Si vis pacem para bellum

June 30, 2017 | Autor: Valerie Rosoux | Categoria: Political Philosophy, Political Theory, International Political Theory
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Les Utopiens détestent la guerre au plus haut point, comme une réalité complètement bestiale, à laquelle cependant aucune espèce de bête ne se livre DXVVLDVVLG¼PHQWTXHOѡKRPPHHW¡OѡLQYHUVHGHVXVDJHV de presque tous les peuples, ils estiment que rien n’est moins glorieux que la gloire recherchée à la guerre. En conséquence, bien que tous, non seulement les hommes mais aussi les femmes, pratiquent la discipline militaire en tout temps et à jours fixes afin de ne pas être maladroits à la guerre quand les circonstances l’exigeraient, ils ne l’engagent cependant pas à la légère, mais seulement s’il s’agit de protéger leurs frontières ou de repousser des ennemis qui auraient envahi les territoires de peuples amis ou encore, prenant en pitié quelque peuple victime de la tyrannie (ce qu’ils font alors par amour de l’humanité), pour le libérer par la force du joug du tyran et de la servitude. Bien qu’ils accordent volontiers leur secours aux amis, ce n’est pas toujours pour qu’ils puissent se défendre, mais aussi parfois pour qu’ils puissent répondre et se venger des injustices commises. À vrai dire, ils ne le font seulement que s’ils ont été eux-mêmes consultés lorsque la situation était encore calme, et si, après que la cause a été instruite et que des réparations ont été exigées sans être acquittées, ils doivent finalement engager OHV KRVWLOLWªV FRQWUH OHV DJUHVVHXUVѓ HW FHWWH GªFLVLRQ LOV la prennent non seulement chaque fois que du butin a été emporté lors d’une incursion ennemie, mais aussi, et,

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dans ce cas, avec une violence accrue, lorsque des marchands de ces peuples sont victimes, en quelque endroit, d’une injuste accusation, sous couleur de justice, soit au prétexte de lois iniques soit par une interprétation perfide de bonnes lois.

Si vis pacem para bellum Valérie Rosoux et Tanguy de Wilde d'Estmael

Dans ce paragraphe, Thomas More livre une description condensée de ce qu'il perçoit comme une guerre « juste ». ,OQHV DJLWSRLQWLFLGHKRUGHVDUP«HVDVVRLȞI«HVGHSRXYRLU/HV8WRpiens se montrent supérieurs, « détestant » la guerre, mais la préparant GHSLHGIHUPH3DFLȑFDWHXUVSOXW¶WTXHSDFLȑVWHVLOVQHVHG«SDUWHQW pas de l'adage classique Si vis pacem, para bellum pour assurer le UªJQHGHVmERQQHVORLV}HWFRQMXUHUFHOXLGHVmORLVLQLTXHV}$ȑQGH juguler les combats, l'auteur décrit les motifs qui légitiment un recours à la force. Ils peuvent être regroupés autour de deux axes : primo, rétablir l'intégrité territoriale, qu'il s'agisse de ses propres frontières et de celles d'un allié ; secundo, sauver un peuple de la « tyrannie ». Le premier scénario est plus circonscrit que le second. Seule l'agression de la part d'un tiers entraînera la mobilisation défensive. Thomas More annonce ici les mécanismes de défense collective qu'on retrouvera dans les alliances militaires au vingtième siècle. L'Utopien escompte la force de la dissuasion pour ne pas user de la contrainte réelle. Ce fut la réussite de l'OTAN durant la guerre froide : le statu quo fut préservé sans devoir tirer un seul coup de feu. Même si on pouvait déplorer une forme d'équilibre de la terreur. Le second motif, la libération des peuples, paraît de factoELHQSOXVUHODWLI/DPLVHDXEDQGXW\UDQȠOXFWXH au gré des alliances et des intérêts bien compris de chaque partie. Un consensus n'existera que face au totalitarisme le plus belligène, celui de l'Allemagne nazie ou du Japon impérialiste. Si le motif continue à MXVWLȑHUOHVLQWHUYHQWLRQVDUP«HVDXYLQJWHWXQLªPHVLªFOHLOSHLQH¢ convaincre de la nécessité de se débarrasser des dictateurs en Irak, en /\ELHRXHQ6\ULHSDUH[HPSOH$X[DȞIUHVGHODW\UDQQLHVHVXEVWLWXH l'hydre aux mille visages du chaos terroriste. 148

