Manifeste des 93

September 18, 2017 | Autor: Coline Xuohceb | Categoria: History, Intellectual History, First World War, Belgium
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La réaction et la réplique des intellectuels belges suite à la publication du Manifeste des 93 Travail présenté dans le cadre du cours de séminaire d'époque contemporaine

Bechoux Coline COMM3 (364125)

HIST-B-325 : PRATIQUE DE LA RECHERCHE : SÉMINAIRE D'ÉPOQUE CONTEMPORAINE – VALÉRIE PIETTE

ANNÉE ACADÉMIQUE 2013-2014 (2e session)

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TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION..............................................................................................................3 CHAPITRE I ORIGINE ET GENÈSE DU MANIFESTE........................................................................6 1.1 Contexte géo-politique d'avant-guerre............................................................6 1.2 Genèse du Manifeste........................................................................................7 CHAPITRE II LA RÉPLIQUE DES INTELLECTUELS BELGES EN EXIL..........................................10 2.1 Les réactions «officielles»: la création de commissions d'enquête...............10 2.2 Les réactions «non-officielles»: réponses des intellectuels belges à l'étranger.....................................................................................................12 CHAPITRE III LA RÉPLIQUE SOUS LA BELGIQUE OCCUPÉE...........................................................16 3.1 La réplique selon Godefroid Kurth et Joseph Chot........................................16 3.2 Pirenne – Lamprecht : histoire d'un désaveu................................................18 CHAPITRE IV RÉPONSE DES PAYS ALLIÉS ET NEUTRES................................................................21 4.1. La réplique à l'échelle internationale............................................................21 CHAPITRE V CONSÉQUENCES SUR LES RELATIONS INTERNATIONALES D'APRÈS-GUERRE.........................................................................................................25 CONCLUSION.................................................................................................................28 ANNNEXES.....................................................................................................................30 BIBLIOGRAPHIE............................................................................................................35

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INTRODUCTION

À l'heure où ces lignes sont écrites, la Belgique se recueille pour commémorer le centenaire de la Grande Guerre. Un plongeon de cent ans en arrière qui nous ramène le 4 août 1914, jour où le roi Albert I rejette, devant les deux chambres réunies, l'ultimatum posé par l'Allemagne1. Si l'émotion est encore à ce point palpable aujourd'hui, c'est avant tout parce que la Première Guerre Mondiale fut une expérience traumatisante par le degré de violence inouï dont elle fit preuve. Une violence qui s'est traduite à la fois sur les champs de bataille, mais aussi par les atrocités qui, pour la première fois, furent commises à l’encontre des non-combattants sous les regards affligés des populations civiles. Mais ce n'est pas tout. S'il y a un autre domaine dans lequel cette violence est bel est bien lisible, c'est dans les discours symboliques qui fondent l'action militaire 2 . En effet, parallèlement aux affrontements sanglants que se livrèrent les nations ennemies sur le terrain, les intellectuels et les savants des deux camps n'hésitèrent pas à prendre la plume pour se livrer à une guerre rhétorique au nom de la défense nationale 3. L'exemple le plus frappant de cette guerre des esprits est sans conteste l'Aufruf an die Kulturwelt usuellement connu sous l’appellation du « Manifeste des 93 »4. Publié en octobre 1914, ce texte avait pour objectif de mettre à mal les accusations d'exactions qui ciblaient l'armée allemande suite à la violation de la neutralité belge. Destiné à convaincre l'opinion publique étrangère de la nécessité de leurs actions, ce manifeste fut signé par nonante-trois des plus brillants intellectuels, savants, écrivains et artistes allemands de 1 DE SCHAEPDRIJVER Sophie, « Deux parties. La Belgique entre exaltation et rejet, 1914-1918 », Cahiers d'Histoire du Temps présent, n°7, 2000, p.17, [en ligne]. .(consulté le 4 juillet 2014) 2. DUHEM Pierre, La science allemande, Paris, A. Hermann, 1915p.4. 3 CHAGNON Marie-Ève, « Le Manifeste des 93 : La nature de la mobilisation intellectuelle allemande au déclenchement de la grande guerre (1914-1915) », Mémoire de maîtrise, Montréal, Université du Québec à Montréal, 2007, p.1. 4 Texte intégral (en allemand et traduction française) et liste complète des signataires, Annexes, p. 30.

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l'époque5. Sa traduction en français et sa publication dans la Revue Scientifique6 du 14 novembre 1914 fit l'effet d'une bombe au sein de la communauté scientifique internationale et particulièrement en Belgique, puisque le document y niait les atrocités commises sur son propre territoire. Par la position singulière de la Belgique au sein du conflit, nous comprenons pourquoi l'étude de la réplique des intellectuels belges suite à la publication du Manifeste semble être un cas particulièrement intéressant à soumettre à l'analyse. Bien que les réactions provenant de l'étranger aient afflué en masse, la communauté scientifique belge, plus que toute autre, s'est sentie animée par le devoir de rétablir la vérité. Ce travail vise à comprendre l'organisation de cette réplique malgré les obstacles constitués par l'occupation ou l'exil. Nous commencerons, dans un premier temps, par fournir au lecteur un panorama de la situation géo-politique de l'Europe à l'aube de la guerre, point de départ nécessaire à la compréhension de l'origine et de la genèse du Manifeste des 93. Dans ce cadre, nous tenterons de déterminer qui en sont les instigateurs et quels étaient les buts poursuivis par ce document. Dans un second temps, nous nous intéresserons à la réaction des intellectuels belges en exil. Nous ferons la distinction entre les réactions «officielles», à savoir la création de plusieurs commissions d'enquête instiguées par divers organismes étatiques installés à l'étranger durant l'occupation, des réactions «non-officielles» des intellectuels, qu'ils soient botanistes, écrivains ou professeurs, forcés de fuir leur patrie pour sauver leur vie. D'autres, par conviction ou sous la contrainte, restèrent sur le sol belge. Mais comment alors contourner l'intolérable silence que souhaitait leur imposer l'occupant allemand? Nous verrons que, malgré les difficultés, la réplique s'organise. Nous en profiterons pour faire un point sur le cas particulièrement intéressant d'Henri Pirenne et sur ses relations avec Karl Lamprecht, historien allemand signataire du Manifeste et pourtant ami de longue date de Pirenne. Afin de saisir le caractère singulier de la réplique belge, il est également nécessaire de pouvoir la comparer aux les réactions suscitées par le Manifeste des 93 à l'échelle 5 CHAGNON Marie-Ève, « Le Manifeste des 93 (...) », op. cit., p.3. 6 La Revue scientifique est une revue de sciences française hebdomadaire fondée en 1863 par la maison d'édition Germer Baillière. Sa publication fût perturbée durant la Première Guerre Mondiale avec la parution d'un seul numéro pour la période du 8 août 1914 au 14 novembre 1914.

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internationale. C'est pourquoi une partie de ce travail sera consacrée à l'analyse de quelques réponses significatives des pays alliés ou neutres. Enfin, nous aborderons les conséquences de cette «guerre des manifestes» sur l'esprit de coopération scientifique internationale d'après-guerre avant de conclure. Bien que le sujet du Manifeste des 93 ait été largement traité, nous pouvons toutefois souligner quelques difficultés rencontrées au long de la recherche. En effet, malgré que le thème dispose d'une littérature bien fournie, très peu d'auteurs se sont penchés sur le cas de la réaction des intellectuels belges. Et pour cause ! L'invasion allemande a provoqué un exode massif des intellectuels et l'occupation a rendu presque impossible la continuité d'une vie intellectuelle normale 7. De la fermeture des académies et des universités belges résulte un certain silence au niveau des sources (contrairement à la France ou au Royaume-Uni où les réponses émanants des institutions sont nombreuses). De même, l'arrêt ou la censure d'une majorité des titres de presse durant la période du conflit réduit considérablement les traces des réactions des intellectuels belges suite à la publication du Manifeste des 93. Toutefois, les travaux de Marie-Ève Chagnon sur le sujet ont été d'une grande utilité et les riches bibliographies qu'ils fournissent ont été d'un appoint précieux bien que de nombreux ouvrages référencés en langue allemande n'aient pas pu être exploités dans le cadre de ce travail.

7 HORNE John, « Belgian intellectuals and the german invasion, 1915-1915 », dans JAUMAIN Serge, AMARA Michaël, MATERUS Benoît, VRINTS Antoon (éds), Une guerre totale ? La Belgique dans la Première Guerre Mondiale. Nouvelles tendances de la recherche historique. Actes de colloque international organisé à l'ULB du 15 au 17 janvier 2003, Bruxelles, Archives générales du Royaume, 2005, p.391.

