives, la technique utilise´e (abdomen ouvert ou ferme´), l’agent de chimiothe´rapie utilise´ ont e´te´ recueillis. 2.3. Prise en charge anesthe´sique et postope´ratoire Avant induction de l’anesthe´sie ge´ne´rale, les patients e´taient place´s en position assise et un cathe´ter pe´ridural e´tait mis en place (B. Braun, Melsungen, AG, Allemagne), en l’absence de contreindication. Le cathe´ter e´tait inse´re´ sur une longueur de 4 a` 6 cm dans l’espace pe´ridural. L’anesthe´sie ge´ne´rale e´tait ensuite induite par injection intraveineuse de propofol, re´mifentanil et
Pour citer cet article : Desgranges F-P, et al. Analge´sie pe´ridurale pour le traitement chirurgical des carcinoses pe´ritone´ales : une pratique a` risque ? Ann Fr Anesth Reanim (2011), doi:10.1016/j.annfar.2011.08.020
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cisatracurium, et une intubation orotrache´ale e´tait re´alise´e. L’anesthe´sie ge´ne´rale e´tait maintenue par du se´voflurane, du re´mifentanil et du cisatracurium pendant toute la dure´e de l’intervention, la profondeur d’anesthe´sie e´tant adapte´e selon l’index bispectral (TM Monitoring Systems, Aspect medical systems Inc, Norwood, MA, E´tats-Unis). Un cathe´ter arte´riel e´tait mis en place par voie percutane´e (Plastimed, Le Plessis Bouchard, France), et le monitorage he´modynamique e´tait comple´te´ par l’analyse des donne´es du Doppler œsophagien ou l’e´tude des variations respiratoires de l’onde de ple´thysmographie de l’oxyme´trie de pouls par Pleth Variability Index (Masimo Corp., Irvine, CA, E´tats-Unis), a` l’appre´ciation du praticien en charge du patient. Une gestion libe´rale du remplissage vasculaire, e´ventuellement associe´e a` la mise en place d’une administration continue de noradre´naline, guide´e par le monitorage he´modynamique, e´tait re´alise´e. Une dose de charge de ropivacaı¨ne e´tait administre´e dans le cathe´ter pe´ridural soit en perope´ratoire avant la phase de chimiohyperthermie et e´ventuellement suivie d’une infusion continue d’anesthe´sique local a` l’appre´ciation de l’anesthe´siste, soit en postope´ratoire. Les donne´es du bilan entre´es/sorties perope´ratoire (quantite´s de produits sanguins labiles et de solute´s de remplissage vasculaire administre´es en perope´ratoire, diure`se, pertes sanguines, pertes insensibles calcule´es, tempe´rature corporelle maximale) ont e´te´ releve´es. Ont e´galement e´te´ recueillis les difficulte´s techniques lors de la mise en place du cathe´ter pe´ridural, le niveau de ponction et les modalite´s d’utilisation de la pe´ridurale en perope´ratoire (anesthe´sique local et morphinique utilise´s, temps d’induction). L’utilisation e´ventuelle de vasopresseurs en perope´ratoire a e´galement e´te´ documente´e. En postope´ratoire, les patients e´taient admis en unite´ de soins intensifs. L’extubation e´tait re´alise´e dans les premie`res 24 heures postope´ratoires, apre`s arreˆt de la se´dation, re´cupe´ration d’une ventilation spontane´e efficace, normalisation de la tempe´rature corporelle, stabilisation de l’e´tat he´modynamique. Une administration pe´ridurale continue de ropivacaı¨ne 0,2 % e´tait mise en place, avec un de´bit de 4 mL/h en cas d’e´chelle visuelle analogique (EVA) infe´rieure a` 30 mm, de 6 mL/h en cas d’EVA entre 30 et 40 mm, de 8 mL/h en cas d’EVA entre 40 et 50 mm, de 10 mL/h si l’EVA e´tait supe´rieure a` 50 mm. Les patients e´taient ensuite transfe´re´s en service de chirurgie et une analge´sie pe´ridurale autocontroˆle´e par le patient e´tait mise en place, utilisant une solution de ropivacaı¨ne 0,2 % et de sufentanil 0,5 mg/mL, avec des bolus unitaires de 4 mL, un de´bit