Os ethe tipificados e os ethe emergentes como condição da argumentação nas midias.

June 13, 2017 | Autor: Marcel Burger | Categoria: Ethos, Mídias
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emoções, ethos e argumentação.Belo Horizonte: NAD/FALE/UFMG, 2009.

10 OS ETHÉ TIPIFICADOS E OS ETHÉ EMERGENTES COMO CONDIÇÃO DA ARGUMENTAÇÃO NAS NÍDIA

MARCEL BURGER UNIVERSIDADE DE LAUSANNE

INTRODUCTION Cet article porte sur la construction discursive des identités – ou èthos – dans les débats médiatiques. Il traite plus précisément de l’èthos comme une construction collaborative représentant une condition préalable à l’argumentation. Soutenir une thèse en vue de convaincre un public implique pour les débattants, au préalable, au moins une double reconnaissance identitaire : celle qui entérine leur légitimité à dire et celle qui porte sur leur crédibilité. Mon propos focalise ainsi, en amont de l’argumentation dans les débats, sur le travail collaboratif de légitimation et de crédibilisation qui engage les débattants entre eux, mais aussi l’animateur et le public. L’analyse à proprement parler porte sur quatre courts extraits tirés de deux émissions récentes de débats télévisés francophones. La première émission – Infrarouge – est produite et diffusée par une chaîne de service public suisse (TSR1) à raison d’une diffusion hebdomadaire à une heure de grande écoute depuis février 2004. La seconde – Ça va se savoir – représente l’une des copies européennes du célèbre « The Jerry Springer show » états-unien. L’émission à succès est diffusée par une chaîne privée franco-belge (RTL9) plusieurs fois par semaine depuis mars 2002. Au plan théorique et méthodologique, je situe le propos 383

dans le cadre d’une approche interactionniste en analyse du discours où l’accent est mis sur la dynamique des activités langagières accomplies par les participants aux débats. L’attention est ainsi portée sur le processus des constructions identitaires, d’où l’idée d’èthos en quelque sorte « en action ». Une telle perspective implique un ancrage interdisciplinaire qu’il vaut la peine de discuter brièvement. ANALYSER L’ ÈTHOS «EN ACTION»: UNE INTERDISCIPLINARITÉ FOCALISÉE Depuis une vingtaine d’années, de nombreux travaux en sciences du langage (désormais SL) prônent une approche interdisciplinaire avec en toile de fond un ancrage dans les sciences de la communication (désormais SC). Une telle approche semble pertinente à condition d’être « focalisée », c’est-à-dire impliquant de fixer autant le cadre de pertinence des domaines de chaque discipline qu’un ensemble commun de concepts théoriques, voire de procédures méthodologiques (voir Charaudeau 2008). À ce titre, il est significatif que les SL ont opéré un « tournant actionnel » en intégrant des concepts issus des théories de l’action (voir Filliettaz 2002). Dans la même période, les SC ont opéré un « virage linguistique » (voir Bonnafous et Jost 2000) et admettent comme un axe de recherche légitime les analyses langagières. Parce qu’il opère sur les deux versants, le paradigme de l’agir – communicationnel et langagier – semble offrir un accès privilégié à une pratique interdisciplinaire engageant les SL et les SC. Un lien entre SL et SC s’établit par le biais de la notion de « discours » — entendue comme action langagière située — considérée sous un double aspect : communicationnel et langagier. Sous l’angle communicationnel, un discours constitue la part langagière d’une activité de communication engageant des acteurs sociaux avec des finalités et des enjeux actionnels propres dont tout analyse doit tenir compte. Classique dans les théories de l’action, la notion d’« activité » peut être définie comme « l’ensemble des ressources schématiques de l’agir telles qu’elles procèdent du produit cristallisé de préexpériences évaluées » (Filliettaz 2002: 51). Autrement dit, les « activités » témoignent des normes sociales, historiquement constituées et en évolution constante, qui régissent les pratiques humaines. Pour ce qui m’occupe, on peut poser que les pratiques des médias contemporains se caractérisent par trois grands types d’« activités » : informer, divertir et faire de la publicité. Ces « activités » témoignent de savoir-faire distincts (voir Clayman 2008 ; Charaudeau 2005) et engagent donc des instances au profil socioprofessionnel spécialisé : des managers, des journalistes, des animateurs, des cameramen, des monteurs etc. Chaque profil suppose lui-même des compétences témoignant d’une division du travail complexe : par exemple, dans le domaine journalistique, 384