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CHAPITRE I ORIGINE ET GENÈSE DU MANIFESTE

1.1 Contexte géo-politique d'avant-guerre En 1914, l'enthousiasme du peuple allemand à l'idée de mener une guerre est intense et il ne fait nul doute que ce phénomène servit de toile de fond à l'élaboration de nombreux discours patriotiques comme le Manifeste des 93. Mais comment expliquer les raisons de cette ferveur nationaliste que les historiens qualifièrent par la suite d' «Esprit de 1914 »8 ? Pour cela, il nous faut remonter plus d'un siècle en arrière, et plus précisément en 1871, année durant laquelle le Prince Otto von Bismark accède au poste de premier chancelier et réalise, notamment via des réformes militaires, l'unification du jeune Empire allemand9. Forte de sa victoire contre les troupes napoléoniennes, l'Allemagne affirme sa suprématie sur le vieux continent. La rivalité entre les deux pays semble avoir atteint un point culminant et la Belgique, comme prise en étau entre ces deux grandes puissances ennemies, commence à sentir que sa neutralité sera difficile à maintenir. Pourtant la neutralité, conférée par les grandes puissances européennes lors de la Conférence qui s'est tenue à Londres en 1831, est un principe cher à la Belgique comme l'exprime justement Godefroid Kurth , écrivain et professeur émérite de l'Université de Liège: « La Belgique n'a cessé de respecter les engagements qu'elle avait pris vis-à-vis des cinq puissances garantes de sa neutralité. Elle a toujours considéré le traité de 1831 comme la charte constitutive de son indépendance. Heureuse des droits qu'il lui reconnaissait et de la protection qu'il lui promettait, elle acceptait sans répugnance les obligations qu'il lui imposait. »10

Pourtant, malgré sa rigoureuse volonté de s'en tenir aux traités internationaux, la Belgique fut, à tour de rôle, suspectée de connivence avec l'une ou l'autre de ses deux grandes puissances voisines.11 Dès 1913, l'hypothèse d'une violation de la neutralité belge 8 CHAGNON Marie-Ève, « Le Manifeste des 93 (...) », op. cit., p.3 9 DUROSELLE Jean-Baptiste, L'Europe de 1815 à nos jours, vie politique et relation internationales, Paris, PUF, 1991, p. 139. 10 KURTH Godefroid, Le Guets=Apens Prussien en Belgique, Bruxelles, Albert Dewit, 1919, p.11. 11 KURTH Godefroid, Le Guets=Apens Prussien en Belgique, op. cit., p.13.

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devient une quasi certitude12 mais ce sera seulement en 1914, le 2 août plus précisément, que l'Allemagne, craignant d'être prise de court, posera à la Belgique l'ultimatum qui la précipitera dans la guerre.13 A partir de cette date, les événements s'enchaînent. Le 3 août, la réponse négative de la Belgique est publiée dans la presse. Le lendemain, la violation de la frontière est constatée et le premier soldat belge tombe sous les balles allemandes 14. La ville de Liège opposera une résistance inattendue, mais qui ne suffira pas à stopper la progression allemande qui s'accompagnera des premières exactions à l'encontre des populations civiles15. Pourtant à Bruxelles comme à Berlin, les premiers jours du conflit sont synonymes d'un véritable engouement patriotique. Selon divers auteurs 16, les raisons de cet emballement côté allemand sont à chercher à la fois dans la conviction de ceux-ci que la guerre qu'ils menaient était avant tout défensive et dans l'expression de l'identité nationale propre au pays17. Quoi qu'il en soit, à cette période, la quasi totalité de l'opinion publique allemande est ralliée à la cause de son armée. Ainsi, comme le souligne à juste titre MarieÈve Chagnon : « La Burgfrieden18 symbolise l'unification de tous les aspects de la communauté allemande tels que la politique, la société, la culture, et la religion. »

1.2 Genèse du Manifeste Nous venons de voir que le peuple allemand était intimement convaincu du bien fondé de son entrée en guerre. Le Manifeste des 93, quant à lui, ne fait qu'attester que les intellectuels du pays n'échappent pas à cette règle. Bien au contraire. Par leur haut niveau d'étude et l'importante position qu'ils occupent dans la société 19, les intellectuels sont les premiers à se placer en tant que défenseurs de la Nation et des valeurs de la Kultur allemande. De plus, à la lecture des travaux d'Aleksandr N. Dmitriev sur la mobilisation intellectuelle durant la Première Guerre Mondiale, nous apprenons que : « Le fait de lier 12 LE NAOUR Jean-Yves, 1914 – La grande illusion, Paris, Perrin, 2011, p.197. 13 BITSCH Marie-Thérèse, La Belgique entre la France et l'Allemagne, 1905-1914, Paris, Publications de la Sorbonne, 1994, p. 501. 14 Ibidem, p. 144. 15 Ibidem, p. 147. 16 Dans son mémoire, Marie-Ève Chagnon fait entre autre référence aux chercheurs R. Rürup, Helmut Fries et Michael Jeismann. 17 CHAGNON Marie-Ève, « Le Manifeste des 93 (...) », op. cit., p.12. 18 « union sacré » 19 CHAGNON Marie-Ève, « Le Manifeste des 93 (...) », op. cit., p.14

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l'activité scientifique aux intérêts nationaux (…) impliquait la possibilité d'exploiter le savoir et le rôle social des intellectuels en cas de désordres politiques 20». Toutefois, notons qu'en ce qui concerne la rédaction et l'apposition des signatures au Manifeste, les intellectuels agissent de manière volontaire et non sous les ordres de la chancellerie 21. La nature de la mobilisation intellectuelle allemande est un point essentiel. Mais revenons à présent sur les événements qui motivèrent la rédaction de ce Manifeste. Comme nous l'avons déjà mentionné, les débuts de la guerre ont été accompagnés d'actes de barbarie de la part des troupes allemandes. Actes de barbarie à la foi à l'encontre des populations civiles, mais également à l'encontre de hauts lieux symboliques de la culture occidentale. Le bombardement de la cathédrale de Reims ainsi que la destruction de la prestigieuse bibliothèque de l'Université catholique de Louvain mirent le monde en émoi 22. Très vite, les allemands doivent alors essuyer les critiques de la communauté internationale qui s'insurge devant les actes de vandalisme de cette nation que nombreux estimaient être une des plus civilisées d'Europe. C'est dans ce contexte que, le 10 septembre 1914, l'industriel Erich Buchwald23 demande au dramaturge Hermann Sudermann de répondre aux calomnies étrangères qui portent atteinte à l'honneur de son pays. Avec l'aide de Ludwig Fulda, auteur et traducteur allemand, Sudermann réalise l'ébauche de ce qui allait devenir l'Aufruf an die Kulturwelt dont la traduction française s'intitulera : « l'Appel au monde civilisé»24. Dans ce texte, les objectifs de l'Allemagne sont clairement affichés. Elle souhaite démentir les accusations dont elle fait l'objet et la formulation choisie pour ce faire est éloquente. « Il n'est pas vrai que... ». « Il n'est pas vrai que l'Allemagne ait provoqué cette guerre. », « Il n'est pas vrai que nous ayons violé criminellement la neutralité de la Belgique. », « Il n'est pas vrai que nos soldats aient porté atteinte à la vie ou aux biens d'un seul citoyen belge sans y avoir été forcés par la dure nécessité d'une défense légitime. », « Il n'est pas vrai que nos troupes aient brutalement détruit Louvain », « Il n'est pas vrai que nous fassions la guerre au mépris du droit des gens. », « Il n'est pas vrai que la lutte contre 20 DMITRIEV N. Aleksandr, « La mobilisation intellectuelle : la communauté académique internationale et la Première Guerre mondiale », Cahier du monde russe, 43/4, 2002, p.622. 21 CHAGNON Marie-Ève, « Le Manifeste des 93 (...) », op. cit., p.14. 22 DMITRIEV N. Aleksandr, « La mobilisation intellectuelle (...) », op. cit., p. 622. 23 J'ai pu constater que tous les travaux ne s'accordent pas sur l'instigateur du document, certains auteurs estimant qu'il s'agirait plutôt d'une requête provenant du chef des services de renseignements de la marine militaire, Heinrich Löhlein. 24 CHAGNON Marie-Ève, « Le Manifeste des 93 (...) », op. cit., p. 1.