continu de 4 mL/h, une pe´riode re´fractaire de 20 minutes. Une prophylaxie antithrombotique par une injection de 4000 unite´s d’enoxaparine par jour e´tait mise en place de`s la phase postope´ratoire pre´coce plus de 12 heures apre`s la fin de la chirurgie, en l’absence de syndrome he´morragique ou de contre-indication, poursuivie jusqu’a` de´ambulation. Lorsque le nombre de bolus unitaires quotidiens autoadministre´s e´tait infe´rieur a` 5, l’ablation du cathe´ter pe´ridural e´tait re´alise´e apre`s relais de l’analge´sie par des antalgiques intraveineux, en l’absence de thrombope´nie et de trouble d’he´mostase, avant le huitie`me jour postope´ratoire. L’ablation du cathe´ter e´tait effectue´e plus de 12 heures apre`s la dernie`re injection d’enoxaparine, et au moins 12 heures avant l’injection suivante. Les complications postope´ratoires de la pe´ridurale ou susceptibles d’avoir e´te´ favorise´es par la pe´ridurale ont e´te´ recueillies, a` savoir les e´pisodes d’instabilite´ he´modynamique durant les premie`res 24 heures postope´ratoires (de´finis par un collapsus ne´cessitant recours a` la noradre´naline), et e´ventuels cas d’he´matome pe´rime´dullaire, de me´ningite ou d’abce`s e´pidural avant ablation du cathe´ter pe´ridural. Parmi les facteurs de risque d’he´matome pe´rime´dullaire ont e´te´ rapporte´s les troubles d’he´mostase asymptomatiques de´finis par un taux de prothrombine (TP) infe´rieur a` 60 %, un temps de ce´phaline active´e (TCA) supe´rieur a` 1,5 fois le te´moin et les e´pisodes de
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thrombope´nie avec un taux de plaquettes infe´rieur a` 100 000/ mm3 avant ablation du cathe´ter pe´ridural. Parmi les facteurs de risque d’abce`s pe´rime´dullaire ou de me´ningite ont e´te´ recueillis les e´pisodes de leucope´nie (leucocytes < 4000/mm3) et l’identification e´ventuelle d’un foyer septique avant retrait du cathe´ter. Ont e´te´ e´galement releve´es les transfusions de plasmas frais congele´s ou de concentre´s plaquettaires, et les reprises chirurgicales pendant la dure´e d’utilisation du cathe´ter e´pidural. La dure´e du cathe´te´risme pe´ridural a e´galement e´te´ documente´e, ainsi que les dure´es de se´jour en re´animation et a` l’hoˆpital. Le TP et le taux de plaquettes le jour d’ablation du cathe´ter ont e´galement e´te´ releve´s. 2.4. Analyse statistique Les variables qualitatives e´taient exprime´es en nombre (proportion), les variables quantitatives en me´dianes et espace interquartile [1er quartile–3e quartile]. Les groupes de patients pre´sentant une instabilite´ he´modynamique perope´ratoire (patients ne´cessitant le recours a` la noradre´naline ou a` une dose totale d’e´phe´drine supe´rieure a` 30 mg) ou ne pre´sentant pas d’instabilite´ he´modynamique perope´ratoire ont e´te´ compare´s a` l’aide d’un test non parame´trique de Mann-Whitney pour les variables quantitatives ou d’un test exact de Fisher pour les variables qualitatives. Une valeur de p < 0,05 e´tait conside´re´e comme statistiquement significative. L’analyse statistique a e´te´ re´alise´e graˆce au logiciel GraphPad InStat version 3.00 pour Windows (GraphPad Software, San Diego, CA, E´tats-Unis). 3. Re´sultats 3.1. Caracte´ristiques de la population La population e´tait constitue´e de 35 patients (quatre hommes pour 31 femmes), aˆge´s de 29 a` 67 ans. Deux patients (6 %) pre´sentaient une hypertension arte´rielle traite´e. Aucune autre pathologie cardiovasculaire n’e´tait observe´e. Un patient (3 %) pre´sentait un diabe`te. Aucun patient n’e´tait pre´alablement traite´ par beˆtabloquant, inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine, antagoniste des re´cepteurs de l’angiotensine II, anticoagulant ou antiagre´gant plaquettaire. La tumeur primitive a` l’origine de la carcinose e´tait un carcinome ovarien chez 20 patientes (57 %), un carcinome colique chez dix patients (29 %), une tumeur de l’estomac chez un patient (3 %) et un pseudomyxome pe´ritone´al chez quatre patients (11 %). 