interagissent entre eux des rédacteurs en chef, des chefs d’édition, des rédacteurs, des titreurs etc. (voir Krieg-Planque 2008 ; Siracusa 2001). Considérés comme des « activités » au plan macro social, les discours appellent une analyse socio communicationnelle que le linguiste n’a pas à mener en priorité, mais dont il doit toutefois tenir compte pour éviter les limitations d’une description ad hoc triviale qui manquerait d’accéder aux enjeux psychosociaux des phénomènes étudiés. En revanche, les discours doivent aussi faire l’objet d’une analyse langagière fine à charge du linguiste. En effet, les détails discursifs constituent bel et bien des révélateurs des pratiques sociales. Décrire le discours sous l’angle langagier, c’est accéder alors, en partie du moins, aux normes et systèmes de valeurs qui fondent les pratiques. Ceux-là se négocient dans et par le détail langagier et donc se constituent in fine par des discours. Ainsi, pour être pleinement rentable, l’analyse communicationnelle des discours des médias comme « activité » macro sociale doit être doublée d’une analyse langagière des discours comme réalité d’ordre micro linguistique. Dans une perspective actionnelle du discours et de la communication, le pendant micro et langagier des « activités » (macro et sociales) est constitué par les « actions » langagières. Celles-ci représentent les « réalisations effectives et négociées des activités par des agents déterminés dans le cadre de situations déterminées » (Filliettaz, ibid). Dans l’optique précitée, les « activités » témoignent de la réalité typifiée de l’agir alors que les « actions » en manifestent la réalité émergente dans des contextes particuliers. Les « activités » constituent l’horizon d’attentes des « actions », elles en garantissent idéalement la signification. À l’opposé, les « actions » témoignent de l’historicité des « activités » en (re)construisant sans cesse les liens sociaux sur des bases stables. De fait, le développement, en SL, de la pragmatique des actes de langage, des travaux fondateurs d’Austin et Searle jusqu’aux états récents de la logique illocutoire et interlocutoire (Vanderveken 1992 ; Ghiglione et Trognon 1993), constitue un bon ancrage pour une analyse des « actions » langagières. Celles-ci impliquent des « agents », c’est-à-dire des instances dotées d’un èthos « agi», ou, si l’on veut, d’un èthos de « performeur ». Plus précisément, un agent se dote nécessairement d’un èthos qui émerge du cours des actions langagières accomplies : il est, tour à tour, selon les activités dans lesquelles il s’engage, un « argumentateur», un « narrateur », un « conseiller », un « parjure » etc. Dans le même temps, l’agent est doté d’un èthos attendu (ou typifié) propre au cadrage global des activités: tel agent est un « débattant » et tel autre un « animateur » en vertu des attentes propres au genre « débat ». On s’attend ainsi à ce qu’ils se comportent comme tels dans une activité cadrée comme un « débat », ou, dit autrement, 385

qu’ils « fassent » le débattant, respectivement l’animateur en argumentant, racontant, conseillant. Dans ce sens, l’èthos typifié articule la singularité des actions accomplies à un horizon d’attentes signifiant. Dans cet article, je me concentre sur deux propriétés fondamentales des ethos : les conditions d’appropriété sociale, soulignant la légitimité du dire, et les conditions d’appropriété psychologique, marquant la crédibilité. Ces deux dimensions identitaires des actions langagières sont analysées à la fois sous l’angle typifié des « activités » de débats en général et celui émergent des « actions » effectivement accomplies dans les débats du corpus. Les deux types d’èthos (typifiés et émergents) sont repérables en discours. Pour des raisons heuristiques, je propose la réflexion « typifiante » en premier lieu et la réflexion « émergente » ensuite. LES ÈTHOS DANS LES DÉBATS MÉDIATIQUES On peut définir les débats médiatiques comme une pratique à la fois communicationnelle et langagière engageant des èthos particuliers en référence à la sociologie des médias (Livingstone & Lunt 1994 ; Bourdieu 1996), et l’analyse du discours (Tolson 2001 ; Burger 2006). 3.1. LES ÈTHOS DANS LES DÉBATS MÉDIATIQUES EN GÉNÉRAL Un débat dans les médias engage un animateur (ou régulateur) et au minimum deux débattants dans une relation interactive. Leur but est de confronter des opinions pour convaincre un public par l’argumentation sans pour autant négliger les appels à l’émotion. Les débattants sont sur la scène médiatique – la télévision, la radio ou la presse – en vertu de leur qualité d’expert dans un domaine social donné. Quant à l’animateur (ou régulateur), c’est souvent - mais pas forcément toujours - un journaliste, qui a pour tâche de solliciter des opinions et de gérer l’interaction, laquelle prend souvent, compte tenu de ce qui vient d’être dit, un tour polémique. Dans ce sens, un débat constitue un événement médiatique intéressant. Par la confrontation d’opinions sur le mode rationnel de l’argumentation, le débat symbolise l’idée de démocratie et permet ainsi aux médias de jouer un rôle citoyen. Dans le même temps, les confrontations d’opinions – en premier lieu celles basées sur les appels à l’émotion – constituent des moments spectaculaires qui permettent de satisfaire les exigences commerciales en aidant les médias à fidéliser leurs audiences. 3.2. LES ÈTHOS DANS LES CATÉGORIES DE DÉBATS MÉDIATIQUES

