Espectáculos de vistas à Madrid (1840-1875) : des fabriques de réalité

June 1, 2017 | Autor: Isabelle Mornat | Categoria: Visual Studies, Visual Culture, Visual Arts, Siglo XIX, Historia de Madrid
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Isabelle Mornat Espectáculos de vistas à Madrid (1840-1875) : des fabriques de réalité preprint Marie-Linda ORTEGA (ed.) Ojos que ven, ojos que leen. Textos e imágenes en la España isabelina, Madrid, Visor Libros, 2004, p. 75-84. ISBN. : 84-7522-875-5

Les spectacles auxquels nous nous intéressons eurent des noms variables formés autour du grec horama, à partir de « panorama » qui existait déjà. Le panorama est une peinture circulaire, continue, installée sur les parois d’une rotonde et qui utilise la perspective. Le spectateur est situé à distance fixe, et ce qu’il voit doit se confondre avec la réalité même 1. Le brevet fut déposé par Robert Barker à Londres en 1787. L’invention a d’abord été baptisée « la nature à coup d’œil ». C’est en janvier 1792 que le néologisme dérivé du grec panorama, « tout voir », apparaît dans le Times. Le diorama était un ensemble de toiles planes ou légèrement cintrées, peintes des deux côtés, éclairées de différentes façons et sur lesquelles étaient appliquées les procédés de décomposition de la lumière, afin de créer le plus souvent un effet jour/nuit. Il a été inventé par Daguerre et Bouton en 1823. En Espagne, panoramas et dioramas n’ont pas connu le succès rencontré à Londres ou à Paris à la même époque, faute de moyens 2. Ce sont donc surtout les vues plus petites et ne nécessitant pas la construction d’un édifice spécifique qui ont fait leur apparition à Madrid au milieu du siècle dernier. Ces derniers sont en réalité des collections de vues très précises, de grandes dimensions et dont les noms variaient en fonction du thème, certains étant interchangeables. Néorama et poliorama désignaient des vues intérieures de temple, et cosmorama, des vues de paysages ou de villes du monde. Quantitativement, c’est la ville qui domine : villes espagnoles et villes européennes, Algeciras, Málaga, Barcelone, San Sebastián, Rome, Saint Pétersbourg, Paris,

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Voir Germain Bapst, Essai sur l’histoire des panoramas et des dioramas, extrait des rapports du jury international de l’exposition universelle de 1889 in The Prehistory of photography, edited by Robert Sobieszek, New-York : Arno Press, 1979. 2 Bernard Comment ne parle pas de l’Espagne dans son ouvrage Le XIXe siècle des panoramas, Paris : Adam Biro, 1993.

Versailles3. D’ailleurs, la définition de panorama dans la presse espagnole est souvent réduite à celle de « vue panoramique d’une ville », alors que le panorama pouvait représenter tout autre chose, et en Europe, les vues panoramiques de villes sont minoritaires par rapport aux panoramas de batailles célèbres. Le diorama qui s’est maintenu pendant au moins dix ans à Madrid offrait aux spectateurs la vue de l’Escorial. Nous tenterons dans un premier temps d’analyser la nature de ces types de spectacles. En analysant les annonces et les commentaires dans la presse du milieu du siècle et dans les guides (guía de forasteros), nous voulons montrer comment s’opèrent les glissements d’un commentaire sur le spectacle à un commentaire sur la ville. Nous voulons ensuite montrer qu’il s’agit, dans le cas spécial du diorama de l’Escorial, d’une mise spectacle d’une certaine historiographie qui se développe au milieu du siècle. Ces spectacles sont liés à un ensemble de facteurs techniques et scientifiques visant l’expression picturale de la réalité, comme la perspective, la topographie ou les études sur la lumière. Ce sont aussi les ultimes preuves d’une tension de la peinture vers son adéquation parfaite à l’original : Daguerre inventa le daguerréotype en 1839, l’année même où ses rotondes brûlaient. Ils sont aussi liés à d’autres révolutions telles que le ballon aérostatique ou les chemins de fer qui ouvraient de nouveaux horizons au point de vue. Ces spectacles entretiennent un lien avec les « inventions » dont elles sont une preuve sinon tangible du moins visible, et cette visibilité est en elle-même spectaculaire. C’est ainsi que les vues étaient pour certaines présentées dans un espace où leur innovation était mise en valeur par la présence de machines optiques et autres inventions mécaniques. Ce fut le cas du néorama de la Calle Alcalá visible tout juste au milieu du siècle, ou de la Galería topográfico-pintoresca, plus tard appelé Galería Recoletos qui fut ouverte au public en 1835. A défaut d’édifices spécifiques, la galerie permettait d’exposer des vues de grandes dimensions, et même de simuler l’effet de lumière du diorama.