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ce que l'on appelle notre militarisme ne soit pas dirigée contre notre culture, comme le prétendent nos hypocrites ennemis. ». Au vu de la nature de ces dénégations, nous comprenons dès lors l'ampleur de la consternation de la communauté scientifique internationale et plus particulièrement, celle de la Belgique. Notons toutefois que, malgré le nombre impressionnant de signatures qu'a recueilli le document, certains intellectuels allemands ne souhaitèrent pas y apposer la leur. Ce fut notamment le cas pour les personnalités du monde politique ou de l'industrie 25 (pour des raisons que nous comprenons bien) ainsi que pour certaines personnalités pacifistes dont la plus illustre sera sans nul doute Albert Einstein. Nous verrons, dans les prochains chapitres, que la publication de l'Appel au monde civilisé donnera le coup d'envoi d'une véritable « guerre des manifestes » que se livreront les nations belligérantes. Cet appel, loin de répondre aux attentes de leurs auteurs et signataires, aura, nous le constaterons, des répercussions désastreuses sur la coopération scientifique et artistique internationale 26.

25 CHAGNON Marie-Ève, « Le Manifeste des 93 (...) », op. cit.,p. 24. 26 DMITRIEV N. Aleksandr, « La mobilisation intellectuelle (...) », op. cit., p. 624.

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CHAPITRE II LA RÉACTION DES INTELLECTUELS BELGES EN EXIL

Pour les intellectuels belges, le rétablissement de la vérité face à ces accusations devint une question primordiale. Dès les premiers mois du conflit, et dans le but de justifier la violation de la neutralité belge, le gouvernement allemand tente de se disculper en invoquant, à l'aide de documents falsifiés 27, des arrangements tacites qui auraient été conclus entre la Belgique, la France et le Royaume-Uni. Quant aux exactions commises à l'encontre des civils, le gouvernement s'en défend en invoquant la légitime défense des troupes allemandes face à l'insurrection des populations assaillies 28. Cette justification, loin d'être anodine, est à mettre en lien direct avec l'importance qu'occupent en temps de guerre, les rumeurs et les croyances dans l'inconscient collectif. Le sentiment de peur qui se propage au sein des troupes allemandes fait revenir en mémoire le mythe des francstireurs qui l'avaient attaquée en 1870 durant la guerre franco-prussienne. Cette paranoïa militaire la conduira à appliquer des sanctions sévères envers les civils belges croisés sur son passage29. Les viols, les pillages, les assassinats et les déportations ne feront qu'attiser la haine du peuple belge envers ses assaillants et alimentera sans conteste son désir de justice.

2.1 Les réactions «officielles»: la création de commission d'enquête Malgré l'envie de rétablir la vérité au plus vite, le gouvernement belge, qui a trouvé refuge au Havre au début du mois d'octobre 1914 30, peine à rétablir une chronologie précise des événements qui se sont déroulés sur son territoire durant le premier mois du conflit. Selon plusieurs auteurs, il aurait fallu plus de six mois avant de pouvoir reconstituer les 27 PASSELECQ Fernand, Essai critique et notes sur l'altération officielle des documents belges, Paris, Librairie militaire Berger- Levrault, 1915. 28 HORNE John, « Belgian intellectuals and the german invasion, 1915-1915 », op. cit., p. 392. 29 CABANES Bruno, HUSSON Edouard, Les sociétés en guerre : 1911-1946, Paris, Armand Colin, Collection U, 2003, p. 499. 30 TIELEMANS Marie-Rose, « Le gouvernement belge à Saint-Adresse en 1914-1918 », Bulletin trimestriel du Crédit Communal de Belgique, n°168, 1989, p. 48.

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premiers discours cohérents sur les faits 31. En effet, pour celles et ceux qui n'ont pas vécu l'invasion, il semble difficile d'admettre que la nation allemande, avec laquelle la Belgique a toujours entretenu des liens cordiaux, puisse s'adonner à de tels actes de barbarie 32. Malgré l'exil, le gouvernement belge s'attèle à récolter le plus d'informations possibles sur le déroulement des faits. Il faut toutefois attendre 1915 pour que les premiers rapports émergent. Henri Davignon, écrivain et membre de l'Académie royale de langue et de littérature françaises, collecte les témoignages précieux des belges réfugiés à Londres et confirme que le mythe des francs-tireurs qui circule au sein des troupes allemandes est bel et bien à l'origine des crimes commis à l'encontre des civils belges 33. En parallèle, le Bureau Documentaire Belge (BDB) crée une commission d'enquête 34 conduite par Fernand Passelecq, avocat à la Cour d'Appel de Bruxelles. Elle sera chargée de faire la lumière sur les méthodes employées par les Allemands lors de l'invasion et de l'occupation 35. Soucieux de l'objectivité de son travail, Passelecq prône l'application d'une stricte discipline scientifique et souligne l'importance de garder un esprit critique face à ces événements 36. Fernand Passelcq jouera réellement un rôle majeur dans cette lutte pour le rétablissement de la vérité. En effet, c'est également lui qui rédigera une impressionnante contre-expertise à l'enquête officielle émanant du gouvernement allemand connue sous le nom de «Livre Blanc»37. Dans «La réponse du gouvernement belge au Livre blanc allemand du 10 mai», Passelecq démontre rigoureusement les paradoxes et le manque de preuves évidentes que comporte l'expertise allemande38, ce qui lui vaudra un large soutien de la part des pays étrangers39.

31 HORNE John, KRAMER Alan, German atrocities, 1914. A story of Denial, London and New Haven, Yale University Press, 2001, pp. 205-206. 32 HORNE John, « Belgian intellectuals and the german invasion, 1915-1915 », op. cit.,p. 395. 33 Ibidem, p. 395 ; DAVIGNON Henri, Les procédés de guerre des allemands en Belgique, Paris, Bloud et Gay, 1915. 34 La commission portera le nom exacte de: «Commission d'enquête sur les violations des règles du droits des gens, des lois et des coutumes de guerre» et établira le rapport intitulé: «Rapports sur la violation du droit des gens en Belgique.» 35 HORNE John, « Belgian intellectuals and the german invasion, 1915-1915 », op. cit.,p. 395. 36 AMARA Michaël, « La propagande belge durant la Première Guerre Mondiale (1914-1918) », Mémoire de licence inédit, Bruxelles, U.L.B., 1998, p. 17. 37 HORNE John, « Belgian intellectuals and the german invasion, 1915-1915 », op. cit.,p. 396. 38 PASSELECQ Fernand, La réponse du gouvernement belge au Livre blanc allemand du 10 mai 1915. Etude analytique de la publication officielle du gouvernement belge, Paris, Librairie militaire Berger- Levrault,1915. 39 HORNE John, « Belgian intellectuals and the german invasion, 1915-1915 », op. cit.,p. 396.

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Il ne sera bien évidemment pas le seul à s'étonner des nombreux contresens que contient Le Livre Blanc allemand comme le relate, non sans ironie, un article paru dans la Libre Belgique en juin 1915 : « Nous devons convenir que ce document est remarquable. Il est très fort au moins en ce sens que la mauvaise foi et la maladresse teutonnes y ont réalisé le tour impossible de se surpasser elles-mêmes » 40. Toujours concernant les publications officielles émanant du gouvernement belge, il faut en outre rajouter la parution du « Livre gris belge» relatant les événements du 24 juillet au 29 août 1914 et qui sera suivi du «Deuxième Livre gris belge» s'attardant, quant à lui, sur la période allant du 2 au 6 avril 1915 41.

2.2 Les réactions «non-officielles»: réponses des intellectuels belges à l'étranger Parmi les personnalités du monde académique que la guerre poussa à l'exil, l'une des plus notables fut sans nul doute Jean Massart. Botaniste de renom ainsi que ViceDirecteur de la classe des Sciences de l'Académie royale, il est contraint à fuir la Belgique en août 1915 pour trouver refuge en France 42. C'est à ce moment qu'il entreprend la rédaction d'un court mais éloquent ouvrage intitulé : Les intellectuels allemands et la recherche de la vérité . L'avant-propos qu'il nous livre résume parfaitement le besoin éprouvé par les intellectuels belges de l'époque de riposter aux attaques et aux diffamations de l'ennemi allemand et notamment celles présentes dans l'Appel au monde civilisé : « Comment se fait-il que ces pages soient écrites par un botaniste? Parce que, à moins d'être une curiosité naturelle, un monstre, aucun Belge ne pourrait actuellement se confiner dans sa tour d'ivoire. Tous, nous n'avons à présent qu'une seule préoccupation : tâcher de faire en sorte que la justice et la vérité dominent enfin les rapports entre nations (...) »43.