386

Les èthos ne sont pas rendus manifestes per se, indépendamment des spécificités des genres de débats dans lesquels ils s’ancrent. On peut distinguer, à la suite des propositions Charaudeau & Ghiglione (1997) et Haarman (2001), trois catégories de débats selon l'enjeu qui s’y trouve manifesté en priorité: + ENJEU CIVIQUE DES MEDIAS débat - citoyen • • •

ENJEU ECONOMIQUE DES MEDIAS + débat - témoignage

débat - spectacle

experts journaliste espace public

• •

experts animateur (interne)

• espace public • visée pédagogique • visée ludique • « centré sur les » D’OPINIONS • centré sur MEDIA RAPPORTEUR débattants l’animateur + presse écrite

• •

gens ordinaires animateur (externe)



espace privé • visée spectaculaire média télévisuel + • centré sur le public

MEDIA « CREATEUR » DE SPECTACLE

Figure 1 : les catégories de débats médiatiques Trois types de débats sont contrastés en fonction de la valeur de trois paramètres : un enjeu dominant (plutôt « citoyen » ou « commercial»), une fonction communicative dominante (le média jouant un rôle de « rapporteur d’opinions » ou plutôt celui de « créateur de spectacle »), et enfin le média lui-même (la presse écrite ou plutôt la télévision). On peut considérer ces catégories par le biais des identités qu’elles présupposent. a) Le débat-civique fait intervenir à fins de confrontation d’opinions des experts dans un domaine social (la politique, la culture, la santé etc.). On attend des experts qu’ils marquent un cadre pédagogique permettant à l’audience d’accroître ses connaissances à propos d’une problématique d’intérêt général. Quant à l'animateur, il est un journaliste qui veille à ancrer le propos dans l'espace public, et laisse s'exprimer les débattants qui constituent le centre d’attention. L’animateur-journaliste intervient surtout pour relancer l’expression des opinions et pour synthétiser le propos à l'adresse du public. Dans ce type de débat, le média endosse le rôle de rapporteur d'opinions et manifeste une préoccupation citoyenne. b) Le débat-spectacle engage également des experts dont le propos s'ancre dans l'espace public, mais accentue un cadre divertissant. La gestion du débat est souvent à charge d’un animateur plutôt qu’un journaliste. Ce dernier prend parti et provoque la confrontation d'opinion pour en exploiter la dimension spectaculaire au détriment de la qualité de l’argumentation. Dans ce sens, il constitue le personnage central dont les débattants sont le faire-valoir. En règle générale, le débat n’est pas motivé par l’émergence d’une opinion consensuelle destinée à instruire le public : seul compte le 387