3.2. Proce´dure chirurgicale La dure´e ope´ratoire me´diane, entre l’incision et la fermeture chirurgicale, e´tait de sept heures [6–8]. Chez 13 (37 %) patients, l’agent de chimiothe´rapie utilise´ e´tait du cisplatine et chez 22 (63 %) patients, l’agent e´tait de l’oxaliplatine. La technique a` abdomen ferme´ e´tait utilise´e dans 17 proce´dures (49 %) contre 18 (51 %) pour la technique ouverte. Vingt et un patients (60 %) be´ne´ficiaient d’anastomoses digestives. 3.3. Prise en charge anesthe´sique perope´ratoire Les donne´es du bilan des entre´es et sorties perope´ratoires sont regroupe´es dans le Tableau 1. Les pertes insensibles ont e´te´ calcule´es sur la base d’une estimation de 6 a` 8 mL/kg par heure. La tempe´rature corporelle maximale perope´ratoire e´tait de 38,9 8C (38,6–39,4 8C). Le niveau de ponction pour la mise en place du cathe´ter pe´ridural e´tait majoritairement situe´ en position thoracique basse (Fig. 1). Aucune difficulte´ technique lors de la mise en place du cathe´ter pe´ridural n’e´tait a` signaler (bre`che dure-me´rienne,
Pour citer cet article : Desgranges F-P, et al. Analge´sie pe´ridurale pour le traitement chirurgical des carcinoses pe´ritone´ales : une pratique a` risque ? Ann Fr Anesth Reanim (2011), doi:10.1016/j.annfar.2011.08.020
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Tableau 1 Donne´es du bilan entre´es/sorties perope´ratoire. n
Me´diane
1er–3e quartiles
Entre´es Cristalloı¨des (L) Colloı¨des (L) Concentre´s globulaires (poches) Concentre´s plaquettaires (poches) Plasma frais congele´s (poches)
35 28 8 0 2
4,75 1 2 0 3
[4,00–6,00] [0,5–1,0] [2–2] [0–0] [2,5–3,5]
Sorties Diure`se (L) Pertes sanguines (L) Pertes insensibles (L)
35 35 35
0,8 0,2 2,94
[0,58–1,15] [0,1–0,3] [2,28–3,76]
Fig. 1. Niveau de ponction de la pe´ridurale (T : thoracique ; L : lombaire).
ponction he´morragique, test d’aspiration positif, reflux sanguin, dose test positive). Le cathe´ter pe´ridural e´tait utilise´ en perope´ratoire avant la CHIP chez 12 patients (34 %) et apre`s la CHIP chez 23 patients (66 %). L’anesthe´sique local utilise´ e´tait de la ropivacaı¨ne, avec des dilutions variant entre 0,1 et 0,75 %, et la dose me´diane administre´e en pe´ridural e´tait de 40 mg (30–75). Du sufentanil e´tait administre´ en pe´ridural chez dix (45 %) des patients et la dose me´diane utilise´e chez ces patients e´tait de 10 mg [5–10]. Chez les 21 patients (60 %) ayant be´ne´ficie´ d’e´phe´drine en perope´ratoire, la dose me´diane administre´e e´tait de 12 mg (6–24). Deux patients (6 %) ont be´ne´ficie´ de noradre´naline durant la pe´riode perope´ratoire, avec un de´bit me´dian de 0,325 mg/kg par minute (0,32–0,33 mg/kg). L’analyse des facteurs de risque potentiels d’instabilite´ he´modynamique perope´ratoire est re´alise´e (Tableau 2). Ni la technique chirurgicale employe´e (CHIP a` abdomen ferme´ ou ouvert), ni les donne´es chirurgicales (pertes sanguines perope´ratoires et dure´e de la chirurgie) ne sont associe´es de manie`re statistiquement significative avec la survenue d’une instabilite´ he´modynamique perope´ratoire. De meˆme, les modalite´s d’utilisation du cathe´ter pe´ridural (dose de ropivacaı¨ne administre´e en pe´ridural et chronologie d’utilisation du cathe´ter),