En effet, Massart estime qu'à cette période, il lui est impossible de continuer son travail scientifique en Belgique tant la réalité est devenue plus poignante que la science et 40 La Libre Belgique, n°31, juin 1915, p.2, col.2. 41 MASSART Jean, La presse clandestine dans la Belgique occupée, Paris- Nancy, Berger-Levrault Libraireséditeurs,1917. 42 MARCHAL Émile, «Notice sur Jean Massart », Annuaire de l'Académie Royale de Belgique, Bruxelles, Académie royale de Belgique, vol. 93, 1927, p.75. 43 MASSART Jean, Les Intellectuels allemands et la Recherche de la Vérité, Bruxelles, Imprimerie médicale et scientifique, 1920, p.1.

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il préfère se concentrer sur la collecte des documents concernant la domination allemande en Belgique ainsi que des réponses faites au Manifeste par les principales universités et académies des pays belligérants ou neutres 44. Alors qu'il est encore en Belgique, Massart émet déjà l'idée de proposer une enquête impartiale aux nonante-trois signataires du Manifeste mais c'est seulement en mars 1916, grâce à l'aide de son ami suisse, le professeur Robert Chodat de l'Université de Genève, qu'il réussit à faire parvenir sa requête aux Allemands45. L'unique réponse qu'il reçut fut celle d'Ernest Haeckel, un biologiste de l'Université d'Inéa. Datée du 14 avril 1916, elle se soldait pas un refus. Massart fait alors le constat que ceux qui, en 1914, accusaient sans ménagement la Belgique craignent, deux ans plus tard, que la vérité soit faite concernant les événements qui eurent lieu durant le premier mois du conflit. Il ne manque également pas de souligner l’inconsistance du Livre Blanc. Seules quatre dépositions ne provenaient pas d'individus allemands et les autres seraient, selon lui, contradictoires et invérifiables. A ce sujet, un article de la Libre Belgique d'avril 1915 nous apprend que, lors des commissions d'enquêtes menées par les Allemands, des Belges sont interrogés au sujet des actes des francs-tireurs, mais ces procès verbaux sont rédigés en allemand alors que les personnes interrogées ne connaissent pas un mot de cette langue. Ils sont ensuite obligés de les signer 46. Les nombreuses incohérences de cette enquête aurait dû ébranler la conviction des intellectuels allemands quant à la certitude de leurs accusations. Et pourtant, aucun d'entre-eux ne décide alors de se rétracter 47. Pourquoi? Serait-ce par conviction? Ou par peur ? Massart n'y croit pas un seul instant car si les intellectuels belges ont le courage de faire face à la vérité, pourquoi n'en serait-il pas de même pour leurs collègues allemands ? A ces interrogations, Massart ne voit qu'une seule réponse : « (…) la volonté de se garder de tout ce qui risquerait d'ébranler le prestige de leur pays (…). C'est par discipline. Cet étonnant esprit de discipline qui s'était déjà montré lors de la publication du manifeste, puisque plusieurs d'entre eux l'ont signé sans l'avoir lu »48. Pour Massart, ce constat signe la fin de toutes relations scientifiques internationales avec les Allemands et il exprime même son souhait que tous les membres allemands des institutions académiques étrangères soient rayés des listes. Selon lui, ceux qui ont été un jour à même de falsifier 44 45 46 47 48

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MASSART Jean, Les Intellectuels allemands et la Recherche de la Vérité, op. cit., pp.2-3. Ibidem, p. 3. La Libre Belgique, n°17, avril 1915, p.3 col.1. MASSART Jean, Les Intellectuels allemands et la Recherche de la Vérité, op. cit., p 15. Ibidem, p. 23.

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l'Histoire, seront capables de falsifier la science si la discipline le leur impose 49. Jean Massart ne sera bien sûr pas le seul à dénoncer les calomnies allemandes. Ce sera également le cas d'Émile Vandervelde, académicien et figure incontournable de la politique socialiste belge. C'est au début de la guerre, en août 1914 qu'il accède au poste de Ministre d'État50. En exil à Saint-Adresse comme le reste du gouvernement, il décide alors de rédiger une courte réponse à l'Appel au monde civilisé qui sera publiée en 1915 sous le titre : « Leur mentalité ». Dans cette réponse à l'Allemagne intellectuelle, Vandervelde n'hésite pas à prendre à partie certains professeurs. Tout comme dans la réplique de Massart, il met en lumière le manque de libre arbitre des signataires et dénonce leur allégeance aveugle à l'Empereur51. Point par point, il s'attelle à démonter les accusations allemandes en utilisant un ton satirique qui ne laisse aucune équivoque quant à la colère et au mépris de l'auteur. Vandervelde conclut : « Non l'Allemagne n'est pas destinée à disparaître. Ce qui disparaîtra, ce que nous abattrons, ce dont il ne doit rester de trace c'est l'esprit militaire prussien, incarné dans la maison de Hohenzollern. Vive encore l'Allemagne ! Mais soit détruit à jamais le nid de vipères militaristes.» 52

Cette conclusion est particulièrement intéressante puisque l'auteur y expose sa vision d'une Allemagne comme scindée en deux blocs. Et pour cause. Depuis l'époque des conflits qui opposaient l'Allemagne à la France, circulait dans les milieux intellectuels la théorie des deux Allemagnes. L'une bonne et savante, celle du passé et en 1870, celle des Etats du Sud ; l'autre mauvaise, à présent dévouée à son militarisme et associée à la Prusse53. Comme nous pouvons le constater, ce mythe trouva à nouveau tout son sens dans les yeux des contemporains de la Première Guerre Mondiale. Les mythes et les légendes jouent donc une rôle central en période de conflit. Ainsi, dans ce chapitre sur la réplique des intellectuels belges en exil, nous nous devons également de citer les travaux menés par Fernand Van Langenhove pour le compte du Bureau Documentaire Belge car ceux-ci apporteront réellement un éclairage nouveau sur 49 MASSART Jean, Les Intellectuels allemands et la Recherche de la Vérité, op. cit.,p. 30. 50 POLASKY Janet, « Vandervelde Émile », Nouvelle Biographie nationale, Bruxelles, Académie royale de Belgique, T. 1, 1988, p. 347. 51 VANDERVELDE Émile, Réponse à l'Allemagne intellectuelle : leur mentalité, S.l., 1915, p.5. 52 Ibidem, p. 12. 53 KREBS Gilbert, SCHNEILIN Gérard, La naissance du Reich, Paris, Publications de l'Institut d'Allemand, 1995, p.50.

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les événements qui marquèrent les premiers mois du conflit 54. Dans son ouvrage, Comment naît un cycle de légendes. Francs-tireurs et atrocités en Belgique paru en 1916, Van Langenhove, qui a été formé à la sociologie fonctionnelle au sein de l'Institut Solvay 55, constate, sur base des dépositions allemandes, que ceux-ci étaient intimement convaincus qu'ils étaient les victimes d'une résistance civile. Selon lui, les «cycles de légendes» qui circulent au sein de l'armée et dont la portée sera d'autant plus forte que ces légendes seront consciemment manipulées par les hautes instances militaires dans le but de galvaniser les soldats, justifient cette croyance bien qu'elle ne soit, en réalité, qu'une illusion56. Loin de souhaiter justifier les atrocités commises sur le sol belge, Fernand Van Langenhove leur apporte toutefois un éclairage plus équilibré. Dans le cadre de notre travail, il pointe surtout un élément essentiel, à savoir que ces croyances étaient également partagées par l'élite allemande de l'époque 57. Ce point est fondamental dans la compréhension des raisons qui ont pu amener les signataires du Manifeste des 93 à approuver un tel document sans douter de sa véracité. Enfin, le dépouillement de la presse nous a permis de trouver quelques traces des réactions que va entraîner la publication de l'Appel au monde civilisé à l'étranger. Ainsi, dans un article paru dans l'Indépendance Belge du 28 octobre 1916, on peut lire : «La Ligue des Artistes belges à Londres désire voir à l'avenir tous les nationaux austroallemands exclus de tous les groupes artistiques, expositions ou manifestations d'art quelconque en Belgique, et souhaite voir cette exclusion s'étendre aux pays alliés »58 . Dans le domaine musical, la Ligue de Patriote en fera de même en votant, le 17 janvier 1916, un ordre du jour proposant aux citoyens belges le boycottage des œuvres musicales, instruments, chanteurs ou chefs d'orchestre allemands 59. Le désir des intellectuels et artistes belges de couper tous rapports avec l'Allemagne est extrêmement fort. Ainsi, nous apprenons également que le pianiste et compositeur belge Arthur de Greef refusa une tournée en Irlande sous prétexte que ce pays ne disposait que de pianos allemands 60.

