(2007) Mattoso Câmara Jr. - linguiste brésilien

June 13, 2017 | Autor: Lauro Baldini | Categoria: Análise do Discurso, História Das Ideias Linguísticas
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langages

Un dialogue atlantique Production des sciences du langage au Brésil

Sous la direction de Eni P. Orlandi et Eduardo Guimaraes

Avec les contributions de Lauro J. S. Baldini, Luiz Francisco Dias, Eduardo Guimarães, José Horta Nunes, Suzy Lagazzi-Rodrigues, Claudia C. Pfeiffer, Eni P. Orlandi

ENS É DITIONS 2007

Éléments de catalogage avant publication Un dialogue atlantique. Production des sciences du langage au Brésil / Lauro J. S. Baldini, Luiz Francisco Diaz, Eduardo Guimarães, … [et al.] ; sous la direction d’Eni P. Orlandi et Eduardo Guimaraes. – Lyon : ENS Éditions, 2007. – 1 vol. (144 p. ; 23 cm). – (Langages, ISSN 1285-6096). Bibliogr. p. 127-134. Notes bibliogr. Index – ISBN 978-2-84788-118-9

Tous droits de représentation, de traduction et d’adaptation réservés pour tous pays. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’éditeur, est illicite et constitue une contrefaçon. Les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective sont interdites.

© ENS ÉDITIONS 2007 École normale supérieure Lettres et sciences humaines 15 Parvis René Descartes BP 7000 69342 Lyon cedex 07 ISBN 978-2-84788-118-9

Mattoso Câmara Jr., linguiste brésilien Lauro José Siqueira Baldini Suzy Lagazzi-Rodrigues

Sans aucun doute, parler de linguistique revient à se donner sur la langue une position d’observation et de description, et à s’éloigner du champ de la grammaire normative. Au Brésil, quand nous pensons à l’institution des études linguistiques, le nom de Mattoso Câmara Jr. et la référence à son œuvre nous viennent immédiatement à l’esprit. Avec son livre Estrutura da língua portuguesa, de 1970, Mattoso Câmara va consolider la place de la grammaire descriptive scientifique. En fait, cette place avait été instaurée par Said Ali lors de la publication de sa Gramática secundária da língua portuguesa, en 1924, où l’auteur distingue la grammaire descriptive et pratique (normative) de la grammaire scientifique. Néanmoins, comme le montre Guimarães (2002b), ce n’est qu’avec la publication de Estrutura da língua portuguesa que cette place énoncée de la grammaire descriptive scientifique est effectivement occupée et renforcée. Pour parvenir à l’idée de description de la langue, il est intéressant de reprendre le parcours suivi par Mattoso Câmara pour instituer la langue comme un espace d’observation et, spécifiquement, comme un « fait » devant être compris. Dans le présent article, ce mouvement entre l’observation et la description de la langue sera analysé dans son Dicionário de fatos gramaticais (1956) à travers ses rééditions successives, et dans la relation entre deux autres œuvres fondamentales de ce même auteur : Princípios de lingüística geral (1941) et Estrutura da língua portuguesa (1970).

Dénominations grammaticales Au Brésil, les œuvres qui abordent spécifiquement la question de la terminologie grammaticale remontent au xixe siècle. Toutefois, ce thème continue à être présent au xxe siècle et se rencontre ici ou là, dans cer-

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tains passages de grammaires ou dans de courts paragraphes d’articles. Bref, comme il s’agit d’un problème spécifique de la grammatisation brésilienne, il est presque toujours présent, peu ou prou et de manière plus ou moins explicite, dans les principales œuvres sur le langage publiées au Brésil dans la première moitié du xxe siècle. Parmi les ouvrages que l’on appelle « dictionnaires grammaticaux », le plus important est sûrement celui de Mattoso Câmara. Ces ouvrages se divisent en deux types principaux, les grammaires dictionnarisées d’une part, les dictionnaires grammaticaux d’autre part. Dans le cas de l’œuvre de Mattoso Câmara, la question se complique, car son dictionnaire n’aborde pas directement la question de la terminologie telle qu’elle se posait au Brésil, mais, au contraire, cherche à renouveler cette problématique. Il s’agit, donc, d’un ouvrage différent de la plupart des autres dictionnaires grammaticaux, dans lequel la relation mot – chose ne se pose pas. Le Dicionário de fatos gramaticais aborde le problème de la terminologie en se situant au-dehors d’elle. Mattoso Câmara affirme de manière explicite : Este Dicionário não versa a Nomenclatura Gramatical como orientação para o emprego dos termos técnicos, à maneira das bens conhecidas obras de J. Marouzeau em francês, de Lázaro Carreter em espanhol, de A. Nascentes em português. Em vez de tal objetivo – evidentemente utilíssimo mas já assim bastante ventilado – teve-se o de dar, em ordem alfabética, para consultas ocorrentes, as noções gramaticais, como base para a compreensão estrutural, funcional e histórica da língua portuguesa. Não se visou ao problema terminológico, senão a uma divulgação de conhecimentos doutrinários. O modelo distante foi o Dicionário gramatical de João Ribeiro, que tantos serviços prestou ao estudo do seu tempo.