la tempe´rature corporelle maximale perope´ratoire et la tumeur a` l’origine de la carcinose ne sont pas des facteurs de risque retrouve´s d’instabilite´ he´modynamique perope´ratoire dans notre e´tude. 3.4. Prise en charge postope´ratoire Les complications postope´ratoires attribuables a` la pe´ridurale ou susceptibles d’eˆtre favorise´es par cette dernie`re, ainsi que leurs facteurs de risque potentiels sont regroupe´s dans le Tableau 3. Aucun patient n’a be´ne´ficie´ de noradre´naline pendant plus de 24 heures. Parmi les patients pre´sentant un sepsis avant ablation du cathe´ter pe´ridural, quatre pre´sentaient une infection urinaire, deux patients pre´sentaient une pneumopathie et un patient pre´sentait une colite pseudomembraneuse. Parmi les patients pre´sentant une thrombope´nie avant arreˆt de l’analge´sie pe´ridurale, le chiffre me´dian des plaquettes e´tait de 74 000/mm3 (72 000– 90 000/mm3). Les patients ayant un TP infe´rieur a` 60 % avaient un TP me´dian de 33 % (33–42 %) et ceux pre´sentant une leucope´nie avaient un taux me´dian de globules blancs de 3,15 (2,8–3,5). Aucun cas de thrombope´nie ou de trouble d’he´mostase significatif n’e´tait note´ le jour d’ablation du cathe´ter. Deux patients (6 %) ont be´ne´ficie´ de la transfusion de concentre´s plaquettaires et de plasma frais congele´s avant ablation du cathe´ter. La dure´e me´diane du cathe´te´risme pe´ridural e´tait de cinq jours [4–6]. Les dure´es de cathe´te´risme pe´ridural sont regroupe´es sur la Fig. 2. La dure´e me´diane de se´jour en re´animation e´tait de trois jours (2–4) et a` l’hoˆpital de 15,5 jours (13–20). Aucun cas de reprise chirurgicale n’a e´te´ observe´ avant ablation du cathe´ter pe´ridural. 4. Discussion Peu de donne´es sont actuellement disponibles concernant la prise en charge anesthe´sique des patients be´ne´ficiant d’une CHIP. Le management pe´riope´ratoire est relativement complexe, du fait de la nature agressive de la proce´dure, de la longue dure´e ope´ratoire, du saignement secondaire a` la chirurgie de cytore´duction tumorale et de l’hyperthermie syste´mique secondaire a` la CHIP [2]. Outre son inte´reˆt dans le controˆle de la douleur, l’analge´sie pe´ridurale a montre´ un be´ne´fice en termes de re´duction des conse´quences du stress chirurgical lors de chirurgies abdominales majeures et est par conse´quent susceptible de s’inte´grer dans un programme de re´habilitation postope´ratoire pre´coce [8–14]. Aucun consensus n’est actuellement disponible concernant la prise en charge de la douleur pe´riope´ratoire dans le cadre de la CHIP. En effet, certaines e´quipes pre´conisent l’analge´sie pe´ridurale alors que d’autres soulignent ses risques potentiels, notamment du fait du retentissement he´modynamique de la CHIP
Tableau 2 Analyse des facteurs de risques potentiels d’instabilite´ he´modynamique perope´ratoire. Instabilite´ he´modynamique perope´ratoire
Chimiohyperthermie « ferme´e », n (%) Chimiohyperthermie « ouverte », n (%) Dure´e de la chirurgie (h) Pertes sanguines perope´ratoires (mL) Tempe´rature maximale perope´ratoire (8 C) Dose de ropivacaine perope´ratoire (mg) Utilisation pre´-CHIP de la pe´ridurale, n (%) Tumeur primitive, n (%) Pseudomyxome pe´ritone´al Carcinome du coˆlon Carcinome de l’ovaire
p
Non (n = 29)
Oui (n = 6)
14 (40) 15 (42) 6,5 [5,5 ; 7,5] 300 [100 ; 300] 38,9 [38,6 ; 39,5] 42,5 [30 ; 101] 9 (25)
3 (9) 3 (9) 8,5 [6,6 ; 10,3] 225 [160 ; 325] 38,3 [38,0 ; 39,0] 29 [15 ; 58] 3 (9)
1,00 1,00 0,09 0,28 0,06 0,31 0,39
2 (6) 10 (29) 17 (49)
2 (6) 1 (3) 3 (9)
0,13 0,64 1,00
CHIP : chimiohyperthermie intrape´ritone´ale. Les variables qualitatives sont exprime´es en nombre (proportion) et les variables quantitatives en me´dianes [1er–3e quartiles].