54 HORNE John, « Belgian intellectuals and the german invasion, 1915-1915 », op. cit.,p.399. 55 STENGERS Jean, « Notice sur Fernand Vanlangenhove », Annuaire de l'Académie royale de Belgique, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 1984, p.143. 56 VAN LANGENHOVE Fernand, Comment naît un cycle de légendes. Francs-tireurs et atrocités en Belgique, Lausanne, Payot, 1916, pp. 227-233. 57 HORNE John, « Belgian intellectuals and the german invasion, 1915-1915 », op. cit.,p. 400. 58 L'Indépendance Belge, 28 octobre 1916. 59 Ibibem. 60 Ibibem.

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Les aléas de l'exil n'empêchent donc pas la réplique de s'organiser. Qu'elle soit officielle ou qu'elle émane d'intellectuels désireux, à titre personnel, de rétablir la vérité, elle démontre tous les efforts consacrés à réfuter, punir ou même comprendre les accusations proférées par l'Allemagne. Dans le chapitre prochain, nous verrons que cette ardeur sera également partagée par ceux qui restèrent sur le sol belge durant la période de l'occupation.

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CHAPITRE III LA RÉPLIQUE SOUS LA BELGIQUE OCCUPÉE

Vivre en Belgique durant la période de l'occupation, c'est vivre sous l'ordre de la contrainte de la bureaucratie allemande 61. Par centaines, ces nouveaux fonctionnaires vont infiltrer la structure étatique belge, l'observer et la modifier. Durant les quatre années de cette domination asphyxiante, les citoyens belges seront pillés, affamés, contrôlés et par conséquent réduits au silence62. Pourtant certains intellectuels, qu'ils soient professeurs ou écrivains, trouveront le courage de riposter aux attaques allemandes présentes dans le Manifeste des 93. Dans ce chapitre, nous analyserons premièrement les répliques formulées par Godefroid Kurth et Joseph Chot. Tous deux écrivains, ils leur donneront la forme d'ouvrages rédigés pendant l'occupation pour tenter de faire la lumière sur la réalité des événements qui se sont déroulés chez nous au début de la guerre. Ensuite, nous nous pencherons sur le cas particulièrement intéressant de l'historien Henri Pirenne. Par sa connaissance pointue de l'Allemagne ainsi que par les liens d'amitié qu'il entretenait avec Karl Lamprecht, l'un des signataires de l'Aufruf an die Kulturwelt, son point de vue nous apportera un éclairage intéressant des conséquences de la publication de ce manifeste sur les relations de coopération scientifique internationale et plus particulièrement sur la détérioration des liens interpersonnels entre les intellectuels de l'époque.

3.1 La réplique selon Godefroid Kurth et Joseph Chot Décédé le 4 août 1916, Godefroid Kurth ne verra jamais la signature des accords de paix qui mettront un terme à la guerre. Pourtant, dans l'ouvrage inachevé qu'il nous lègue63, il est facile de déceler la conviction de l'homme en la victoire prochaine des pays

61 DUMOULIN Michel (dir.), Nouvelle histoire de Belgique. Volume 2 : 1905-1950, Bruxelles ,Complexes, 2006, p.95. 62 DE SCHAEPDRIJVER Sophie, « Deux patries. La Belgique entre exaltation et rejet 1914-1918», op.cit., p. 22. 63 Seuls les cinq premiers chapitres étaient clotûrés, tandis que trois autres étaient dans un état relativement avancé.

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alliés64. Si cet ouvrage, Le Guets=Apens Prussien en Belgique, nous intéresse particulièrement dans le cadre de notre recherche c'est avant tout parce qu'il exprime avec justesse toute la douleur éprouvée par les citoyens belges devant le silence que leur ennemi souhaitait leur imposer : « Pendant qu'il [l'ennemi] nous bâillonnait pour empêcher le cri de notre douleur de retentir, il racontait à l'Europe nos prétendus crimes et s'employait à lui démontrer que nous ne méritions pas le nom de nation civilisée (…). C'en est trop, et, pour le coup, l'univers entendra la voix de la victime jusqu'aujourd'hui muette. Je l'élève, cette voix, au nom de ma patrie mutilée et sanglante »65

Tout comme Massart ou Vandervelde, Kurth va, au fil de son ouvrage, démanteler soigneusement chacune des accusations allemandes. Des questions de la neutralité de la Belgique aux atrocités commises lors de l'invasion, il va mettre ses talents d'historien ainsi que son esprit critique au service du rétablissement de la vérité. Mais ce n'est pas tout. Ces écrits nous permettent d'appréhender deux autres points essentiels. Premièrement, l'auteur nous révèle que ce livre n'aurait jamais vu le jour si, en dépit de son âge, il lui avait été possible de prendre les armes 66. L'enquête qu'il mène doit donc être comprise comme un acte de résistance. Deuxièmement, il nous fait savoir toute la considération qu'il portait à la nation allemande ainsi qu'à ses scientifiques 67. Il faut dire que cette considération à l'égard du génie allemand était une opinion largement partagée dans les milieux intellectuels belges de l'époque. Ceci explique encore davantage le sentiment de consternation ressenti par ces derniers à la lecture de l'Appel au monde civilisé. Rétablir la vérité à tout prix. Tel était le mot d'ordre pour la plupart des citoyens, intellectuels ou non, qui avaient fait la douloureuse expérience de l'invasion et de l'occupation. Pour Joseph Chot, écrivain spécialiste des régions de l'Entre-Sambre-etMeuse et ancien académicien68, la réplique prend la forme d'un ouvrage dans lequel il collecte minutieusement les témoignages de celles et ceux qui vécurent l'invasion allemande dans la province de Namur durant les journées du 23 au 26 août 1914 69. Les risques que l'écrivain encourait en menant ce genre d'enquête étaient énormes mais, 64 65 66 67 68 69

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KURTH Godefroid, Le Guets=Apens Prussien en Belgique, Bruxelles, Albert Dewit, 1919. KURTH Godefroid, Le Guets=Apens Prussien en Belgique, op. cit., pp. 2-3. Ibidem, p. 5. Ibidem, p. 4. HORNE John, « Belgian intellectuals and the german invasion, 1915-1915 », op. cit.,p. 399. CHOT Joseph, La furie allemande dans l'Entre-Sambre-et-Meuse (Journées des 23,24,25 & 26 Août 1914), Charleroi, Imprimerie D. Hallet, 1919.

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comme il le dit justement, son seul devoir était alors : «(...) celui de se surmonter, d’espérer, et d'agir quand même »70. 3.2. Pirenne – Lamprecht : histoire d'un désaveu Karl Lamprecht et Henri Pirenne sont tous deux reconnus comme étant des figures de proue dans le domaine de l'historiographie nationale au début du XX e siècle71. Le premier, spécialiste de l'histoire générale et économique de l'Allemagne officie au sein de l'Université de Leipzig. Quant au second, il est un éminent médiéviste, historien de la Belgique et professeur à l'Université de Gand 72 dont il deviendra par la suite le Recteur. À l'heure où éclate le conflit, les deux hommes entretiennent une relation d'amitié vieille de vingt-cinq ans et bon nombre de chercheurs s'accordent pour dire que le travail de Lamprecht aura une énorme influence sur celui de Pirenne 73. Tous deux partagent la même vision économique et sociale de l'histoire ce qui les mène à collaborer à plusieurs reprises74. L'invasion allemande marquera un réel tournant dans la relation qu'entretenait les deux hommes75. En effet, pour Pirenne la déception est profonde à l'annonce de l'ultimatum posé par l'Allemagne à la Belgique. Germanophile de longue date, Pirenne avait toujours entretenu des liens étroits avec les universitaires de ce pays et occupait même le poste de président d'une organisation belge visant à l'encouragement des coopérations

intellectuelles

franco-allemandes 76.

