(2011) CAIRO CAROU Heriberto, GODINHO Paula et PEREIRO Xerardo (Ed.), Portugal e Espanha. Entre discursos de centro e práticas de fronteira

June 15, 2017 | Autor: Fabienne Wateau | Categoria: Spanish Studies, Portuguese Studies, Border Studies
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Dossier : Bembo puf313543\MEP\ Fichier : Ethno_2_11 Date : 4/1/2011 Heure : 12 : 41 Page : 365

Comptes rendus

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Une vie irlandaise – Du Connemara à Ráth Chairn : histoire de la vie de Micil Chonraí [Conchúr Ó Giollagáin, 2010] par YVES LE BERRE

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Les monuments sont habités [Daniel Fabre et Anna Iuso (dir.), 2009] par CLAUDE RIVIÈRE

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Faire territoire [Gérard Baudin et Philippe Bonnin (dir.), 2009] par JEAN-RENÉ TROCHET

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Patrimoine et communautés savantes [Soraya Boudia, Anne Rasmussen et Sébastien Soubiran (dir.), 2009] par LAURENT-SÉBASTIEN FOURNIER

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Helvetia Park [Marc-Olivier Gonseth, Yann Laville et Grégoire Mayor (dir.), 2010] par JACQUES GUTWIRTH

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À seconde vue. Thèmes en anthropologie [Pierre Centlivres, 2009] par MARTINE SEGALEN

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Une civilisation du cheval. Les usages de l’équidé de la steppe à la taïga [Carole Ferret (dir.), 2009] par CATHERINE TOURRE-MALEN

Conchúr Ó Giollagáin Une vie irlandaise – Du Connemara à Ráth Chairn : histoire de la vie de Micil Chonraí Traduit de l’irlandais par Jean Le Dû Rennes-Dinan, Presses universitaires de Rennes - Terre de brume, 2010, 250 p. par Yves Le Berre Université de Bretagne occidentale [email protected] Il est de malheureux pays, l’Irlande est de ceux-là, où la fiction dépasse la réalité. Une couche de peinture

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La dinanderie de Fès. Un artisanat traditionnel dans les temps modernes. Une anthropologie des techniques par le film et le texte [Baptiste Buob, 2009] par DESPINA LIOLIOS

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War, Judgement and Memory in the Basques Borderland, 1914/1945 [Sandra Ott, 2008] par MICHÈLE BAUSSANT

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Portugal e Espanha. Entre discursos de centro e práticas de fronteira [Heriberto Cairo Carou, Paula Godinho et Xerardo Pereiro (coord.)] Contrabando na fronteira Luso-Espanhola. Práticas, Memórias e Patrimónios [Dulce Freire, Eduarda Rovisco et Inês Fonseca (coord.)] par FABIENNE WATEAU

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Anthropologie de l’écriture et pédagogie Freinet [Pierre Clanché, 2009] par RACHEL GASPARINI

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Expériences de la douleur [David Le Breton, 2010] par CÉCILE CHARLAP

historique, littéraire, dramatique, cinématographique, musicale et photographique recouvre notre savoir sur la grande île, si épaisse qu’il est parfois difficile de se rappeler que les Irlandais ne sont pas des personnages, mais tout simplement des personnes. Cet ouvrage, doublement préfacé par l’actuel ambassadeur d’Irlande en France et par son prédécesseur, récemment disparu, a bénéficié de l’aide de Ireland Literature Exchange et de l’Ireland Fund de France ; il se présente donc presque comme une publication officielle. Mais le long récit qui forme l’essentiel de sa matière ne doit pas grand-chose aux discours convenus sur ce pays. D’abord publié en irlandais par l’anthropologue Conchúr Ó Giollagáin, à partir d’enregistrements Ethnologie française, XLI, 2011, 2, p. 365-383