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Vallée du Panchir, Afghanistan. Cimetière de blindés abandonnés non loin de la tombe du Commandant Massoud, dit le Lion du Panchir, assassiné en 2001, deux jours avant les attentats du 11 septembre. Les procédures, si cruciales soient-elles, peinent à canaliser l'artillerie préventive et/ou l'ire vengeresse.

À ces motifs, Thomas More ajoute une précision qui pourrait élargir SUHVTXH¢O LQȑQLOHVMXVWLȑFDWLRQVG XQHJXHUUH3OXW¶WTXHGHQHVXUJLUTXHGDQVXQFDGUHVWULFWG DXWRG«IHQVHHOOHVHMXVWLȑH«JDOHPHQW pour permettre la « vengeance ». Depuis lors, les termes de l'auteur ont été repris dans les étendards guerriers, toutes causes confondues : « se venger des injustices commises ». Si le vingtième siècle fut particulièrement sanglant, il le fut en partie grâce à la litanie de ces injustices. Face à ces critères qui – n'en déplaise à Thomas More – ne constituent en somme guère de freins à l'élan belliqueux des Utopiens, l'auteur prévoit une procédure destinée à le maîtriser. La décision d'entrer en guerre ne sera prise qu'après consultation, instruction et demande de réparations. À ces conditions seulement, il sera opportun de punir l'ennemi non respectable. Il faut en quelque sorte épuiser les voies de recours diplomatiques avant de se lancer dans une aventure guerrière qu'en soi l'Utopien exècre.

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Cinq siècles plus tard, le parallèle et le contraste frappent l'un comme l'autre. Parallèle entre les critères qui bon an mal an se discutent presque dans des termes similaires. La violation de la frontière XNUDLQLHQQHSDUH[HPSOHMXVWLȑHUDLWXQHLQWHUYHQWLRQPDLV.LHYQ HVW pas membre d'une alliance défensive qui pourrait venir à son secours. Quel est par ailleurs le sens de libérer la Syrie de son « tyran » si c'est pour la livrer à une nébuleuse « tyrannique » ? Parallèle sur le plan procédural. Les institutions nationales, supranationales et internationales prévoient des lieux de concertation, des méthodes de négociation et des conditions précises d'intervention. Mais force est de constater que ces procédures, si cruciales soient-elles, peinent à canaliser l'artillerie préventive et/ou l'ire vengeresse. Le contraste est tout aussi frappant. Thomas More envisage la JXHUUH FRPPH XQ FRQȠOLW DUP« HQWUH GHX[ DUP«HV GHX[ UR\DXPHV GHX[ ‹WDWV GLULRQVQRXV DXMRXUG KXL LO Q D SX DQWLFLSHU OHV FRQȠOLWV asymétriques inaugurant une forme globalisée de terrorisme latent. À l'heure où la prolifération nucléaire est une crainte légitime, le spectre de l'apocalypse nucléaire n'apparaît paradoxalement plus TX HQ ȑOLJUDQH /D PHQDFH SHU©XH HVW DV\P«WULTXH F HVW O XWLOLVDWLRQ potentielle d'armes de destruction massive par des groupes terroristes TXLIDLWSHXU2QFUDLQWDXVVLGDYDQWDJHOHVHȞIRQGUHPHQWVGHV‹WDWV OHVFRQȠOLWVLQWUD«WDWLTXHVHWOHVU«VHDX[WHUURULVWHVRXFULPLQHOVTXL peuvent s'y abriter, plutôt que les guerres interétatiques classiques. Si la guerre a de tout temps frappé les populations civiles, elle s'insinue aujourd'hui dans des quartiers imprévisibles. On la savait régner en maître dans les rues d'Alep ou de Kaboul, mais elle prend aussi désorPDLVODIRUPHGHG«ȠODJUDWLRQVYLROHQWHV¢1HZ
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