. Les autres dictionnaires sont le Diccionario grammatical portuguez de José Alexandre Passos (Rio de Janeiro, Antônio Gonçalves Guimarães e Cia, 1865), le Diccionario grammatical de Felisberto Carvalho (Rio de Janeiro, B. L. Garnier, 1886), le Diccionario grammatical de João Ribeiro (Rio de Janeiro, Francisco Alves, 1906 [1889]), le Lexico grammatical de Firmino Costa (São Paulo, Melhoramentos, 1934) et le Léxico de nomenclatura gramatical brasileira d’Antenor Nascentes (Rio de Janeiro, 1946). . Les grammaires dictionnarisées sont des grammaires traditionnelles où les catégories grammaticales sont présentées dans l’ordre alphabétique ; les dictionnaires grammaticaux sont des textes dans lesquels, comme dans un dictionnaire traditionnel, il existe des articles, ordonnés alphabétiquement, qui font référence aux catégories grammaticales. Dans le premier cas, nous avons affaire à un discours sur la langue, dans le second, à un discours sur le discours sur la langue. . « Ce Dictionnaire n’aborde pas la nomenclature grammaticale pour orienter dans l’emploi des termes techniques, à la manière des ouvrages très connus de J. Marouzeau en français, de Lázaro Carreter en espagnol, d’A. Nascentes en portugais. À cet objectif – évidemment très utile mais qui, justement à cause de cela, a déjà été maintes fois

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Bien que cet ouvrage fonctionne comme un discours sur la langue, il ne vise plus le problème terminologique, mais au contraire prend ses distances avec lui. Et, il s’en éloigne en introduisant précisément la question de la grammaire comme doctrine, et en prétendant le plus possible à une posture scientifique. C’est en cela qu’il se rapproche de l’ouvrage de João Ribeiro, car ce dernier, même s’il traite essentiellement de la question de l’enseignement de la langue, introduit déjà un élément nouveau : la grammaire historique, et avec elle, la question de la valeur scientifique des études sur le langage. Voyons ce que nous dit João Ribeiro : Systematizei opiniões diversas, expuz as que eram divergentes, ou contradictorias, ressalvando o meu juizo pessoal, que frequentes vezes não é o mesmo das autoridades que invoquei.

Même s’il s’aligne sur cet auteur, le dictionnaire de Mattoso Câmara va se situer du côté de l’objectivité, et non plus du jugement personnel comme l’affirme João Ribeiro : Este dicionário cogitou da ciência da linguagem no sentido de que os fatos da língua portuguesa foram encarados objetivamente, na sua realidade, e não para fins normativos de correção gramatical.

Ainsi pour s’opposer à la prédominance de la philologie ou de la grammaire normative, toutes deux soumises à une vision du phénomène linguistique liée à la norme, Mattoso Câmara s’attache au fait linguistique dans son objectivité. Mais qu’est-ce, au juste, qu’un fait, pour lui ? C’est autour de cette notion que se concentre l’originalité de son dictionnaire et

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exposé – il a substitué celui de proposer, dans l’ordre alphabétique, pour de possibles consultations, les notions grammaticales, comme base pour la compréhension structurale, fonctionnelle et historique de la langue portugaise. Il ne se penche pas sur le problème terminologique, mais vise à divulguer une doctrine des connaissances sur la langue. Son modèle lointain a été le Dicionário gramatical de João Ribeiro, qui a rendu tant de services pour les travaux de son époque. » Dans l’appareil théorique de l’analyse du discours (AD), les discours-sur sont des instances fondamentales d’institutionnalisation des sens. Ce sont eux qui disciplinent, organisent la mémoire discursive (Orlandi 1990). C’est-à-dire que, pour Mattoso Câmara, il ne s’agit pas simplement de donner des noms aux faits de langue, mais d’introduire un point de vue, un lieu d’où l’on parle, bref, de soutenir le dire par une position scientifique. D’où l’importance des références qu’il fait (ou qu’il ne fait pas) à certains auteurs. « J’ai systématisé des opinions diverses, j’ai exposé celles qui divergeaient ou se contredisaient, tout en soulignant mon jugement personnel, qui très souvent diffère de celui des autorités que j’ai invoquées. » « Ce dictionnaire traite de la science du langage dans le sens où les faits de la langue portugaise y sont envisagés objectivement, dans leur réalité, et non pas dans des buts normatifs de correction grammaticale. »