Pour citer cet article : Desgranges F-P, et al. Analge´sie pe´ridurale pour le traitement chirurgical des carcinoses pe´ritone´ales : une pratique a` risque ? Ann Fr Anesth Reanim (2011), doi:10.1016/j.annfar.2011.08.020
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ANNFAR-4664; No. of Pages 7 F.-P. Desgranges et al. / Annales Franc¸aises d’Anesthe´sie et de Re´animation xxx (2011) xxx–xxx Tableau 3 Donne´es postope´ratoires. n (%) Noradre´naline dans les 24 heures postope´ratoires He´matome pe´rime´dullaire Thrombope´nie avant retrait du cathe´ter pe´ridural TP < 60 % avant retrait du cathe´ter pe´ridural TCA < 1,5 Te´moin avant retrait du cathe´ter pe´ridural Me´ningite/Abce`s pe´rime´dullaire Sepsis avant retrait du cathe´ter pe´ridural Leucope´nie avant retrait du cathe´ter pe´ridural
4 (11) 0 (0) 5 (14) 5 (14) 0 (0) 0 (0) 6 (17) 2 (6)
TP : taux de prothrombine ; TCA : temps de ce´phaline active´e.
et de la toxicite´ he´matologique des agents de chimiothe´rapie, fre´quente au cours des premiers jours postope´ratoires, rendant la gestion du cathe´ter de pe´ridurale complexe [15–17]. L’injection pe´ridurale d’anesthe´siques locaux induit un retentissement he´modynamique, en diminuant la fre´quence cardiaque et la pression arte´rielle, par inhibition du tonus sympathique cardiaque et pe´riphe´rique, assurant une vasodilatation arte´rielle et veineuse, donc une hypovole´mie relative [18,19]. Des modifications sur le plan he´modynamique ont e´te´ observe´es lors de la CHIP. Plusieurs profils he´modynamiques se succe`dent au cours de l’intervention. Tout d’abord, l’e´le´vation de la pression intra-abdominale suite a` l’irrigation massive de l’abdomen au de´but de la proce´dure, est susceptible de provoquer un syndrome compartimental abdominal perope´ratoire dans la technique a` abdomen ferme´ [5,15]. Ce syndrome compartimental peut engendrer une diminution du de´bit cardiaque par chute du retour veineux [5,15,20]. Durant cette phase de « remplissage » de la cavite´ abdominale, une e´tude par Doppler œsophagien retrouvait une diminution des indices de pre´charge (volume d’e´jection systolique et temps d’e´jection ventriculaire gauche), de contractilite´ myocardique (pic de ve´locite´ et acce´le´ration moyenne du sang dans l’aorte) et une augmentation de la post-charge (re´sistances vasculaires syste´miques) [21]. Le deuxie`me profil he´modynamique observe´, secondaire a` l’hyperthermie, se traduit par un syndrome de re´ponse inflammatoire syste´mique, avec e´tat circulatoire hyperdynamique concomitant de l’e´le´vation de la tempe´rature corporelle. Cette phase se traduit par une augmentation de la fre´quence cardiaque, du de´bit cardiaque et une chute des re´sistances vasculaires syste´miques [15,22–24]. L’e´volution des parame`tres du Doppler œsophagien est alors strictement inverse de celle de la phase de syndrome compartimental, avec augmentation des indices de pre´charge et de contractilite´, et diminution des indices de post-charge [21]. Quand la tempe´rature corporelle diminue en fin d’intervention, l’e´tat hyperdynamique commence a` se stabiliser, avec retour a` l’e´tat de base une dizaine de minutes apre`s le lavage de la cavite´ pe´ritone´ale [24]. Les patients semblent ainsi sujets aux e´pisodes d’instabilite´ he´modynamique, au nombre de 10 patients (n=35)
9 8 7 6 5 4 3 2 1 0
1 jour
2 jours
3 jours
4 jours
5 jours
6 jours
7 jours
Fig. 2. Re´partition des dure´es de cathe´te´risme pe´ridural.