On

peut

donc

comprendre

la

consternation de cet homme quand, au début de l'année 1915, il prend connaissance du contenu du Manifeste des 93 et y voit apposée la signature de son ami Lamprecht 77. Le document anéantit tous les espoirs de Pirenne qui jusqu'alors était un partisan de la théorie des deux Allemagnes78. L'homme se sent trahi. 70 CHOT Joseph, La furie allemande dans l'Entre-Sambre-et-Meuse, op. cit., p.2. 71 WARLAND Geneviève, « Henri Pirenne and Karl Lamprect's Kulturgeschichte : Intllectual transfer or théorie fumeuse ? », dans Revue belge d'Histoire contemporaine, n°41, 2011, p. 427, [en ligne]. .(consulté le 16 juillet 2014). 72 WARLAND Geneviève, « Les métaphores de la nation chez Henri Pirenne et Karl Lamprecht : entre romantisme et humanisme », dans ROLAND Hubert , SCHMITZ Sabine (éd.), Pour une iconographie des identités culturelles et nationales. La construction des images collectives à travers le texte et l’image, Frankfurt, P.I.E. Peter Lang, 2004, p. 179, [en ligne]. . (consulté le 16 juillet 2014). 73 WARLAND Geneviève, « Henri Pirenne and Karl Lamprect's Kulturgeschichte », op. cit., p. 428. 74 WARLAND Geneviève, « Les métaphores de la nation chez Henri Pirenne et Karl Lamprecht »,op. cit., p.180. 75 CHAGNON Marie-Ève, « Le Manifeste des 93 (...) », op. cit., p. 72. 76 HORNE John, « Belgian intellectuals and the german invasion, 1915-1915 », op. cit.,p. 395. 77 Ibidem, p.396. 78 CHAGNON Marie-Ève, « Le Manifeste des 93 (...) », op. cit., p.71.

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En mars 1916, Henri Pirenne est déporté en Allemagne pour avoir refusé la réouverture de l'Université de Gand que les Allemands souhaitaient flamandiser 79. Le plus étonnant réside alors dans le fait que ce sera Karl Lamprecht lui-même qui enverra une lettre au chancelier Bethmann-Hollweg dans le but de faire libérer son ami. Il obtiendra une réponse positive80. Toutefois, malgré ce geste, Pirenne ne pardonnera jamais à Lamprecht81. Par ailleurs, en signe de protestation à la déportation de Pirenne, 93 professeurs d'histoire des universités d'Amérique du Nord adressèrent au Secrétaire d'Etat allemand, une pétition en faveur de la libération de celui-ci. Le nombre de signatures que comportait le document ne doit bien évidemment rien au hasard 82. Cet événement nous démontre tout le paradoxe dont fait preuve Lamprecht dans sa volonté de concilier à la fois ses aspirations nationalistes avec ses rapports au sein de la communauté scientifique internationale. Dans son mémoire, Marie-Ève Chagnon nous apprend que les intellectuels signataires du Manifeste ne furent jamais réellement conscients de l'impact qu'aurait leur engagement sur les relations de coopération scientifique d'après la guerre83. Pourtant, à en croire l'exemple significatif d'Henri Pirenne, nous constatons que l'Appel au monde civilisé marquera d'un sceau indélébile la vision de l'historien quant à la nation allemande et à ses intellectuels. A titre d'exemple, c'est Pirenne qui, en 1919, demanda personnellement l'exclusion de Lamprecht de l'Académie royale de Belgique84. Il déclinera également, par la suite, toutes les sollicitations adressées par Lamprecht pour la rédaction d'articles à caractère historique. Enfin, dans le discours d'ouverture85 qu'il pronnonça à l'Université de Gand lors de la rentrée académique de 1920, Pirenne ne manqua pas d'exprimer sa méfiance envers la nation allemande et ses intellectuels allant jusqu'à qualifier les thèses de Lamprecht de « théories fumeuses»86. L'expérience de la guerre et la prise de conscience du nationalisme exacerbé des historiens allemands modifieront à jamais la vision d'Henri Pirenne 87.

79 LASERRA Annamaria, LECLERCQ Nicole, QUAGHEBEUR Marc (dir.), Mémoire et Antimémoires littéraires au XXe siècle. La Première Guerre Mondiale, vol. 2, Bruxelles, P.I.E. Peter Lang, 2008, p. 14 ; PIRENNE Henri, The Journal de Guerre of Henri Pirenne, Amsterdam, North-Holland publ., 1976, p. 17. 80 CHAGNON Marie-Ève, « Le Manifeste des 93 (...) », op. cit., p. 72. 81 Ibidem, p.72. 82 DMITRIEV N. Aleksandr, « La mobilisation intellectuelle (...) », op. cit., p. 634. 83 CHAGNON Marie-Ève, « Le Manifeste des 93 (...) », op. cit., p. 75. 84 WARLAND Geneviève, « Henri Pirenne and Karl Lamprect's Kulturgeschichte », op. cit., p. 435. 85 PIRENNE Henri, Ce que nous devons désapprendre de l'Allemagne, Gand, Hoste, 1922. 86 WARLAND Geneviève, « Henri Pirenne and Karl Lamprect's Kulturgeschichte », op. cit., p. 439. 87 WARLAND Geneviève, « Les métaphores de la nation chez Henri Pirenne et Karl Lamprecht »,op. cit., p.188.

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CHAPITRE IV RÉPONSES DES PAYS ALLIÉS ET NEUTRES

Qu'il s'agisse de création de commissions d'enquête, de collectes de témoignages ou encore d'ouvrages, nous venons de voir que l'occupation ou l'exil n'a pas empêché les intellectuels belges de répliquer au Manifeste des 93. Mais qu'en est-il pour les pays Alliés ou neutres ? Bien que les accusations formulées dans le document les concernent dans une moindre mesure, nous verrons que les réponses émanant de la France, du Royaume-Uni, des Etats-Unis ou encore de la Suisse ne se sont pas fait attendre. Bien que ce point dépasse légèrement le cadre de notre recherche, l'analyse de quelques réponses significatives de la communauté internationale nous permet d'appréhender comment la réplique s'organise lorsqu'elle est le fruit d'une réflexion commune émanant des institutions académiques ou universitaires.

4.1 La réplique à l'échelle internationale Dès sa genèse, les objectifs poursuis par l'Appel au monde civilisé étaient clairement affichés. Son but était de convaincre l'opinion publique étrangère du caractère défensif de la lutte dans laquelle l'Allemagne s'était engagée. Il n'est donc pas étonnant que, très vite, ce document suscita des réponses de l'ensemble de la communauté intellectuelle internationale88. Ainsi, lorsque le 24 décembre 1914, l'Indépendance Belge publie pour la première fois89 le texte complet de l'Aufruf an die Kulturwelt, celui-ci est accompagné de réponses provenant de Suisse, de France, du Royaume-Uni et de Belgique 90. Il est intéressant de constater que si la réponse belge s'emploie plutôt à relater, de manière précise, le passage des troupes allemandes à Surice, les rédacteurs des réponses françaises, suisses et anglaises expriment déjà leur surprise quant au manque de rigueur scientifique 88 CHAGNON Marie-Ève, « Le Manifeste des 93 (...) », op. cit., p.134. 89 Le rédacteur de cet article nous fait savoir qu'au moment des faits l'Indépendance belge était en train de s'installer dans ses nouveaux locaux londoniens ce qui ne lui a pas permis de publier le contenu du Manifeste des 93 plus rapidement. 90 L'Indépendance belge, 24 décembre 1914 ; MASSART Jean, La presse clandestine dans la Belgique occupée, op. cit., p.21.

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dont font preuve les intellectuels allemands en signant un document dont les accusations ne sont, pour l'heure, pas vérifiables91. Pour les Français, la publication du Manifeste des 93 suscita principalement le retour de débats houleux sur la spécificité de la culture allemande et sur l'incidence de grands auteurs comme Hegel sur la naissance de mouvements pangermanistes 92. Parallèlement la réplique provenant d'institutions se mit en place. Le 19 octobre 1914, la Société des auteurs et des compositeurs dramatiques exclut de ses membres les signataires du Manifeste tels que Sudermann, Siegfried Wagner ou Gerhart Hauptmann 93. Peu après, l'Académie des Beaux-Arts et l'Académie des Sciences morales et politiques s'associèrent à l'Académie des Inscriptions et des Belles-lettres pour condamner unanimement l'Aufruf an die Kulturwelt94. Ce qui est intéressant de constater, c'est la volonté des intellectuels d'émettre une réponse collective au nom de l'Institut de France. On peut donc légitimement se demander s'il en aurait été de même en Belgique si l'occupation n'avait pas contraint les académies à fermer leurs portes. Quant à la question de l'exclusion des membres austro-allemands des académies françaises, elle provoqua un vif débat au sein des membres. Ceux-ci décidèrent d'avertir par courrier les membres susceptibles d'être exclus afin de leur laisser un droit de réponse, qui, sans réaction de leur part dans les délais impartis, entraînerait leur radiation des listes 95. Finalement, dès le mois de juillet de l'année 1915, tous les membres austro-allemands de l'Institut de France furent radiés des académies96. En dehors de ce contexte institutionnel, de nombreux intellectuels français réagirent également à la publication du Manifeste des 93 sous la forme d'ouvrages, d'articles de presse ou de manifestes. Ainsi, en 1915, de nombreux scientifiques, artistes ou écrivains français (dont plusieurs femmes) s'unirent pour émettre une réponse collective au document appelée : Le Manifeste des 10097.