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que celui-ci s’écarte de la normativité en tant que principe. Un fait, pour Mattoso Câmara, peut être conceptualisé de cinq manières : 1. Tout d’abord, les faits sont les formes de la langue (Mattoso Câmara précisera que celles-ci ne seront pas incluses dans son dictionnaire dans la mesure où elles figurent dans tous les dictionnaires généraux et rendraient le sien trop ample et volumineux pour son propos, qui est de divulguer une doctrine). 2. Le groupement de ces formes, leur classification selon tel ou tel critère sont également des faits. 3. Les « processus utilisés par la langue portugaise pour structurer ses formes et fonctionner dans la communication » sont également des faits. 4. Les notions faisant partie de la grammaire portugaise, comme nombre, temps, etc., sont également considérées comme des faits. 5. Enfin, la langue elle-même, en tant que réalité sociale, est un fait. Le titre de la deuxième édition du dictionnaire de Mattoso Câmara (1963) deviendra Dicionário de filologia e gramática. Selon l’auteur, comme beaucoup s’obstinaient à voir dans son ouvrage le lexique d’une nomenclature, le titre et la structure elle-même du dictionnaire ont été changés. Le nouveau titre cherchait donc à refléter cette transformation, mais également à « éviter tout ce qui dans l’ancien titre pourrait suggérer une profession de foi en faveur de l’empirisme », que, dit Mattoso Câmara, « je rejette et ai toujours rejeté ». Nous ne saurions oublier que cette deuxième édition a justement été publiée alors que les initiatives de l’État pour régulariser la terminologie des grammaires brésiliennes étaient à leur apogée. Et, une fois de plus, Mattoso Câmara se détourne de cette question en insistant sur le caractère objectif et scientifique de son travail. La troisième édition (1968) ne fera que corriger des fautes typogra­ phiques et « certains détails de rédaction et de doctrine ». Il n’y aura plus de changements jusqu’à la sixième, puis la septième édition, dont nous parlerons ci-dessous, qui sera publiée après la mort de Mattoso Câmara. Cette dernière édition (1977) modifie à nouveau le titre du dictionnaire, celui-ci sera publié sous le titre de Dicionário de lingüística e gramática avec des ajouts : quelques articles, une bibliographie supplémentaire, ainsi qu’un index des universités offrant des cours de troisième . En 1959, le ministère de l’Éducation publie la Nomenclatura gramatical brasileira, qui cherche à homogénéiser le nom des catégories grammaticales (sujet, objet, adverbe, etc.). Depuis lors, toutes les grammaires brésiliennes sont devenues complètement uniformes.

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cycle universitaire en linguistique et des associations de linguistes. Fait très intéressant et symptomatique, ces divers changements de titre rapprochent ce dictionnaire d’un lieu de plus en plus ouvert sur la question de la science (linguistique), sans toutefois exclure la question de la norme (grammaticale). Il en ressort que le dictionnaire de Mattoso Câmara peut donc sûrement être considéré comme un événement discursif, dans la mesure où il altère les relations de contradiction – subordination – inégalité de l’interdiscours entre linguistique et grammaire, et qu’en même temps il est déterminé par ce dernier, il en tire son sens. En principe, Mattoso Câmara parle de la linguistique à l’intérieur du champ énonciatif de la grammaire. Sinon son ouvrage ne serait qu’un non-sens de plus dans le champ des textes qui n’ont aucun sens parce que leur heure n’est pas encore venue ou est déjà définitivement passée. Et le fait qu’il parvienne à éviter ce non-sens ne le doit-il pas, justement, à la contradiction et à la tension entre ces deux lieux d’énonciation (celui du linguiste et celui du grammairien) ? N’est-ce pas, précisément, cette dilution d’un lieu d’énonciation qui constitue les points de stabilisation soutenant la constitution fondatrice du discours du linguiste ? Son identification avec Ribeiro comme « modèle lointain » est un bon exemple de la division de ce type de dictionnaire en deux traditions distinctes : l’une « pédagogique » et l’autre « scientifique ». La première stabilise les désignations qui régulent l’activité (la « position auteur ») du grammairien et du professeur qui ne disposent d’aucune autonomie (car, depuis la Nomenclatura gramatical brasileira [à l’avenir NGB], le grammairien et le professeur doivent se contenter d’expliquer la nomenclature officielle établie). D’où une absence de cohérence (puisque, dans la NGB, aucune doctrine ne régule la nomenclature). La deuxième construit une position d’auteur distincte, qui régirait également la position de ceux qui sont chargés d’enseigner la langue, mais en leur attribuant une place subordonnée à la « science ». C’est donc par la voie de la science que Mattoso Câmara échappe à la grammaire. Comme nous l’avons vu, ce dernier commence son texte en niant son affiliation aux œuvres antérieures sur la terminologie : « Ce Dictionnaire n’aborde pas la nomenclature grammaticale comme orientation pour l’emploi des termes techniques […]. » Et son seul modèle dans la tradition brésilienne est João Ribeiro : « Son modèle lointain a été le Dicionário gramatical de João Ribeiro […]. » Or, ce n’est évidemment pas un hasard si Ribeiro mentionne également la notion de fait dans son concept de grammaire : « La science qui a pour objet les faits du langage. » Pour Ribeiro, le fait par excellence n’est autre que la généralisation et la systématisation de ce qui peut être observé dans la langue, c’est-à-dire la

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constitution de règles. Même si sa notion de fait est encore empruntée à la norme : « […] selon l’usage ou la praxis déduite de l’autorité des savants et des écrivains classiques », elle révèle toutefois un glissement, car les règles y sont subordonnées à ce qui s’observe dans l’usage. Il s’agit donc d’une norme fondée sur l’observation des faits, d’où découle la règle – et non plus de la primauté de la règle sur les faits. Cela va avoir un impact considérable sur Mattoso Câmara. En effet, il s’agit du seul lieu d’affiliation disponible pour une conception grammaticale qui ne soit pas normative. Sinon, il lui faudrait souscrire à la normativité et à l’idée qu’il faut donner un nom aux choses. Par conséquent, le lieu d’où Mattoso Câmara parle est déterminé par les limites de ce qui est déjà formulé. Sa solution est d’adhérer à la notion de fait, mais en la transposant : il va subordonner la normativité à l’observation : « Mais l’art normatif doit partir […] de la compréhension de ce que le langage est et de celle du fonctionnement spontané de la langue au bon emploi de laquelle on prétend parvenir. » Chez Ribeiro, nous aurions : Fait : usage de la langue par les « érudits »