divertissement. Les débats-spectacle annoncent néanmoins une préoccupation citoyenne, même si celle-ci est un prétexte à la monstration d’un show médiatique. c) Le débat-témoignage ne fait pas intervenir des experts, mais Madame et Monsieur Tout-le-monde. On y propose une mise en scène exagérant le conflit d'opinion, parfois jusqu’à faire « jouer » des acteurs dont les rôles stéréotypés permettent une identification facile de l’audience. Les repères entre le réel et la fiction et entre l’information et le spectacle sont mêlés. Les propos tenus relèvent de thèmes généraux et provocateurs : « J’aime le luxe et alors ? », « Avoir trente ans et ne pas avoir fait l’amour, est-ce normal ? ». L'espace privé de l'expérience de vie des débattants est ainsi exhibé dans un discours intimiste où l’on se confie à un animateur jouant un rôle de « thérapeute ». Quant au public présent sur le plateau, il constitue un véritable acteur en se manifestant bruyamment. Dans ce type de débats, le média n'est plus un rapporteur d'opinions, mais le créateur d'une performance destinée moins à des citoyens qu’au public d’un spectacle médiatique. Il faut cependant garder à l’esprit que tout débat, quel qu’il soit, manifeste selon les moments les propriétés des trois types schématisés ci-dessus. Intrinsèquement spectaculaire, la pratique du débat comporte nécessairement des moments où la violence verbale domine, même dans les débats 'citoyen'. Dans le même ordre d’idées, il ne saurait y avoir de débat 'spectacle' ou 'témoignage' dépourvu d’argumentation raisonnable. Tel débat relève de l’un des types en termes de « dominance », c’est-à-dire parce que les moments « citoyens », respectivement « spectacle » ou « témoignage » y dominent. 3.3. La complexité des èthos dans les débats médiatiques Dans une perspective actionnelle des discours, les débats télévisés constituent une activité « complexe ». Une activité constitue, on l’a vu, une ressource intériorisée par les agents, leur permettant de donner sens à des actions de communication – et donc à des èthos. Une activité est « complexe » sitôt que les actions accomplies supposent une inscription simultanément dans plusieurs cadres d’activité d’où elles tirent leur sens. Une activité complexe représente ainsi un réseau de participants engagés par des finalités et enjeux distincts. Dans mon corpus de débats, les actions langagières effectivement accomplies construisent un ancrage complexe articulant entre eux quatre cadres d’activités avec des èthos spécifiques, comme sur la figure 2 cidessous. Seule la prise en compte de tous les cadres permet d’envisager pleinement ce qui se joue au plan des èthos et de l’argumentation : 388

INFORMATION

DEBAT

MEDIATIQUE (télévision)

actions de « débat » DIVERTISSEMENT

Figure 2 : l’activité de débat médiatique Tout événement de débat médiatique active un cadre de débat à proprement parler (en gras dans le schéma). Ce cadre apparaît le plus directement au téléspectateur et le motive à qualifier telle émission de « débat ». Les actions accomplies dans ce cadre s’interprètent globalement comme une controverse entre au moins deux débattants, alors qu’une tierce instance – un animateur – a pour tâche de gérer l’interaction. Dans le même temps, s’agissant d’un événement télévisé, le débat est déterminé par un cadre médiatique télévisuel, c’est-à-dire un dispositif technologique engageant une audience par des mises en scène distinctes de celles de la radio ou de la presse écrite. Ainsi, les débattants et l’animateur du cadre de débat sont aussi engagés dans le cadre médiatique : ils ont conscience que les propos tenus s’adressent aussi, indirectement, aux téléspectateurs. Dans la même optique, deux autres cadres d’activités impliquant d’autres èthos sont activés par les débats dans les médias : un cadre d’information et un cadre de divertissement. Tous deux sont liés autant à l’activité de débat qu’aux médias en général. Sans entrer dans le détail, on admet que les pratiques médiatiques oscillent entre deux besoins : satisfaire des exigences civiques en informant le public des réalités de l’espace public sur le mode du sérieux ; et satisfaire des exigences commerciales en fidélisant le public grâce à des événements ludiques et fictionnels. À ce titre, le cadre d’information – et l’èthos d’ « informateur » journalistique qui lui est lié – répond en priorité aux exigences civiques, alors que le cadre de divertissement – et l’èthos de « maître de cérémonie » – est lié avant tout aux exigences commerciales. Un débat favorise dans le même temps les deux types d’èthos médiatiques. Comme il suppose l’exposé raisonné de problématiques d’intérêt public, tout débat manifeste une logique de fonctionnement citoyen, mais par son côté spectaculaire, un débat est aussi 389

a priori divertissant. Je limite le propos aux relations entre le cadre de débat à proprement parler et le cadre d’information ou de divertissement. UNE ANALYSE ACTIONNELLE DES ÈTHOS DANS LES DÉBATS MÉDIATIQUES TÉLÉVISÉS