91 92 93 94 95 96 97

L'Indépendance belge, 24 décembre 1914. CHAGNON Marie-Ève, « Le Manifeste des 93 (...) », op. cit., p.39. Ibidem, p.124. Ibidem, p.125. Ibidem, p.127. Ibidem, p.131. Ibidem, p.133.

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Tout comme il le fit en France, le Manifeste des 93 suscita l'émoi et l'indignation au au sein de la communauté intellectuelle du Royaume-Uni. Ce pays fut, aux côtés de la Belgique, l'un des premiers à mettre en place la création de commissions d'enquête visant à faire le jour sur les événements du premier mois de la guerre. C'est le premier ministre Herbert Henry Asquith qui chargea Lord Bryce, président de la British Academy, de collecter les témoignages qui pourraient attester les rumeurs sur les atrocités allemandes commises en Belgique. Dans son rapport publié en mai 1915 et appelé le Bryce Report, James Bryce appuie la théorie des deux Allemagnes et condamne fermement le militarisme allemand98. Ce rapport sera traduit en français par Henri Davignon, qui, nous l'avons vu, avait lui-même mené une précieuse enquête auprès des ressortissants belges exilés à Londres99. En marge de ces enquêtes officielles, quelque cent dix-sept intellectuels britanniques rédigèrent également une réponse collective à l'Appel au monde civilisé qui sera publiée dans le Times à la date du 21 octobre 1914100. Enfin, s'il y a un pays que les signataires du Manifeste cherchaient particulièrement à convaincre, c'était les Etats-Unis. Pourtant, la réplique des intellectuels outre atlantique fut l'une des plus virulentes101. A ce titre, la réponse de Samuel Harden Church, président du Carnegie Institute of Tecnology de Pittsburgh est éloquente. Church nous fait savoir que l'Appel au monde civilisé lui a été envoyé par le Dr. Fritz Schaper de l'Université de Berlin, un ami de longue date. Pourtant, en février 1915, Church s'étonne de n'avoir encore reçu aucune réponse de la part de celui-ci 102. Samuel Church estime que les pays neutres ont pu seuls se forger une opinion à l'aide des documents mis à disposition de la communauté internationale et regrette que les intellectuels allemands ne fassent pas confiance en leur impartialité. Il nous livre d'ailleurs une phrase fort intéressante en ce qui concerne la position des pays neutres en temps de guerre : « Our excellent President Wilson (…) has charged us all to maintain an impartial neutrality, and I believe we are earnestly striving to do ; but we are, at the same time, in like manner, earnestly striving to find the right and to condemn the wrong, because neutrality can never mean indifference.» 103

98 HORNE John, « Belgian intellectuals and the german invasion, 1915-1915 », op. cit.,p.395. 99 Ibidem, p. 394. 100 DMITRIEV N. Aleksandr, « La mobilisation intellectuelle (...) », op. cit., p 625. 101 Ibidem, p. 626. 102 CHURCH HARDEN Samuel, The American verdict on the war : a reply to the appeal to the civilized world of 93 German professors, Baltimore, Norman Remington Co.,1915, p.2. 103 Ibidem, p. 6.

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Toujours en ce qui concerne la réplique des intellectuels américains, celle du philosophe Arthur Lovejoy104, résume de manière brève mais précise l'opinion majoritairement partagée dans les milieux académiques de l'époque quant à l'attitude des signataires du Manifeste des 93 : « Nous avons appris des penseurs allemands les principes de la critique historique et de l’objectivité analytique. Or, ces mêmes principes appliqués aux événements actuels se réduisent

à une grossière compilation d’inexactitudes, de spéculations,

d’exploitation vulgaire de ce qu’on considère comme des préjugés américains. [...] Les intellectuels professionnels d’Allemagne, où leur rôle social est plus important que dans n’importe quel autre pays, n’ont pas su, à un moment crucial de l’histoire allemande, garder leur esprit froid et se laisser guider par leur propre principe de critique engagée et objective. »105

Enfin, notons également l'abondance des répliques en provenance de la Suisse, pays neutre mais géographiquement enclavé dans le conflit. A titre d'exemple, la réplique de Jean Massart était accompagnée de la réponse du Journal de Genève. Comme les américains, les suisses déplorent : « Que devons-nous faire, nous autres qui assistons de loin à l'échange de ces paroles ailées, écouter et marquer les points, en attendant qu'on voudra bien, non pas nous endoctriner, mais reconnaître entre nous les arbitres impartiaux de ces batailles de l'esprit. »106

Nous constatons donc que l'Appel au monde civilisé, loin de répondre aux attentes de ses signataires, tend à mécontenter à bien des égards la communauté internationale. Se sentant prise à partie, celle-ci répliquera en masse afin de faire savoir aux intellectuels allemands que leur impartialité ne se laissera pas si facilement altérer. Au vu de ces réponses, nous constatons que l'Allemagne et ses intellectuels commencent peu à peu à prendre conscience qu'ils perdent le soutien de la communauté internationale 107. Nous verrons, dans le prochain chapitre, que cette « guerre des esprits » aura des répercussions sérieuses sur les échanges de coopération scientifique d'après-guerre.

104 DMITRIEV N. Aleksandr, « La mobilisation intellectuelle (...) », op. cit., p 626. 105 GRUBER Carol, Mars and Minerva. World War I and the Uses of the higher learning in America, Baton Rouge, The University of Louisiana Press, 1975, pp. 67-68. 106 MASSART Jean, Les Intellectuels allemands et la Recherche de la Vérité, op. cit., pp. 2-3. 107 CHAGNON Marie-Ève, « Le Manifeste des 93 (...) », op. cit., p.75.

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CHAPITRE V CONSÉQUENCES SUR LES RELATIONS INTERNATIONALES D'APRÈS-GUERRE

Nous venons de le voir, la publication du Manifeste des 93 entraîna de nombreuses réactions tant de la part des pays belligérants que de la part des pays neutres. De simples réponses au travers de la presse à la radiation des membres austro-allemands des académies et institutions, l'Appel au monde civilisé eut des répercussions que ses signataires étaient loin de présager. Certains que la guerre qu'ils menaient était juste et avant tout défensive, les intellectuels, académiciens et artistes qui s'étaient ralliés à la cause de leur armée en 1914 commencent à voir leurs certitudes s'ébranler au fil des années de conflit. La fin des hostilités en 1918 changera, bien évidemment, la position de certains de ceux-ci quant au Manifeste qu'ils avaient préalablement approuvé 108. A ce titre, en 1919, le pacifiste allemand Hans Wehberg demanda aux signataires encore vivants de se positionner sur le document dans le but de parvenir à une éventuelle réconciliation au sein de la communauté scientifique internationale . Tandis que certains, comme l'écrivain Hermann Sudermann, en profiteront pour réaffirmer leur soutien au Kaiser, une majorité, à savoir 42 signataires, préfèrera se distancier des déclarations faites dans le document109. Toutefois, cette désapprobation postérieure ne suffit pas à rétablir les liens de coopération intellectuelle à l'échelle internationale. Ainsi, dans son article sur la mobilisation intellectuelle, le chercheur Aleksandr Dmitriev nous apprend qu'il faudra attendre la fin des années 1920 pour voir l'Allemagne réintégrée dans le système de collaboration inter-européenne de recherche 110. En Belgique, la victoire n’apaise pas la rancoeur. Ainsi, au même titre qu'Henri Pirenne, beaucoup d'intellectuels resteront marqués par l'expérience de la guerre et leur méfiance à l'égard de la nation allemande et de sa communauté intellectuelle se lira encore 108 CHAGNON Marie-Ève, « Le Manifeste des 93 (...) », op. cit., p.75. 109 Ibidem, p. 78. 110 DMITRIEV N. Aleksandr, « La mobilisation intellectuelle (...) », op. cit., p. 636.