8 jours
5
collapsus perope´ratoire et aux de´faillances d’organe en per- et postope´ratoire. On comprend ainsi aise´ment que les effets he´modynamiques de´le´te`res de la pe´ridurale et de la CHIP soient susceptibles de se potentialiser. Toutefois, dans notre e´tude, meˆme si nous avons eu recours a` une utilisation d’e´phe´drine chez 60 % des patients en perope´ratoire, le taux de patients ayant ne´cessite´ un support he´modynamique per- et postope´ratoire par noradre´naline e´tait nettement infe´rieur a` celui rapporte´ par d’autres auteurs, aussi bien dans la technique a` abdomen ferme´ qu’a` abdomen ouvert, et le de´bit maximal de cet agent vasoconstricteur restait faible. De la Chapelle et al. rapportaient une proportion de patients ne´cessitant un support he´modynamique par noradre´naline d’environ 25 % [17], alors que 14 patients sur 23 de la se´rie de Tsiftsis be´ne´ficiaient de l’administration d’agents vasopresseurs [5]. Plusieurs raisons sont susceptibles d’expliquer cette relative tole´rance he´modynamique per- et postope´ratoire. Tout d’abord, l’alte´ration de l’e´tat he´modynamique durant la CHIP semble en grande partie due au stress thermique, hors les effets secondaires de l’hyperthermie surviennent lorsque la tempe´rature corporelle de´passe des valeurs aux alentours de 40 a` 41 8C [25], mais comme nous l’avons vu la tempe´rature corporelle de´passe exceptionnellement 40 8C durant la CHIP, graˆce aux strate´gies de controˆle thermique perope´ratoire et au monitorage continu de la tempe´rature corporelle. L’hyperthermie est donc rarement responsable d’effets secondaires propres lors de cette technique chirurgicale. Ensuite, la tole´rance cardiaque et he´modynamique de l’hyperthermie est variable selon l’e´tat cardiovasculaire sous-jacent, et alors que les patients sans comorbidite´ cardiovasculaire tole`rent bien le stress de l’hyperthermie, les patients avec une pathologie cardiovasculaire pre´existante sont susceptibles de pre´senter des phe´nome`nes d’ische´mie, d’arythmies, d’hypotension arte´rielle, d’insuffisance cardiaque congestive [25]. Aucun ante´ce´dent de pathologie cardiovasculaire se´ve`re n’e´tait a` signaler chez nos patients (seuls deux patients pre´sentaient une hypertension arte´rielle mode´re´e), ce qui peut expliquer en partie la bonne tole´rance he´modynamique de l’utilisation de la pe´ridurale lors de la CHIP. De plus, nous avons vu que le principal me´canisme des effets de´le´te`res he´modynamiques de la CHIP et de la pe´ridurale e´tait l’hypovole´mie relative, par chute des re´sistances vasculaires syste´miques [18,19]. Le management he´modynamique perope´ratoire requiert une expansion vole´mique importante, du fait de l’abondance des pertes insensibles, de l’hyperthermie et des pertes sanguines [15,24,26]. Une politique active de remplissage vasculaire anticipe´, avant la CHIP et l’administration pe´ridurale d’anesthe´siques locaux, est donc susceptible de s’affranchir d’e´pisodes de collapsus graves en perope´ratoire. Quatrie`mement, la majorite´ de nos patients be´ne´ficiaient d’une analge´sie pe´ridurale thoracique, or les effets he´modynamiques de´le´te`res de la pe´ridurale sont moindres au niveau thoracique qu’au niveau lombaire. Dans notre se´rie, nous n’avons retrouve´ aucune relation significative entre la tumeur a` l’origine de la carcinose, la technique chirurgicale et les pertes sanguines perope´ratoires, les modalite´s d’utilisation de la pe´ridurale en perope´ratoire (dose d’anesthe´sique local et temps d’utilisation du cathe´ter), la tempe´rature corporelle maximale perope´ratoire, avec l’e´ve´nement instabilite´ he´modynamique. Certains auteurs pre´conisent toutefois de re´server l’utilisation du cathe´ter pe´ridural a` la prise en charge de la douleur postope´ratoire, car l’infusion pe´ridurale perope´ratoire d’anesthe´siques locaux est susceptible de potentialiser les perturbations he´modynamiques et me´taboliques propres a` la chirurgie [23]. Pour notre part, si l’utilisation de la pe´ridurale est envisage´e en perope´ratoire, nous recommandons l’utilisation de solutions d’anesthe´siques locaux peu concentre´es et de privile´gier « l’effet volume » de la solution administre´e. La toxicite´ he´matologique est une complication classique de la CHIP, conse´quence de la chimiothe´rapie, mais e´galement bien