Une analyse actionnelle des discours implique la prise en compte de deux dimensions propres à tout événement de communication : la dimension typifiée et la dimension émergente. La première saisit la communication sous l’angle des activités d’agents-types idéaux. La seconde saisit la communication sous l’angle des actions – y compris les actions langagières - réellement accomplies par des agents singuliers. Par le jeu des actions et des réactions langagières, les agents sinon explicitent, du moins communiquent, les critères en vertu desquels leurs actions acquièrent une signification dans l’échange. Dans ce sens, la dimension émergente comporte pour l’analyste une vertu heuristique : elle donne accès aux procédures de catégorisation des discours et des interactions. L’analyse porte sur deux extraits de deux émissions de débats engageant des èthos différents. D’une part, l’émission Infrarouge qui relève du débat « citoyen » et est diffusée une fois par semaine par la chaîne de service public suisse TSR1. D’autre part, l’émission Ça va se savoir relevant du type « témoignage », qui est diffusée quotidiennement par la chaîne privée franco-belge RTL9. 4.1. LES ÈTHOS TYPIFIÉS DANS LES DÉBATS DU CORPUS La dimension typifiée d’une activité de communication comprend quatre paramètres : la finalité de l’interaction, les identités socio communicatives des agents, la thématique discursive attendue, et enfin le dispositif matériel de la communication (voir Van Dijk 1990, Charaudeau 2005). Si les identités socio communicatives ont directement trait aux èthos typifiés, les trois autres paramètres touchent aussi à la problématique de l’identité. a)

Finalité interactionnelle

La finalité typifiée d’Infrarouge est d’ordre pédagogique. Une voix off souligne que les téléspectateurs vont « apprendre quelque chose » et « se faire une opinion ». Un èthos 'pédagogisant' propre à cette émission est confirmé sur le site internet pour l’émission analysée: « l’assurance maladie coûte cher, trop cher, la faute à qui allez savoir ? Une année on s’en prend aux médecins, l’année suivante c’est les hôpitaux, puis vient l’industrie pharmaceutique. Cette fois c’est haro sur les caisses maladies (...) alors qui conduit cet attelage un peu fou ? ». Au contraire, la finalité typifiée de Ça 390

va se savoir est spectaculaire, comme on peut le lire sur le site de la chaîne RTL9 : « qui a tort ? qui a raison ? Peu importe : Ça va se savoir (cvss pour les intimes) c’est comme une récréation pendant laquelle tout le monde se lâche, à commencer par le public ». Une telle finalité suppose un èthos idoine que l’animateur, comme on le verra, assume pleinement. b)

Identités socio communicatives des agents

Cette dimension touche en premier lieu à l’èthos pré discursif des participants au débat : tous sont experts dans un domaine social. Dans le contexte d’une hausse incontrôlée du coût du système de la santé suisse, l’émission confronte le ministre de la santé à d’autres instances citoyennes, hommes politiques ou citoyens engagés. Au contraire, les agents de Ça va se savoir n’ont aucune expertise particulière et sont nommés seulement par leur prénom, d’autres attributs identitaires, comme un statut social par exemple, étant sans importance. c)

Thématique discursive attendue

Dans le débat Infrarouge, les propos attendus sont d’intérêt public. L’émission s’adresse à une audience considérée comme des citoyens désireux d’être informés de la tenue de l’espace public. Les argumentations visent à convaincre du bien fondé d’une thèse. Au contraire, dans Ça va se savoir, les débattants se contentent de raconter leur expérience de vie. Autrement dit, le propos est ancré dans l’espace privé de l’individu érigé en domaine de pertinence pour le public. Les thèmes relèvent de l’intimité, comme la vie sexuelle insatisfaisante des protagonistes, lesquels n’ont pas de thèse à défendre ni d’audience à convaincre. c)

Dispositif matériel de la communication

Le cadre matériel de la communication est différent pour les deux émissions du corpus. Dans Infrarouge, seule l’avant-scène seule est mise en évidence :