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Nous n’aborderons pas ici les « vues de catastrophes », beaucoup moins nombreuses, ni les vues de propagande, plus marginales (vues des sites de la guerre carliste en 1837-1838, et le panorama de Tetuan, qui faute de moyens n’eut pas de rotonde, en 1876).

Este brillante establecimiento, único en su clase y en las extranjeras, variado en sus hermosas vistas y aumentadas con algunos juguetes cómicos y mecánicos, se manifiesta todos los días4.

L’expression « spectacles de vues » propose une curieuse redondance. Cette redondance nous indique qu’il s’agit d’emblée d’un spectacle multiple : celui du contenu représenté et celui de l’invention le représentant. Cette annonce parue dans El español en 1847 au sujet du poliorama est à ce sujet particulièrement riche: Atrae estos días bastante concurrencia un nuevo espectáculo que se enseña en la calle de Alcalá, con el título de poliorama. La novedad de las vistas que presenta y sobre todo el cromotrop, son cosas que merecen ser vistas 5.

Dans son essai « science et méditation »6, Heidegger indique que la science moderne se présente comme une théorie du réel et que depuis le début de l’époque moderne (à partir du XVIIe siècle) le mot « réel » est devenu synonyme de « certain ». En ce sens, ces spectacles sont des « spectacles de la science moderne » du moins sont-ils liés à la « mise en scène », la « mise en spectacle » de la science. Ce sont bien des « spectacles du réel », et par là-même des spectacles du

« certain ».

Et

ces

trois

éléments

sont

effectivement

récurrents

et

interchangeables dans les commentaires de la presse. Se acaba la exposición del ciclorama en la calle de Capellanes, algunas de cuyas vistas (Nápoles, Venecia, la Calle de Santiago en París) dans la sensación de estar viendo la realidad misma 7. Si hemos de juzgar por la impresión que aun conservamos de su vista [Diorama de El 8 Escorial] no puede llevarse más allá la imitación de la verdad .

Ces remarques vont pouvoir éclairer comment le commentaire des spectacles dans la presse et ailleurs est aussi en filigrane un discours sur la ville, et comment les commentaires sur la ville introduisent la notion de point de vue. Si ces spectacles sont par nature des expressions caractéristiques de la modernité, leur présence signale de fait la modernité de la ville qui les accueille, c’est du moins l’idée qui apparaît dans les commentaires et les annonces. Même si l’Espagne n’a pas pu présenter de vrais panoramas avant l’exposition universelle de Barcelone en 4

Diario de Avisos, 1844-I-17. Voir aussi Francisco Javier Frutos Estebán, « Escenarios lúcidos de la mirada » in Memorias de la mirada, Santander : Fundación Marcelino Botín, pp. 47-74. 5 1847-III-2. 6 in Essais et conférences, Paris : Gallimard, 1958, pp 49-79. 7 La Esperanza, 1860-XII-18. 8 El Semanario pintoresco español, 1838-8-VII.

1888, la presse signale leur présence dans les autres capitales européennes (Londres et Paris essentiellement). C’est ainsi que La Ilustración de Madrid reproduisit le panorama installé dans l’exposition universelle de Londres en 1851. Le Semanario pintoresco español consacra plusieurs articles au Diorama de El Escorial. Même si à proprement parler le thème des vues n’est pas lié explicitement à la ville, l’article est aussi de fait un discours sur la capitale, sur sa place dans l’ensemble des capitales européennes. En présentant le diorama de l’Escorial, Madrid peut enfin se comparer à ces dernières : Pocas son todavía las capitales de Europa en donde puede disfrutarse de semejante espectáculo, pues lo excesivo de su coste y gran dificultad de su combinación artísticocientífica, hacen muy rara la ocasión de reunir todos los elementos necesarios. Por fortuna Madrid puede ya contar este título más entre las singulares bellezas que le adornan ; y los que hayan tenido ocasión de ver el diorama en Londres y en París se hallan ya en el caso de poder comparar el mérito artístico del Diorama de Madrid con los que han conseguido por muchos años atraer la pública curiosidad en aquellas capitales9.

C’est la même idée qui reparaît sous la plume de Ramón de Mesonero Romanos, dans Manual histórico-topográfico administrativo y artístico de Madrid: Esta admirable producción artística, cuyo artificio se oculta absolutamente al espectador para constituirle en una completa ilusión de realidad, no cede en nada a lo más atrevido y grandioso que ostentan los dos dioramas de París y de Londres, y sin necesidad de acudir a aquellas capitales, puede el curioso admirar en la nuestra una de las más ingeniosas invenciones de las bellas artes en el siglo actual 10.