Pour citer cet article : Desgranges F-P, et al. Analge´sie pe´ridurale pour le traitement chirurgical des carcinoses pe´ritone´ales : une pratique a` risque ? Ann Fr Anesth Reanim (2011), doi:10.1016/j.annfar.2011.08.020
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corre´le´e a` l’importance de la carcinose et a` la dure´e ope´ratoire [6,7]. Les complications infectieuses de la pe´ridurale, a` savoir les me´ningites et abce`s pe´rime´dullaires, sont tre`s rares, mais ont comme facteur favorisant commun l’existence d’une immunode´pression sous-jacente [27,28]. Des incidences d’aplasie se´ve`re avec neutrope´nie de 39 a` 48 % ont e´te´ rapporte´es en postope´ratoire [6,7]. Donc the´oriquement, le risque de complications infectieuses de la pe´ridurale est susceptible d’eˆtre majore´ au de´cours d’une CHIP, du fait de la fre´quente immunode´pression secondaire a` la neutrope´nie. Toutefois, des incidences de neutrope´nies plus faibles, voire nulles, et toujours de faible grade, ont pu eˆtre releve´es lors de CHIP utilisant de l’oxaliplatine ou du cisplatine [26,29]. Dans notre e´tude, malgre´ un taux non ne´gligeable de sepsis avant ablation du cathe´ter pe´ridural, aucun cas de complication infectieuse de l’anesthe´sie pe´rime´dullaire n’a e´te´ observe´, et l’incidence de la leucope´nie, toujours mode´re´e, n’e´tait que de 6 %. Plusieurs raisons semblent pouvoir expliquer cette constatation. Tout d’abord, les CHIP re´alise´es dans notre institution utilisent des sels de platine, et les incidences plus e´leve´es de neutrope´nies se´ve`res rapporte´es dans la litte´rature concernaient des interventions utilisant de l’irinote´can ou de la mitomycine C, agents antine´oplasiques ayant un plus fort potentiel aplasiant [7]. Ensuite, seules les leucope´nies survenant pendant le de´lai d’utilisation de la pe´ridurale ont e´te´ rapporte´es dans notre e´tude, mais le de´lai moyen de survenue d’une neutrope´nie se´ve`re semble se situer entre le septie`me et le neuvie`me jour postope´ratoire [6,7]. Il a enfin e´te´ rapporte´ que l’existence d’une neutrope´nie dans le cadre d’une CHIP ne semblait pas associe´e a` une augmentation de la mortalite´, des infections postope´ratoires et de la dure´e de se´jour [6]. En conse´quence, pendant la pe´riode d’utilisation de l’analge´sie pe´ridurale, les patients semblent a` tre`s faible risque de de´velopper une neutrope´nie se´ve`re. Ils ne semblent donc en de´finitive pas plus a` risque de de´velopper une infection post-cathe´te´risme (me´ningite, abce`s pe´rime´dullaire) que les personnes ayant be´ne´ficie´ d’une analge´sie pe´ridurale pour une autre intervention chirurgicale, pour une meˆme dure´e de cathe´te´risme. L’he´matome pe´rime´dullaire est e´galement une complication rarissime, mais tre`s se´ve`re, de la pe´ridurale. La majorite´ des cas sont dus a` un ou des facteurs de risque sous-jacents, parmi lesquels l’existence d’une coagulopathie [29]. Des troubles de l’he´mostase (avec allongement du temps de thromboplastine tissulaire et diminution de l’antithrombine III, du fibrinoge`ne et du temps de prothrombine) et une thrombope´nie ne sont pas rares au de´cours d’une CHIP [15,23]. La physiopathologie des anomalies de coagulation reste en grande partie me´connue, mais il existe un roˆle probable de la chimiohyperthermie, de l’he´modilution perope´ratoire et de la toxicite´ he´patique des agents antine´oplasiques [15,23]. Malgre´ ce facteur de risque potentiel, aucun cas d’he´matome pe´rime´dullaire n’a e´te´ diagnostique´ au cours de notre e´tude. Plusieurs raisons sont susceptibles d’expliquer l’incidence nulle de cette complication dans notre e´tude. Premie`rement, l’effectif de la population e´tait limite´ a` 35 patients, effectif insuffisant pour de´pister un e´ve´nement dont l’incidence a pre´ce´demment e´te´ e´value´e a` 1/190 000 pe´ridurales [30]. Ensuite, les re`gles concernant le respect des contre-indications de cette technique et l’ablation du cathe´ter en phase d’isocoagulabilite´ stricte ont e´te´ scrupuleusement suivies [31,32]. De plus, les patients ne pre´sentaient pas d’autre facteur de risque d’he´matome pe´rime´dullaire (traitement anticoagulant a` dose efficace, traitement antiagre´gant). Ensuite, aucun cas de difficulte´ technique lors de la mise en place du cathe´ter pe´ridural n’a e´te´ constate´ chez nos patients (reflux sanguin, ponctions multiples, ponction he´morragique). Enfin, nous avons constate´ que la thrombope´nie et les troubles d’he´mostase secondaire ont une incidence faible en postope´ratoire, et quand elles sont pre´sentes ces anomalies sont syste´matiquement de profondeur et de dure´e limite´e, avec un pic