Figure 3 : le dispositif scénique d’Infrarouge 391

La scène est clairement délimitée par des tubulaires métalliques et partagée entre l’animatrice et deux débattants. Les coulisses ne sont pas visibles, l’éclairage est faible et le public peu nombreux. Le dispositif de Ça va se savoir est tout autre :

Figure 4 : le dispositif scénique de Ça va se savoir L’émission offre un accès à l’avant scène, mais aussi aux coulisses. L’entrée des débattants suit un rituel immuable : ils montent sur une scène peu délimitée, sous les vivats bruyants d’un public nombreux. L’éclairage agressif, le filmage dynamique et la musique tonitruante donnent au tout une atmosphère qu’on peut qualifier de spectaculaire. 4.2. LES ÈTHOS ÉMERGENTS DANS LES DÉBATS DU CORPUS Sur ces bases typifiées, macro structurelles et communicationnelles, on peut considérer la dimension émergente, micro structurelle et langagière des èthos dans les débats. On observe que la manière dont le cadre de débat est activé langagièrement infléchi aussi le cadre médiatique pour en marquer la teneur soit informative soit spectaculaire. Autrement dit, des unités actionnelles langagières micro configurent le cadre macro. L’analyse porte sur quatre extraits : la construction collaborative d’un cadre citoyen, celle d’un cadre divertissant, la première polémique entre débattants dans le débat 'citoyen', et enfin la première polémique dans le débat 'témoignage'. 4.2.1. LA CO-CONSTRUCTION D’UN CADRE DE DÉBAT « CITOYEN » Le premier extrait manifeste la construction d’un cadre de débat 'citoyen' à finalité pédagogique. Il s’agit du début de l’émission Infrarouge dont le thème est l’augmentation problématique du coût des soins de la santé en Suisse. L’attention est centrée sur l’èthos émergeant des actions langagières de l’animatrice qui appelle sur scène le débattant Blanchard, opposé à la politique gouvernementale de santé publique.

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« Monsieur Blanchard »1 (Infrarouge, TSR1, 5 octobre 2005) 1

5

animatrice

on va faire un tour de piste monsieur Blanchard (..) [l’animatrice fait signe au débattant ] heuuuuuu (.) secrétaire généraleu (.) [ plan large sur l’ensemble de la scène] secrétaire du mouvement populaire des familles (.) on est arrive au à la caisse unique c’est vous qui avez rédigé pratiquement le texte de cette initiative pour la caisse unique [gros plan sur Blanchard ] bon je vous laisse déjà commenter c’qui s’est dit jusqu’à maintenant

En tant que telle, l’animatrice active le cadre de débat en co-construisant un 'débattant' ratifié. Elle accomplit d’abord un acte langagier de type directif, pour reprendre la terminologie de Vanderveken (1992), qui engage le destinataire à accomplir une action en vertu de la reconnaissance du pouvoir agentif du destinateur, comme avec une requête ou un ordre. Plus précisément, l’animatrice énonce une demande indirecte de venir sur scène dont le contenu propositionnel comprend trois éléments : un appellatif déférent « Monsieur », suivi du patronyme identifiant : « Blanchard », et enfin la mention d’un statut social pertinent pour l’activité en cours : « secrétaire du mouvement populaire des familles » (ligne 4). Ce faisceau de marques linguistiques s’accompagne d’un geste de la main à l’adresse du débattant sélectionné. Ainsi, la légitimité de l’animatrice est d’abord présupposée : elle gère seule la scène de manière incontestée, ce qui manifeste l’existence d’attentes typifiées propres au cadrage du débat. La légitimité de l’animatrice est ensuite implicitée par l’avancée vers la scène de Monsieur Blanchard, qui confirme ce faisant la valeur de requête de l’acte de l’animatrice et son propre statut de débattant ratifié. L’énonciation de l’animatrice marque aussi la crédibilité du débattant. Par une spécification référentielle : « c’est vous qui avez rédigé pratiquement le texte de cette initiative » (lignes 5-6), elle souligne le bien fondé du discours de Blanchard. Dans le même esprit, l’animatrice configure un débattant ancré dans un débat 'citoyen', car Blanchard est présenté comme le porteparole d’une instance collective : le «mouvement populaire des familles ». Son discours à venir est ainsi représentatif d’une tendance sociale d’intérêt public. Enfin, l’animatrice lance le débat par un nouvel acte directif de demande de dire : « bon je vous laisse déjà commenter c’qui s’est dit ».