Systématisation et généralisation de ce fait



Règles

Chez Mattoso Câmara, nous pouvons dire que le glissement a lieu de la manière suivante : Fait : langue



Compréhension du fait



Règles

L’on y perçoit un glissement aussi bien de la notion de fait que de la notion de règle au travers du terme intermédiaire instauré par Mattoso Câmara et qui l’éloigne de l’empirisme de Ribeiro. Hiérarchiquement supérieure aux règles, la compréhension du fait est la tâche de la science du langage. Finalement, déterminées par cette dernière, viennent les règles. On peut donc dire que Mattoso Câmara subordonne la grammaire à la linguistique. Reste à comprendre quelle notion de fait est à l’origine de ce glissement. Or, si nous reprenons les « faits » exposés par Mattoso Câmara, n’arrivons-nous pas à la conclusion de ce qu’ils sont tous contenus dans la proposition suivante, à savoir que « la langue elle-même est un fait » ?

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Alors, nous sommes face à une affirmation qui donne à la langue une existence propre, autonome, le « fonctionnement spontané de la langue ». Ainsi, la langue peut être placée en dehors du sujet, fonctionner dans une relation de soi à soi, c’est-à-dire de façon interne, et, donc, elle est susceptible de subir une « observation interprétative » qui débouche sur une « interprétation désintéressée ».

Linguistique et linguistique brésilienne L’analyse exposée jusqu’ici nous montre que le lieu de la description scientifique va être constitué à partir de l’institution de la langue comme lieu d’observation. Nous verrons que la description scientifique donne au linguiste une posture opposée à celle du grammairien normatif. À ce sujet, Eni Orlandi (2001a) affirme que dans le passage de la position d’auteur du lieu du grammairien à celui du linguiste, « la question posée par la langue s’éloigne d’une position directement politique et intellectuelle pour devenir de plus en plus une question explicitement scientifique ». Malgré l’effacement de la position d’auteur dans la grammaire, celle-ci continue, comme le montre Eni Orlandi, « à produire des effets sur la connaissance de la langue aux côtés du savoir linguistique et de son métalangage », mais en tant qu’« imposition scolaire d’une norme linguistique grammaticale ». Chacune de ces disciplines, continue l’auteur, se présente comme une réponse propre du jeu de la relation unité/diversité dans la langue, dans un espace où le système scolaire qui garantit l’enseignement de la langue n’est pas exempt de contradiction : « D’un côté, la légitimation par la linguistique, de l’autre, la présence de la grammaire par la terminologie (NGB). Entre les deux, la philologie – qui se présente sous la forme de commentaires – tisse la difficile articulation entre le savoir et la pratique langagière, dans la construction de la relation entre unité et diversité. » Nous voyons donc que le savoir linguistique soutenu par le métalangage se constitue à l’intérieur d’un processus marqué par la scientificité, processus qui va être légitimé institutionnellement. En termes généraux, l’école va stabiliser la différence entre la normativité de la grammaire et la description scientifique de la langue, dans la mesure où le fonctionnement de la langue est de plus en plus structuré par l’enseignement normatif. L’espace du professeur de langue (normatif) se limite à l’école. Comme nous l’avons vu, la place du grammairien est surdéterminée par la NGB et le linguiste hérite du lieu scientifique de la réflexion sur la langue. Même si, comme nous l’avons vu, le dictionnaire de Mattoso Câmara expose déjà le mouvement de transfert de l’autorité du grammairien

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vers le linguiste, c’est dans Princípios de lingüística geral et Estrutura da língua portuguesa que nous pouvons observer plus en détail comment historiquement le statut du linguiste s’est constitué au Brésil.

Princípios de lingüística geral Publié pour la première fois en 1941, Princípios de lingüística geral marque, selon l’opinion de Sílvio Elia, exprimée dans l’avant-propos de l’édition de 1977, « la naissance de la linguistique au Brésil et peut-être dans le monde de langue portugaise ». Dans son avertissement de la deuxième édition, de 1954, Mattoso Câmara souligne qu’il a eu : « […] le souci de ne pas modifier le plan du livre et de le restreindre au sujet qu’il visait à l’origine. Le sous-titre – “Comme introduction aux études supérieures de la langue portugaise” – explique cette limitation intentionnelle de son cadre. » Ce titre et ce sous-titre montrent que la linguistique générale doit déterminer l’approche des études sur la langue portugaise, mais que la langue portugaise vient spécifier la réflexion de la première. Ce mouvement, propre à cette œuvre de Mattoso Câmara, qui va de la généralité linguistique à la spécificité de la langue portugaise est une question déterminante pour notre compréhension de l’institutionnalisation de la linguistique. En fait, il s’agit d’un mouvement caractéristique de la perspective structuraliste, qui, comme nous le verrons, soutient la réflexion du livre. La table des matières de Princípios de lingüística geral donne une bonne idée de l’organisation de la démarche suivie10. Ses vingt chapitres se répartissent ainsi : I.  Conteudo e escopo da lingüística II.  Os fonemas ou unidades da fonação III.  Sílaba e vocábulo fonético

. Dans ce livre, édité en 1970, l’auteur présente un ensemble de descriptions du portugais qu’il a développé pendant les années 1950-1960. Invité par l’University Chicago Press, il a écrit, durant les années 1963-1965, História e estrutura da língua portuguesa, éditée aux États-Unis en 1972. Cet ouvrage contient plusieurs des analyses présentes dans Estrutura da língua portuguesa. Nous ferons référence à celle-ci parce que c’est elle qui a d’abord été publiée au Brésil, et aussi à cause de sa circulation postérieure. História e estrutura da língua portuguesa n’a été publiée au Brésil qu’en 1975, et l’ouvrage a eu un lectorat plus limité. 10. Il s’agit de la table des matières de l’édition de 1941. Celle de la deuxième édition, de 1954, tout comme les suivantes, présentent quelques petites modifications qui ne sont toutefois pas significatives pour ce qui concerne l’analyse proposée ici.