de fre´quence maximal dans les deux premiers jours apre`s l’intervention. Il est donc parfaitement possible de re´aliser l’ablation du cathe´ter en toute se´curite´, en phase d’isocoagulabilite´. Un bilan d’he´mostase et une nume´ration plaquettaire avant ablation du cathe´ter, ainsi qu’une surveillance neurologique rigoureuse, semblent a` notre sens toutefois indispensables afin de pre´venir l’he´matome pe´rime´dullaire et de le diagnostiquer pre´cocement le cas e´che´ant. La principale limite de cette e´tude est le fait qu’il s’agisse d’une e´tude purement descriptive, avec absence de groupe te´moin comprenant des patients n’ayant pas be´ne´ficie´ d’analge´sie pe´ridurale. A` l’heure actuelle, l’analge´sie pe´ridurale s’impose comme technique analge´sique de re´fe´rence en chirurgie abdominale majeure, susceptible de s’inte´grer dans un programme de re´habilitation postope´ratoire pre´coce, avec un effet be´ne´fique possible en termes de re´duction de la douleur aigue¨ et chronique postope´ratoire, de diminution de la morbi-mortalite´ postope´ratoire et de la dure´e de se´jour [8–14]. Dans la CHIP, l’e´quipe de Schmidt a montre´ que l’utilisation de l’anesthe´sie/analge´sie pe´ridurale apportait un be´ne´fice en termes de re´duction de la consommation en opioı¨des perope´ratoire et de la dure´e de ventilation me´canique postope´ratoire [15]. En conse´quence, ces e´le´ments justifient le fait que, dans notre pratique, nous avons recours a` l’analge´sie pe´ridurale de fac¸on syste´matique chez les patients be´ne´ficiant d’une CHIP. Aucun patient de notre se´rie ne pre´sentait de contre-indication a` la pe´ridurale. Nous n’avons pas analyse´ la douleur postope´ratoire au cours de notre e´tude, car le be´ne´fice de l’analge´sie pe´ridurale dans le traitement chirurgical des carcinoses pe´ritone´ales a de´ja` e´te´ e´tudie´ par l’e´quipe de Schmidt [15]. 5. Conclusion La CHIP est responsable en perope´ratoire et en postope´ratoire pre´coce d’un syndrome de re´ponse inflammatoire syste´mique se´ve`re et e´ventuellement d’un syndrome compartimental abdominal lors de l’irrigation du pe´ritoine dans la technique a` abdomen ferme´, susceptibles d’engendrer un collapsus cardiovasculaire ne´cessitant le recours a` des agents vasopresseurs et d’alte´rer le de´bit cardiaque. Le risque he´modynamique de l’utilisation de l’anesthe´sie/analge´sie pe´ridurale dans le cadre de cette chirurgie a donc re´cemment e´te´ e´voque´. Notre e´tude ne semble pas re´ve´ler de conse´quence he´modynamique majeure quant a` l’utilisation de cette technique d’analge´sie dans la CHIP. De plus, notre e´tude re´ve`le que l’incidence de la thrombope´nie, de la leucope´nie et des troubles d’he´mostase est faible dans cette chirurgie, et si ces anomalies sont pre´sentes, elles sont toujours de profondeur limite´e. En conse´quence, l’utilisation de l’analge´sie pe´ridurale pour la CHIP aux sels de platine ne semble pas eˆtre responsable d’un risque majeur d’he´matome pe´rime´dullaire, de me´ningite et d’abce`s pe´rime´dullaire. Toutefois, compte tenu du faible effectif de patients de notre e´tude, ces re´sultats devraient eˆtre confirme´s par l’analyse de plus larges se´ries e´ventuellement multicentriques avant de recommander pleinement l’analge´sie pe´ridurale chez les patients be´ne´ficiant d’une CHIP. ˆ ts De´claration d’inte´re Les auteurs de´clarent ne pas avoir de conflits d’inte´reˆts en relation avec cet article. Re´fe´rences [1] Helm CW, Bristow RE, Kusamura S, Baratti D, Deraco M. Hyperthermic intraperitoneal chemotherapy with and without cytoreductive surgery for epithelial ovarian cancer. J Surg Oncol 2008;98:283–90.
Pour citer cet article : Desgranges F-P, et al. Analge´sie pe´ridurale pour le traitement chirurgical des carcinoses pe´ritone´ales : une pratique a` risque ? Ann Fr Anesth Reanim (2011), doi:10.1016/j.annfar.2011.08.020
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Pour citer cet article : Desgranges F-P, et al. Analge´sie pe´ridurale pour le traitement chirurgical des carcinoses pe´ritone´ales : une pratique a` risque ? Ann Fr Anesth Reanim (2011), doi:10.1016/j.annfar.2011.08.020