1

Conventions de transcription: (.) ou (..) indiquent les pauses; les soulignements indiquent des chevauchements de paroles; (XXX) indique des paroles inaudibles ; les annotations entre [crochets droits] informent des réalités non verbales ; les MAJUSCULES indiquent que le locuteur élève la voix ; dans la marge de gauche sont indiqués les statut et nom du locuteur; les numéros dans la marge de gauche renvoient aux lignes du texte retranscrit. 393

4.2.2. LA CO-CONSTRUCTION D’UN CADRE DE DÉBAT « TÉMOIGNAGE » Ces marques identitaires activent un cadre de débat citoyen dans un cadre médiatique d’information. Dans un tel emboîtement de cadres, la polémique propre au débat est au service de l’argumentation experte, c’est-à-dire de la réflexion sur l’espace public. À l’inverse, le second extrait ci-dessous montre la construction d’un cadre de débat 'témoignage' ancré dans un cadre médiatique de divertissement. La confrontation entre participants qui fonde l’activité de débat est alors basée sur l’appel à l’émotion et la finalité consiste moins à convaincre le public que de proposer un spectacle divertissant. Au début de l’émission, deux débattants : Etienne et Marie, polémiquent à propos de leur relation de couple qui bat de l’aile. Tous deux sont des passionnés de théâtre : Etienne, le mari, est un metteur en scène amateur, et Marie, sa femme, l’actrice principale des pièces. Lors des répétitions d’un vaudeville, Marie s’est entichée d’un acteur et annonce sur la scène de l’émission son infidélité et sa décision de quitter Etienne. L’extrait montre l’arrivée sur scène d’Etienne. « Etienne » (Ça va se savoir, RTL9, 12 mai 2006) 1

5

animateur public déb. Marie déb. Etienne animateur déb. Etienne animateur

10 public

Il s’appelle étienne (..) étienne [l’animateur montre la scène] étienne étienne étienne [ gros plan sur un homme du public qui scande le nom de l’invité : 8 sec. ] bonsoir bonjour étienne bonsoir [ l’animateur revient de l’arrière salle] bonsoir étienne vous avez quarante cinq ans vous êtes (déb. Etienne : tout à fait) contrôleur fiscal c’est ça (déb. Etienne : exactement) bouh ouh ouh ouh bouh (déb. Etienne : exactement) [sifflets du public] [gros plan sur une dame de type indien] [l’animateur s’adresse au public : 4sec] ouh ouh bouh

Le pouvoir agentif considérable de l’animateur témoigne que le cadre de débat est englobé et déterminé par le cadre médiatique, comme pour tout événement médiatique. Pour lancer le débat, l’animateur se limite à énoncer le prénom du débattant : « Etienne » (ligne 1). Il accomplit ainsi un acte langagier de type « déclaratif » qui a pour particularité de transformer la situation par le fait même du discours. En d’autres mots, il suffit de l’annonce de son prénom pour que le débattant Etienne entre en scène.