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IV.  As unidades da língua V.  As funções dos morfemas VI.  As categorias gramaticais VII.  As categorias de gênero VIII.  A categoria de aspecto IX.  As vozes verbais X.  Espécies de vocábulos XI.  A frase e sua estrutura XII.  Modalidades da frase XIII.  Classificação das línguas para fins descritivos XIV.  As classificações de schleicher e de sapir XV.  Concepts da evolução lingüística XVI.  Causas lingüística da evolução XVII.  Os aspectos da evolução fonética XVIII.  As leis fonéticas XIX.  Empréstimo e seu conceito XX.  Aspectos sociais e lingüísticos do empréstimo

L’ensemble des titres montre que ce sont les principes structuralistes qui encadrent la réflexion sur la langue / le langage. Du phonème à la phrase, c’est le structuralisme qui est mis en œuvre. Il est également clair que la langue portugaise n’apparaît pas dans la formulation des titres de chapitre, ce qui permet de se demander comment s’y établit la relation entre la linguistique et la langue portugaise. Ce n’est qu’en examinant le contenu des chapitres que nous voyons la langue portugaise émerger dans la discussion, et venir illustrer les divers concepts issus des auteurs reconnus en science du langage, pris dans leur généralité et expliqués par Mattoso Câmara. La première référence à la langue portugaise apparaît dans la deuxième section du premier chapitre. Mattoso Câmara y trace un parallèle entre le « système portugais » et la « langue portugaise », fondamental pour la perspective structurale qu’il adopte : Cada comunidade de homens serve-se de um sistema de linguagem, ou LÍNGUA, cuja propriedade essencial é a de ser representativa. Assim, no sistema português, ou língua portuguesa, os fenômenos que impressionam os nossos sentidos são interpretados, e REPRESENTADOS, – ora consubstanciados num « ser », não raro meramente convencional, como morte (nomes substantivos), ora como « processos » em desenvolvimento (verbos) […] ; dividem-se [os seres] em classes por um dado critério (como o do gênero nominal), e dá-se-lhes uma denominação comum ou diferente, conforme, por exemplo, se interpretam na base de certos elementos constitutivos A, em que colhemos maçãs, B, de que tiramos lenha, C, a cuja sombra nos abrigamos, como árvore, ou ao contrário, na base de outros elementos se faz abstração desse ­agrupamento geral e

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un dialogue atlantique chama-se A macieira, B eucalipto, C jequitibá. Dessa sorte, o espaço em que vivemos […]. (p. 17)11

Cet « ainsi » est significatif de la relation établie entre la propriété représentative des systèmes de langage et le remplissage de cette représentation par des termes du système de la langue portugaise : en raison de la validité générale de la représentativité des langues, cela peut être exemplifié dans la langue portugaise. La formulation produit l’effet d’une conséquence et assigne directement la propriété à la langue portugaise au lieu d’en faire la démonstration. Voyons deux autres passages. À la page 43 nous pouvons lire : A lingüística descritiva hodierna tende a considerar esses grupos de oposições na base de uma « binaridade », isto é, de um conjugado binário, ou de dois membros. Quando um traço lingüístico distingue um deles e o opõe ao outro, tem-se aí a MARCA GRAMATICAL DA OPOSIÇÃO. […] Mesmo quando se nos deparem três ou mais membros, há em regra, implícita, uma organização hierárquica, que nos pode conduzir a depreender grupos binários sucessivos : […] Por isso, em português, o quadro das nossas 7 vogais consiste numa estruturação complexa e decomponível em oposições binárias : […].12

Et plus loin, pages 142-144 : Isso levou Brugmann a uma esquematização teórica dos diversos tipos de aspectos possíveis de existir numa conjugação verbal, destacando :

11. « Chaque communauté d’hommes a recours à un système de langage, ou langue, dont la propriété essentielle est d’être représentative. Ainsi, dans le système portugais, ou langue portugaise, les phénomènes qui impressionnent nos sens sont interprétés, et REPRÉSENTÉS, – tantôt consubstantiés en un “être”, très souvent à peine conventionnel, comme la mort (nom substantif), tantôt comme “processus” en développement (verbes) […] ; [les êtres] sont divisés en classes selon un critère donné (comme celui de genre nominal), et ils reçoivent une dénomination commune ou différente, selon, par exemple, qu’ils sont interprétés, sur la base de certains éléments constitutifs, par exemple, A) où nous cueillons des pommes ; B) d’où nous tirons du bois ; C) sous l’ombre duquel nous nous abritons, comme arbre ; ou qu’au contraire, sur la base d’autres éléments, l’on fait abstraction de ce groupement général et l’on appelle A) pommier ; B) eucalyptus et C) jequitibá. Ainsi, l’espace dans lequel nous vivons […]. » 12. ������������������������������������������������������������������������������������������ « La linguistique descriptive actuelle tend à considérer ces groupes d’oppositions sur la base d’une “binarité”, c’est-à-dire, d’un conjugué binaire, ou de deux membres. Quand un trait linguistique distingue l’un d’eux et l’oppose à l’autre, nous avons la MARQUE GRAMMATICALE DE L’OPPOSITION. [...] Même quand nous sommes confrontés à trois membres ou plus, il existe, en règle générale, une organisation hiérarchique, implicite, qui peut nous conduire à discerner des groupes binaires successifs : [...] Voilà pourquoi, en portugais, le cadre des nos 7 vocales consiste en une structuration complexe et décomposable en oppositions binaires : [...]. »