Et, inversement, l’on peut noter l’apparition du « point de vue » dans les discours sur la ville. C’est ainsi que Ángel Fernández de los Ríos, dans El Futuro Madrid, publié en 1868, écrit : !Y qué ciudad, qué villa de España no está reclamando ensanche de calles y plazas, jardines interiores y paseos, luz y ventilación, aire, agua y arbolado, cuando hasta las mismas catedrales, los edificios de más importancia que tenemos, están, en su mayor parte, oprimidas entre callejuelas, rodeadas de conventos, de cuarteles o de tapias, sin puntos de vista, metidas en barrios fétidos, sin un square al frente de sus fachadas 11 principales .

A nouveau Ramón de Mesonero Romanos indique dans son guide tous les « points de vue » que peuvent avoir les nouveaux arrivants dans la capitale selon leur lieu d’origine. Et il regrette l’absence d’un point de vue panoramique.

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« El diorama », 1838-8-VII. Madrid : Antonio Yerres, 1844, « parte recreativa », pp 395-396. 11 Barcelona : Amelia Romero, 1989, p. 11. 10

Si deseando modificar estas primeras impresiones y conocer a un golpe de vista al conjunto del pueblo que los recibe, solicitasen subir a una altura céntrica y de la elevación correspondiente para medir y conocer a vista de pájaro todo el plano de la capital, será aún más difícil el indicársela, careciendo, como carecemos, de un gran templo central, que suele ser en otros pueblos el sitio a donde los forasteros acuden para satisfacer este deseo12.

Les spectacles considérés se donnent, par leur nature et les différents éléments qui les constituent, comme spectacles du réel exact (conforme aux principes de perspective), et par là-même, ils garantissent aussi la vérité de la réalité qui les contient, ils érigent la réalité extérieure en réalité tout aussi maîtrisable. Il ne s’agit pas de créer une illusion de la réalité, mais d’être un écran possible pour la construction d’une réalité extérieure, observable et à terme mathématisable c’est à dire urbanisable. Or la desamortización à l’époque engage la ville dans de nouvelles perspectives d’urbanisme. Par ailleurs, il s’agit bien de représenter la réalité au lieu de la réalité, en l’occurrence une réalité ainsi conçue comme exposition. Parallèlement, le discours sur la ville s’organise en fonction de cet espace offert comme exposition. Et c’est le point de vue panoramique qui exprime le mieux cette « mise en exposition » de la ville. C’est l’idée que développe Timothy Mitchell dans le premier chapitre de son ouvrage Colonising Egypt « Egypt at the exhibition » : « The panoramas were the forerunners of the world exhibitions, wich were organised on an ever increasing scale as Europe entered its imperial age»13. Il ajoute: « world exhibition here refers not to an exhibition of the world but the world conceived and grasped as though it were an exhibition »14. Ces spectacles disparaissent avec la diffusion de l’image imprimée, au profit des albums de lithographies : Panorama óptico-histórico-artístico de las Islas Baleares (1840), Recuerdos y bellezas de España (1856), Panorama nacional, bellezas de España y sus colonias (1892). Ces derniers plus spécifiquement liés à la gestation d’un regard patrimonial sont aussi accompagnés d’introductions et de commentaires qui prolongent les problématiques évoquées pour les « spectacles de vue ». A la fin du siècle, on peut ainsi trouver ce commentaire qui accompagne la vue panoramique de Cordoue :

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Manual histórico-topográfico administrativo y artístico de Madrid, Madrid : Antonio Yerres, 1844, « Conocimiento topográfico de Madrid » apéndice pp. 441-443. 13 University of California Press, Berkeley, Los Angeles, London, 1988, p. 6. 14 op. cit., p. 13.

En otra lámina hemos dado una vista parcial de esta hermosa ciudad; pero el renombre universal de que goza, la importancia histórica que tiene merecían en nuestro concepto algo más, y por eso publicamos ahora una completa y exacta vista panorámica de la actual población 15 .

La vue panoramique, vue totalisante, qui fait de la ville un paysage, qui ordonne et détermine un espace conquis et maîtrisé, est aussi, dans le cas de ce commentaire, l’image de la récupération d’un temps historique. Et les spectacles que nous analysons sont non seulement des fabriques d’une réalité conforme aux enjeux de la bourgeoisie libérale mais aussi, dans le cas du diorama de l’Escorial, la mise en image d’un discours historique. Le diorama de Madrid connut un vif succès. Installé à côté de la platería Martínez et tenu par le même propriétaire, Pablo Cabrero, il s’est maintenu 10 ans au moins de 1838 à 1848. Les commentaires de la presse sont élogieux et l’attraction principale fut El Escorial. Ce monument apparaît par ailleurs très souvent dans d’autres expositions (Templo de la Ilusión en 1850). Plus qu’une simple vue, il y eut une tentative de spectacle total puisque, lors de l’inauguration, il s’accompagnait de musique et d’encens. Le diorama reçut la visite de la reine le 30 juin 1838. En réalité ce fut le seul diorama « espagnol ». Tout concorde pour nous faire penser qu’il s’agit dans ce cas d’une mise en spectacle de l’historiographie officielle de la era isabelina telle que la construisaient dans l’ordre du discours, les historiens œuvrant presque de façon concomitante. En effet, la vogue de ces spectacles correspond exactement aux parutions nombreuses des Historias generales de España16, à l’expression de la conscience nationale et de ce que José María Jover Zamora appelle « el crescendo de un nacionalismo sui generis, de orientación retrospectiva y finalidades de prestigio »17. La nouvelle bourgeoisie capitaliste, celle qui possède, anime et fait désormais vivre la ville (et dont Pablo Cabrero est un représentant) aspire, comme l’indique Jover Zamora, à s’identifier à l’Espagne, à asseoir et construire des valeurs qui avaient été l’apanage de fait de l’aristocratie18. Il nous semble que cette communion autour de 15