394

Au plan du contenu propositionnel, le prénom contraste singulièrement avec l’énonciation de l’identité dans le débat 'citoyen'. D’abord, par le prénom, on ancre le propos dans un contexte de familiarité. Ensuite, par le prénom, on souligne la non-pertinence de la dimension sociale du débat au profit d’une dimension individualisante, car le prénom seul n’est pas un marqueur identifiant comme un nom propre. Enfin, au plan paralinguistique, on observe que l’animateur répète le prénom en augmentant le volume et en produisant une intonation finale descendante. Il opère de ce fait un cadrage caractéristique des annonces de spectacle consistant à dire dans un premier temps l’identité du participant à l’adresse du public, puis, par la répétition adressée cette fois au participant, à engager ce dernier à se présenter sur scène pour débuter son numéro. Le public confirme ce cadrage « spectaculaire » puisqu’il applaudit à tout rompre pendant près de huit secondes et scande le prénom de celui qui entre en scène: on s’attend dès lors à un divertissement télévisuel. Dans le même esprit, la légitimité d’Etienne est une donnée par défaut : elle n’a pas à être discutée parce qu’imposée par l’animateur. Le public aussi joue un rôle important en se manifestant bruyamment par des actes 'expressifs' qui se caractérisent par l’absence de contenu propositionnel, c’est-à-dire par le fait que seule l’expressivité de l’énonciation est marquée, comme dans les huées (ligne11) : « bouh ouh ouh ouh bouh ». Les actes expressifs sont fortement ancrés dans l’immédiateté de la communication et l’émotionalité du dire. Ils se situent ainsi à l’opposé de l’argumentation rationnelle qui présuppose une prise de distance et un contenu référentiel. Les manifestations d’humeur du public témoignent de l’activation d’un cadre de débat 'témoignage' ancré dans un cadre médiatique de divertissement. Comme pour le débat 'citoyen', l’animateur est une instance essentielle : c’est lui qui donne l’impulsion par laquelle sont activés les cadres d’activité même si les débattants et le public collaborent à la construction de l’événement. Une fois le cadrage global effectué, le débat à proprement parler débute. 4.2.3. LA CO-CONSTRUCTION D’UNE PHASE POLÉMIQUE DANS LE DÉBAT DE TYPE « CITOYEN » En m’inspirant des travaux de Hutchby (1999) et de Haarman (2001), j’ai soutenu l’hypothèse d’une structure canonique identique reflétant la pratique de tout débat médiatique, quel que soit le type : 'citoyen', 'spectacle' ou 'témoignage' (voir Burger 2006). Je rappelle l’essentiel du propos pour la clarté de l’exposé. Souvent chaotiques en apparence, les débats médiatiques suivent de fait rigoureusement une même logique de séquentialisation. Un moment de 395

sollicitation de l’opinion d’un débattant est suivi d’un moment de confrontation directe entre des débattants. Le débattant sollicité est ainsi interrompu avant d’avoir développé son propos. Enfin, suit typiquement un troisième moment permettant au débattant interrompu d’exprimer son point de vue. Les trois moments en question (ou phases) manifestent autant d’èthos différents pour constituer une séquence. Dans cet esprit, un débat est constitué d’un nombre variable de séquences, chacune structurée par une suite de trois phases. L’analyse ci-après ne porte pas sur la séquentialisation à proprement parler, mais sur les èthos émergeant de la gestion collaborative de la polémique. Le premier extrait constitue le premier moment de confrontation entre les débattants de l’émission Infrarouge. « Toutes les propositions …. » (Infrarouge, TSR1, 5 octobre 2005) phase 1

1

déb. Blanchard

5 animatrice 10

déb. Blanchard

15 déb. Couchepin animatrice déb. Couchepin 20 déb. Blanchard déb. Couchepin 25 déb. Blanchard déb Couchepin déb Blanchard

toutes les propositions qu’a faites monsieur Couchepin en matière d’assurance maladie (.) sont (.) [ un doigt levé] antisociales (.) cassent toute la solidarité (.) [ deux doigts levés ] [ gros plan sur le débattant Couchepin ] entre les vieux (.) et les jeunes (.) entre les personnes malades et les (animatrice : donnez-nous un exemple) personnes bien portantes par exemple donnez-nous un exemple [ plan large sur l’ensemble des débattants ] beheuh (.) un exemple très concret monsieur Couchepin dans ses propositions (..) propose de dire (.) affirme (.) que la lamal (.) a été faite pour couvrir (.) les soins (.) dus à des maladies et non pas des soins liés à la vieillesse (..) (animatrice : emmhhe [marquer son accord] ) c’est un exemple de proposition qui mais mais monsieur [ gros plan Couchepin ] phase2 je je n’ai jamais dit ça monsieur Couchepin attendez attendez je n’ai jamais dit ça si vous m’citez il faut je n’l’ai jamais dit (déb. Blanchard : vous l’avez écrit) (animatrice : attendez attendez attendez) JE N’L’AI JAMAIS DIT VOUS L’AVEZ ÉCRIT VOUS L’AVEZ ÉCRIT VOUS (déb. Couchepin : je n’l’ai jamais dit) VOUS L’AVEZ EC je n’ai jamais dit ça monsieur ) [ le public derrière Blanchard sourit comme pour se moquer ] MONSIEUR COUCHEPIN vous l’avez écrit sortez le texte sortez le texte vous l’avez écrit (.) c’est dans la procédure de consultation auquel le èmmepéèffe [i.e. MPF : mouvement populaire 396

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des familles] on a pris la peine de répondre concernant les propositions de révision de la lamal
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