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1) aspecto PONTUAL, ou momentâneo […] ; 2) DURATIVO […] ; 3) PERMANSIVO […]. Em português, alguns desses aspectos estão radicados na significação de certos verbos ; vimo-lo a propósito de partir e chegar, que são verbos essencialmente – o primeiro, inceptivo, e o segundo, cessativo. Analogamente, cair é pontual ; por isso, na cantiga infantil do nosso folclore temo-lo repetido para indicar uma queda lenta (aspecto durativo) : « cai, cai, balão, na rua do Sabão… » Outros caracterizam-se por sufixos. É o caso do aspecto freqüentativo, acrescido de uma noção diminutiva, implícito no alcance do sufixo itar, à maneira do que já sucedia em latim, onde essa era a essência de certos verbos derivados, em are, relacionados ao radical do supino de um verbo simples […]. Temos assim o aspecto funcionando num nível lexical, pela mudança de semantema, ou no nível da derivação vocabular, em que um afixo imprime num semantema um valor particular sem afetar-lhe a significação inerente. (cf. § 59) Mesmo, entretanto, no puro nível gramatical da conjugação a categoria de aspecto funciona subsidiariamente em português. O recurso consiste no uso de conjugações compostas, ou perifrásticas, em que um verbo auxiliar […]. Assim, se formula o ASPECTO CURSIVO, no presente, no passado, no futuro, e em qualquer modo, por meio do verbo auxiliar estar conjugado com um gerúndio (estou cantando, estava cantando, estive cantando, estarei cantando, etc.) […]. Em outras e inúmeras línguas, são essas noções – assim, ora subsidiárias ora adventícias em português –, que constituem a espinha dorsal da conjugação verbal. É assim que em semítico, […]. Nas línguas africanas bântu e sudanesas, Maurice Delafosse deduz, analogamente, a existência de três aspectos centrais […].13

13. « Cela a conduit Brugmann à une schématisation théorique des divers types d’aspects qui peuvent exister dans une conjugaison verbale, soulignant : 1) aspect PONCTUEL, ou momentané […] ; 2) DURATIF […] ; 3) PERMANSIF […]. En portugais, certains de ces aspects sont enracinés dans la signification de certains verbes ; nous l’avons vu à propos de partir et arriver, qui sont des verbes essentiellement : inceptif (le premier) et cessatif (le second). De la même manière, tomber est ponctuel ; voilà pourquoi, la berceuse de notre folklore le répète pour indiquer une chute lente (aspect duratif) : “tombe, tombe, petit ballon, dans la rue du Sabão…” D’autres sont caractérisés par des suffixes. C’est le cas de l’aspect fréquentatif, auquel s’ajoute une notion diminutive, implicite dans la portée du suffixe -itar, de la même manière qu’en latin, où elle constituait l’essence de certains verbes dérivés, en -are, liés au radical du supin d’un verbe simple […]. Nous avons donc l’aspect fonctionnant à un niveau lexical, par le changement de sémantème, ou au niveau de la dérivation, où un affixe imprime une valeur particulière à un sémantème sans affecter sa signification inhérente (cf. § 59). Néanmoins, même au niveau purement grammatical de la conjugaison, la catégorie

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Dans le deuxième extrait, comme dans le premier, la place de la langue portugaise est également celle de l’illustration conclusive à partir de ce qui était conceptuellement affirmé, dans ce cas l’opposition binaire. Dans le troisième passage, la question conceptuelle de l’aspect est discutée dans son fonctionnement à différents niveaux du système des langues, aussi bien dans la langue portugaise que dans de « nombreuses autres langues ». Nous observons, dans ce cas, que ce qui est fondamental, c’est d’installer une réflexion structurale sur les langues, particulièrement sur la langue portugaise. En termes généraux, nous dirions que ces formulations produisent l’évidence des langues comme systèmes, donc – fait très important dans l’histoire des idées linguistiques au Brésil –, l’évidence de la langue portugaise comme système. Ce qui, réciproquement, justifie la réflexion linguistique au Brésil, dans la mesure où les concepts théoriques à la base de la perspective structuraliste sont mis en évidence dans la langue portugaise. Ce qui est extrêmement significatif si l’on pense à l’acquisition de la position d’auteur des linguistes brésiliens et à la constitution d’une réflexion linguistique au Brésil, c’est qu’au milieu des nombreuses citations faites par Mattoso Câmara, nous trouvons la référence à l’auteur lui-même (Câmara 1977, 21) : É inegável que o gesto, entendido como jogo da fisionomia, dos braços e até de todo o corpo, acompanha inelutavelmente a enunciação vocal e nela se integra numa « função precisadora da palavra » (Kainz 1943, II, 498), mas apenas, como frisei alhures, à maneira de um fundo musical que acompanha as palavras de um canto.14 (p. 19)