Panorama nacional, Bellezas de España y sus colonias, Barcelona : H. Miralles, 1892. ibid. p. 164. 17 ibid, p. 148. 18 « La aristocracia, observó Mumford en presencia de la ciudad capitalista, había podido permitirse el lujo de ser innovadora en el trazado de sus perspectivas urbanas, de sus palacios, y en el decorado de sus salones porque nadie ponía en duda su arraigo en el tiempo y en un conjunto de tradiciones; distinto es el caso de la burguesía capitalista, nueva dueña de la ciudad, que necesita exhibir ante unas clases medias, que conservan el monopolio de los juicios sociales de valor, los prestigios de 16

L’Escorial, plus vrai que nature, est ici en parfaite adéquation avec cette aspiration. D’autant plus que cette identification était avant tout celle à la Couronne espagnole. On peut ici donc expliquer non seulement cette vue de l’Escorial, mais aussi la présence de certains monuments bien précis dans d’autres collections (sitios reales par exemple). Bien que le règne de Philippe II ne fut pas à proprement parler la période valorisée par ces historiens libéraux, par un transfert, l’Escorial fut investi des valeurs associées à leur idée de la nation, « una sola unidad legislativa y política, unida en la religión, con una única identidad nacional y, por supuesto, una sola soberanía territoral »19. Il s’agit d’un transfert classique : la Révolution française déclara les palais de l’aristocratie monuments nationaux, ou transforma le Louvre en musée. Ici le diorama fait office de médiateur d’exposition, selon les principes exposés plus haut pour la ville. Nous avons donc d’un côté des vues de villes figées dans un temps suspendu, qui nie presque toute historicité, qui nie les accidents pour nous présenter un espace urbanisable, avec dans l’ordre du texte la hiérarchisation des points de vue et le primat du point de vue panoramique, et de l’autre, des vues où l’on communie devant la spatialisation d’un discours historique. L’ensemble nous donne donc à voir la construction d’une réalité conçue pour l’œuvre de la bourgeoisie toute investie dans la conquête de son espace-temps. Nous voudrions évoquer pour finir les activités d’un propriétaire de ces spectacles, Pelegrini Estrada qui dirigeait le « Templo de la ilusión » dans lequel fut présenté un neorama en 1849. Il était commerçant d’estampes, cartes et cadres20 puis d’objets de métal, argentés et dorés21, et fut également impliqué dans l’exploitation des possibilités de la galvanoplastie pour le traitement et l’embellissement des métaux. On trouve ici une exemplaire adéquation d’activités, conforme à ce qu’indique Gérard Monnier dans L’Art et ses institutions en France :

respetabilidad que sólo confiere aquel arraigo. A esta necesidad social responde esa referencia constante de los edificios de la Administración, del Estado y del Poder burgués a patrones clásico ennoblecidos por el tiempo ; esa presencia de los grandes lienzos de Historia en los mismos edificios de la Administración », ibid., p. 167. 19 VV.AA, Historiografía y nacionalismo, 1834-1868, Madrid : CSIC, 1985.p. 86. 20 Nuevo Diario de anuncios y curiosidades, 21-X-1847. 21 El Anunciador 2-I-1852.

Le progrès des arts est dans le renouvellement des techniques disponibles pour produire à meilleur marché des objets et des formes qui font image, qui font semblant : la galvanoplastie au lieu de l’orfèvrerie, le verre au lieu du diamant, la photographie au lieu de la gravure. Le progrès des arts est la réponse à ce formidable désir, sinon de participer aux choses de l’art, mais d’atteindre leur représentation22.

Peligrini Estrada nous semble en effet être un parfait représentant de cette bourgeoisie de la ville impliquée à divers niveaux dans cette fabrication de la représentation, celle des choses de l’art et celle de la réalité.

22

Paris : Gallimard, 1995, p. 118.

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