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longtemps dans leurs travaux111. Dans un article de l'Indépendance belge d'octobre 1919 relatant l'enquête de Hans Wehberg et la prise de distance de certains signataires soutenant que les affirmations du document étaient, au moment des faits, insoutenables, les rédacteurs n'hésitent pas à conclure, non sans ironie, qu'« ils avaient mis du temps à s'en apercevoir »112. Au même titre, le Club des Écrivains belges, la section belge P.E.N Club britannique (Poet, Essayist, Novelist) nous livre un autre exemple éloquent de la difficulté de rétablir des liens de coopération après-guerre. En effet, en 1923, celui-ci refuse de participer à la réunion internationale organisée à Londres en apprenant la présence de Gehrart Hauptmann, signataire non repenti du Manifeste des 93113. Le club en avise alors les organisateurs par une lettre qui sera ensuite publiée dans le journal Le Soir. « Le C.E.B croit qu'il est dans la nature de tous les P.E.N. Clubs du monde de nouer ou renouer les relations intellectuelles les plus internationales possibles dès l'instant qu'elles restent compatibles avec la dignité humaine. C'est pourquoi, tout en désirant très vivement être des fêtes des 1er au 3 mai, à Londres, il répugne au C.E.B. d'y envoyer un représentant qui risque d'y voisiner avec un signataire non repenti du manifeste des intellectuels allemands. À moins que vous ne puissiez nous donner l'assurance formelle que Gehrart Hauptmann, au talent littéraire duquel nous rendons l'hommage qu'il mérite, ne sera pas présent, nous aurons le très vif et très pénible regret de ne pas participer à ces belles fêtes de fraternisation intellectuelle. »114

Les institutions académiques ne sont pas les seules à avoir souffert des ravages de la Première Guerre Mondiale. Au niveau politique, ce fut également le cas de la Deuxième Internationale ou Internationale Socialiste115, dont Émile Vandervelde fut le président durant la durée du conflit. Bien que les socialistes se revendiquaient être des hommes de paix116, ils n'hésitèrent pas dès les premiers jours du conflit à approuver les crédits de guerre117. Dans son ouvrage sur les socialistes belges, Marcel Liebman pointe tout le paradoxe qui réside entre la volonté internationaliste du parti et ses aspirations patriotiques en temps de guerre 118. Quoi qu'il en soit, le refus des pays alliés de participer à 111 WARLAND Geneviève, « Les métaphores de la nation chez Henri Pirenne et Karl Lamprecht »,op. cit., p.188. 112 L'indépendance belge, 31 octobre 1919. 113 MIGNON Nicolas, Les Grandes Guerres de Robert Vivier (1894-1989), Mémoires et écritures du premier conflit mondial en Belgique, Paris, L'Harmattan, 2008, p. 63. 114 Le Soir, 12 avril 1923, p.5. 115 DMITRIEV N. Aleksandr, « La mobilisation intellectuelle (...) », op. cit., p 642. 116 A titre d'exemple l'un de leur slogan était : « Le socialisme brise le dernier fusil ! » 117 LIEBMAN Marcel, Les socialistes belges 1914-1918 : le P.O.B. Face à la guerre, Bruxelles, La Revue Nouvelle, Fondation J. Jacquemotte, Editions Vie Ouvrière, 1986, p.12. 118 Ibidem,p.16.

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la conférence qui devait se tenir à Copenhague en 1915 sous prétexte que l'idée d'y rencontrer des socialistes allemands leur est insupportable, confirme que la Deuxième Internationale est bien morte 119. Le même sort fut réservé à l'Association internationale des académies, puisque l'Institut de France refusa, après-guerre, de maintenir des relations de coopération, même indirectes, avec les institutions allemandes 120. Les années qui suivirent la fin des hostilités ont sans conteste été marquées par un boycott de la science allemande 121 qui fut sans doute le prix à payer pour la prise de position de ses intellectuels lors des premiers mois du conflit. Avec le recul dont nous disposons à l'heure actuelle, nous savons que l'Allemagne regagnera petit à petit la confiance de la communauté internationale, bien que ce processus de réintégration soit long. Alors qu'en 1920, le poète Robert Bridge appelait déjà dans son Manifeste d'Oxford les scientifiques du monde à oublier les dommages de la guerre et à suivre les voies d'une entente collaborative122, nous savons que ce n'est que bien plus tard que ces propos trouveront écho au sein de la communauté intellectuelle internationale.

119 LIEBMAN Marcel, Les socialistes belges 1914-1918 , op.cit, p.43. 120 DMITRIEV N. Aleksandr, « La mobilisation intellectuelle (...) », op. cit., p 642. 121 Ibidem, p. 643. 122 Ibidem, p. 636.

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CONCLUSION

Depuis maintenant un siècle, la Première Guerre Mondiale n'a de cesse de passionner les chercheurs du monde entier. Le sujet dispose d'une historiographie abondante et les nombreuses pistes de recherche qui permettent de l'envisager nous révèlent toute la richesse ainsi que la complexité qui entourent cet événement. A cet égard, notre recherche concernant la réplique des intellectuels belges suite à la publication du Manifeste des 93, nous a permis de constater qu'en marge des batailles purement militaires, la Première Guerre Mondiale fut également synonyme d'une réelle lutte rhétorique dans laquelle se sont engagés avec ferveur les hommes de lettres, les scientifiques et les artistes de l'époque. Dans notre premier chapitre, nous avons vu que l'annonce de l'entrée en guerre provoqua un réel sentiment d'euphorie parmi la population des pays belligérants. En Allemagne plus particulièrement, on constate la naissance d'un fort engouement patriotique qualifié d'«Esprit 1914». Celui-ci n'épargna pas la communauté intellectuelle du pays, qui, lorsque les premières critiques émanant des pays étrangers suite à la violation de la neutralité belge et les exactions commises lors de l'invasion vinrent entacher l'honneur et la réputation de leur nation, crut bon de répondre à ces accusations sous la forme d'un Manifeste visant à convaincre l'opinion publique étrangère de la justesse de la cause allemande. Notre recherche nous a permis d'établir plusieurs hypothèses qui expliquent cette mobilisation intellectuelle, comme par exemple, le rôle majeur qu'à pu jouer le mythe des francs-tireurs dans la conviction de l'Allemagne de mener une lutte défensive. Quoi qu'il en soit, le Manifeste des 93 ne tarda pas à susciter de vives réactions de la part des intellectuels des nations alliées, et notamment en Belgique puisque le document y niait les crimes commis sur son propre sol. Nous avons vu que la réplique belge fut abondante et prit diverses formes malgré les obstacles constitués par l'exil ou l'occupation. Qu'il s'agisse de l'établissement de commission d'enquête ou de récits qui relatent minutieusement le déroulement des faits,

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nous pouvons maintenant conclure que toutes ces réponses ont en commun le fait que leurs auteurs souhaitaient à tout prix livrer le récit fidèle des événements qui marquèrent le début des hostilités. Pour les intellectuels belges, la question de la vérité devint un élément central. Dans le cadre de l'étude comparative avec les réponses émises par les pays alliés ou neutres, nous avons d'ailleurs pu démontrer que c'est ce désir de justice qui confère à la réplique belge son caractère singulier. La lecture de ces réponses nous a également permis de noter la grande déception que l'Appel au Monde civilisé suscita au sein de la communauté scientifique belge. En effet, dans leur réplique, de nombreux intellectuels ne manquent pas de rappeler combien ils estimaient leurs homologues allemands avec lesquels ils entretenaient des liens de coopération à la fois cordiaux et fructueux depuis de nombreuses années. A ce titre, l'analyse de la relation entre Henri Pirenne et son collègue Karl Lamprecht nous a permis de constater que ces liens, une fois brisés, seront difficiles voire impossibles à reconstruire. La guerre aura, nous l'avons vu, de lourdes séquelles sur les liens de coopération internationale tant au niveau scientifique que politique. La réintégration de l'Allemagne prendra plusieurs années et le boycottage de ses intellectuels entraînera la perte de la position prédominante que celle-ci occupait à l'aube du XX e siècle au sein de la communauté scientifique mondiale. La mobilisation intellectuelle, dont le Manifeste des 93 est sans conteste l'exemple le plus éloquent, nous fait remarquer qu'en temps de guerre, l'intellectuel semble délaisser les caractéristiques propres à sa fonction pour redevenir un simple citoyen. L'esprit critique fait alors place aux sentiments patriotiques avec les conséquences que nous connaissons. Cependant, cette guerre des esprits que se sont livrées les nations ennemies aura le mérite d'avoir rapproché la science de la vie politique et sociale, et recul dont nous disposons nous permet de savoir que ce décloisonnement sera en phase avec la modernisation de la société.

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ANNEXES

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