Outre Mattoso Câmara, la liste complète des travaux cités comprend de l’aspect fonctionne de manière subsidiaire en portugais. Cette ressource exige l’usage de conjugaisons composées, ou périphrastiques, dans lequel un verbe auxiliaire […]. Ainsi, l’aspect imperfectif, au présent, au passé, au futur, et en tout mode, se formule au moyen du verbe auxiliaire estar conjugué avec un gérondif (estou cantando, estava cantando, estive cantando, estarei cantando, etc.) […]. Dans de nombreuses autres langues, ce sont ces notions – qui sont donc tantôt subsidiaires tantôt adventices en portugais –, qui constituent l’épine dorsale de la conjugaison verbale. C’est le cas des langues sémitiques […]. De manière analogue, pour les langues africaines bantoues et soudanaises, Maurice Delafosse déduit l’existence de trois aspects centraux […]. » 14. « Il est indéniable que le geste, compris comme jeu de la physionomie, des bras et même du corps entier, accompagne inéluctablement l’énonciation vocale et s’y intègre en une “fonction qui précise la parole” (Kainz 1943, II, p. 498), mais seulement, comme je l’ai déjà remarqué ailleurs, “à la manière d’un fond musical qui accompagne les paroles d’une chanson”. »

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Capistrano de Abreu, Said Ali, Antenor Nascentes, Theodoro Sampaio, Serafim da Silva Neto et Sousa da Silveira, autant d’auteurs brésiliens aux noms légitimés et « légitimateurs » dans le rapport à la réflexion linguistique.

Estrutura da língua portuguesa Voyons maintenant Estrutura da língua portuguesa. Au contraire de Princípios de lingüística geral, cet ouvrage ne présente plus la langue portugaise comme un mécanisme de démonstration et d’exemplification des concepts théoriques généraux, issus d’une liste énorme de travaux d’auteurs cités. La langue portugaise ne se place plus aux côtés d’autres systèmes, d’autres langues qui viennent illustrer les questions théoriques. Dans Estrutura da língua portuguesa (1970), ce qui est mis au jour, c’est la langue portugaise elle-même, décrite dans son propre système : A descrição tem de partir da unidade dos traços fundamentais e nela se apoiar primordialmente. As diferenças entram secundariamente e se escalonam em importância na estrutura lingüística geral. Chegamos assim a uma compreensão de língua portuguesa, que será a diretriz constante para o estudo que vamos encetar.15 (p. 9)

Dans son chapitre 2, intitulé « Phonologie », Mattoso Câmara insère, dans sa partie I, « Prosodie », le sous-titre « L’accent en portugais », et commence ainsi ses considérations : Convém começar o estudo da fonologia do português pela pauta acentual, ou prosódia, por causa da sua importância fundamental em todo o sistema fonológico. O acento português é intensivo, mas não violento. É muito mais forte em Portugal do que no Brasil, com um grande contraste entre sílaba átona, que no Brasil não se verifica. […]16 (p. 33)

Il est significatif que les comparaisons avec le système latin, présentes 15. « La description doit partir de l’unité des traits fondamentaux et s’appuyer sur elle de manière primordiale. Les différences sont secondaires et s’échelonnent selon leur importance dans la structure linguistique générale. Nous arrivons ainsi à une compréhension de la langue portugaise, qui sera l’objectif constant de l’étude que nous allons entreprendre. » 16. « Il convient de commencer l’étude de la phonologie du portugais par le système accentuel, ou prosodie, en raison de son importance fondamentale dans tout le système phonologique. L’accent portugais est intensif, sans être violent. Il est beaucoup plus fort au Portugal qu’au Brésil, avec un grand contraste entre les syllabes atones, qui ne se retrouve pas au Brésil […]. »

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tout au long du livre, viennent toujours contextualiser les affirmations spécifiques au système portugais, comme le montrent les passages ci­dessous. Aux pages 33-34, nous lisons : O acento português é livre dentro dos limites compreendidos entre a última e a antepenúltima sílaba do vocábulo (vocábulo agudo, grave e esdrúxulo, respectivamente). […] Em latim havia os limites entre a penúltima e a antepenúltima sílaba […].17

Plus avant, page 233 : Assim, de acordo com a natureza do predicado – verbo ou nome – a frase portuguesa, como sucedia com a frase latina, é respectivamente – verbal ou nominal.18

Finalement, page 156 : Chegamos agora à variação de radical mais importante para a compreensão cabal da estrutura dos verbos portugueses : a que decorre de uma oposição entre formas de imperfeito e formas de perfeito, que desapareceu da grande maioria dos radicais verbais em consequência da eliminação da marca -u- do perfectum latino. O pequeno número de verbos que conservam a distinção em português dividem-se essencialmente em três tipos. O primeiro apresenta uma oposição de temas, não de radicais propriamente ditos. É constituído de dois verbos : […].19

Si Princípios de lingüística geral a produit l’évidence de la langue portugaise comme système, Estrutura da língua portuguesa, pour sa part, consolide la place de la langue portugaise comme espace de description linguistique, comme Guimarães l’a déjà affirmé. Avec cette description,

17. « L’accent portugais est libre dans des limites comprises entre la dernière syllabe et l’antépénultième du vocable (vocable aigu, grave et proparoxyton [esdrúxulo], respectivement) […]. En latin, ces limites étaient la syllabe pénultième et l’antépénultième syllabe […]. » 18. « Ainsi, selon la nature du prédicat – verbe ou nom – la phrase portugaise, comme c’était le cas de la phrase latine, est respectivement – verbale ou nominale. » 19. « Nous arrivons maintenant à la variation de radical la plus importante pour la compréhension pleine de la structure des verbes portugais : celle qui découle d’une opposition entre les formes d’imparfait et les formes de parfait, qui a disparu de la grande majorité des radicaux verbaux en conséquence de l’élimination de la marque -u- du perfectum latin. Le petit nombre de verbes qui, en portugais, conservent cette distinction, se divise essentiellement en trois types. Le premier présente une opposition de thèmes, et non pas de radicaux proprement dits. Il est constitué de deux verbes : […]. »

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c’est le lieu de l’analyste, la position du linguiste brésilien qui se construit. Ce qui s’affirme ainsi, pour la linguistique au Brésil, c’est la position du linguiste en tant qu’analyste, par la description de la langue portugaise. Le sens de la langue portugaise comme évidence d’un espace structurel de description de l’analyse, consolidé par le travail de Mattoso Câmara, a été fondamental pour la légitimation scientifico-institutionnelle de la linguistique au Brésil et pour la reconnaissance des études linguistiques. Étendant plus encore cette compréhension, nous dirions que la langue portugaise en ressort renforcée en tant qu’institution scientifique qui autorise la linguistique et les études linguistiques au Brésil. Une légitimation dans le champ de la science qui passe nécessairement par l’institutionnalisation de la langue portugaise dans ce même champ.

Esquisse de conclusion Le même Mattoso Câmara qui, en 1941, avec la publication des Princípios de lingüística geral, a inauguré le lieu du linguiste – donc, le lieu de la science – et de la langue brésilienne comme système, débattra, en 1959, des questions de nomenclature avec des grammairiens traditionnels (comme dans le cas de la NGB). Mattoso Câmara était déjà rentré des USA, où, en 1943, il avait suivi les cours de Jakobson qui, avec Sapir, influenceraient fortement sa pensée. Cette contradiction montre, dans la manière même dont la linguistique s’est constituée historiquement au Brésil, une relation tendue entre une politique d’éducation normative liée à la langue comme facteur identitaire et la langue en tant qu’objet d’étude scientifique. La norme et la scientificité se font chacune dans des lieux institutionnels différents. Ce point est important pour comprendre notre entreprise. Scientificité et institution se renforcent, tout comme norme et institution. Dans ces relations complexes, il convient aussi de rappeler que c’est la légitimation qui sous-tend les liens entre la science, la norme et les institutions. La science et la norme ont toutes deux besoin d’être légitimées institutionnellement. Eni Orlandi et Eduardo Guimarães (1998) affirment que, bien qu’il n’y ait aucune continuité directe entre les approches faites sur la langue au Brésil au xixe siècle et la linguistique telle qu’elle se constitue plus tard dans ce pays, « il y existe déjà tout un travail d’affiliation qui prépare le terrain pour que la linguistique s’installe et il y a surtout un travail d’institutionnalisation de la relation du sujet brésilien à la langue portugaise, en même temps que se constituent les lieux de représentation des savoirs (école, grammaire, manuels, littérature) dans notre société ». Nous dirions

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que science, norme et institution se croisent dans un parcours à double sens. Ces mêmes auteurs ajoutent que « l’écriture, les savoirs sur la langue et l’identification avec une langue nationale sont décisifs pour la forme institutionnelle que notre société et notre politique prennent », et que « L’explicitation de la relation sujet-langue par l’institution scolaire et la production de grammaires donnent sa forme à la scientificité ». « C’est un moment décisif pour la constitution de la forme historique du sujet brésilien et pour l’établissement de la linguistique » complètent-ils. L’analyse du Dicionário de fatos gramaticais nous montre qu’il y a un passage du fait comme objet (João Ribeiro) à la langue comme fait (Mattoso Câmara), ce qui crée, dans le champ des discussions terminologiques, un nouveau lieu d’énonciation qui introduit la doctrine (la science) comme un élément permettant de dépasser la manière dont ce type de discussion se produisait. Dans le champ de la discussion linguistique, nous avons la configuration théorique de la langue portugaise comme système dans Princípios de lingüística geral, et la configuration analytico-descriptive de la langue portugaise dans Estrutura da língua portuguesa. Cela nous permet de comprendre qu’il ne s’agit pas seulement de la constitution du lieu du linguiste au Brésil, mais de la constitution du linguiste brésilien.

Table

Présentation

7

Eduardo Guimarães et Eni P. Orlandi Sémantique et grammaire. Une histoire des études linguistiques au Brésil

11

Eduardo Guimarães L’analyse du discours et ses entre-deux : notes sur son histoire au Brésil

37

Eni P. Orlandi Mattoso Câmara Jr., linguiste brésilien

63

Lauro José Siqueira Baldini et Suzy Lagazzi-Rodrigues Énonciation et grammaire. Le champ de production des grammaires dans le Brésil contemporain

79

Luiz Francisco Dias L’institutionnalisation des dictionnaires monolingues au Brésil

91

José Horta Nunes L’école, la langue maternelle et la langue nationale

115

Claudia Castellanos Pfeiffer Bibliographie

127

Index

135

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