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Comptes rendus

cursifs du narrateur réalisés sur une période de plusieurs années, ce récit de vie contenait évidemment de nombreuses redites, des anticipations et des retours en arrière, partiellement effacés et remis en ordre par l’éditeur afin de faciliter la tâche du lecteur et de ménager son plaisir. La vie de Micil Chonraí, devenue livre en 1999, prenait donc sa place dans la litanie irlandaise de sainte Misère. Une de plus, pense-t-on d’abord. Mais l’exceptionnelle personnalité du narrateur, on s’en rend bien vite compte, lui permet de transcender les limites du genre. Comme les autres paysans ou ex-paysans européens nés au début du siècle dernier (1919), il a encore un pied dans la protohistoire et rapporte les interventions d’êtres de l’Autre Monde (fées, revenants, Vierge Marie) dans le monde des vivants comme des possibilités réelles ; mais il est aussi attiré par tout ce qui est pour lui nouveau (les chevaux, les machines agricoles) et réalisera lui-même ses premiers enregistrements. De même son univers est-il encore, pour l’essentiel, celui de l’oralité : sa mémoire contient un nombre invraisemblable de noms propres, de liens familiaux et de dates ; ce qui ne l’empêche pas de vouloir laisser le récit de sa vie à la postérité sous la forme d’un livre. Ce qui le distingue radicalement de bien d’autres, c’est sa totale liberté de pensée et de parole. Son système de valeurs oppose globalement l’homme (bon ou mauvais) et les institutions (en général mauvaises ou inefficaces). Bon catholique, il n’aime pas le clergé ; mais il a connu de bons curés (ceux qui étaient « nés pour être prêtres » [241]) ; avide de culture, il déteste les instituteurs ; mais il évoque avec émotion celui qui, comme lui tuberculeux, lui apprend à lire et à écrire, à l’hôpital de Dublin [203]. Bon patriote, il se méfie d’un État velléitaire, représenté bien souvent par des arrivistes et des cyniques (« qu’est-ce qu’ils auraient eu à y gagner ? » [102]), défendu par une armée qui traite les hommes comme du bétail : « Ça a abrégé la vie de bien des jeunes hommes » [170]. Et ses jugements ne relèvent jamais du simple bon sens ni de la méfiance obtuse que le dominé éprouve à l’égard de ses maîtres. Sa sincérité est telle que nulle part on ne trouve chez lui de ces traits de forfanterie qui émaillent d’autres récits de ce genre dont les auteurs, d’abord surpris que l’on s’intéresse à eux, finissent par prendre la posture de héros de l’Histoire. Traduire en français un tel texte forgé tout entier dans une matière locale (la langue, la société, les croyances, les événements de l’histoire irlandaise) était une tâche particulièrement délicate. De nombreuses notes éclairent certes les passages sur lesquels un lecteur francophone a Ethnologie française, XLI, 2011, 2

besoin d’un peu de savoir ; de bonnes annexes renseignent sur le contexte linguistique et sociolinguistique dans lequel le récit est né. Mais le plus difficile était de trouver en français le niveau de langue et le ton de la confession familière qu’utilise Micil Chonraí, et de s’y tenir sans ruptures tout au long de ces quelque 250 pages. Sociolinguiste averti, Jean Le Dû a su le faire avec délicatesse, sans surimposer sa parole à celle du narrateur. Il a choisi un style de langue qu’il connaît bien, celui qu’utiliserait en français un paysan – disons : breton – qui aurait connu à peu près le même parcours de vie que l’ancien paysan irlandais. Ce qui fait que sa traduction est presque transparente et qu’à aucun moment le lecteur n’a le sentiment que le narrateur n’aurait pas pu dire cela de cette façon-là. Ce beau petit volume mérite assurément le détour, à la fois parce que ce qu’il dit de l’Irlande telle qu’elle était naguère décape jusqu’à l’os les idées reçues, et parce que ce qu’il dit d’universel est pour chacun de nous une bonne leçon d’humanité… et de démocratie.

Daniel Fabre et Anna Iuso (dir.) Les monuments sont habités Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’Homme, 2009, 336 p. par Claude Rivière Paris V - Sorbonne [email protected] Châteaux, cités, cathédrales, palais, et même sites exceptionnels sont sous la sauvegarde de la mission du Patrimoine qui procède, comme l’analyse Daniel Fabre, en trois temps : déclassement du stigmate, classement comme mémoire, surclassement pour une glorification. Il apparaît intéressant aux équipes italiennes et françaises de confronter leurs recherches : d’un côté, les villages troglodytes du Basilicate, les cabanes rondes de pierre des Pouilles, le baroque tardif sicilien ; de l’autre, Carcassonne, Arc-et-Senans, la Halle aux Vins (non, aux Finances) de Bercy, la bibliothèque Mitterrand. L’accent est mis sur la perception du lieu par les habitants à différents moments de l’histoire, les manières d’y vivre, les émotions issues du monument ressuscité. Carlo Levi écrit en 1945 Le Christ s’est arrêté à Eboli. Les sassi de Matera (honte nationale naguère) sont des grottes de tuf creusé au flanc de la roche. Ces trous-

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maisonnées-étables grouillaient de pauvres, d’animaux et même de moines. Les eaux usées y ruisselaient dans des sortes d’entonnoirs puants. Dans ces sassi réhabilités après bien des travaux d’hygiène publique, des marchands pour touristes s’y logent le jour, tandis que bien des autochtones ont émigré vers la ville moderne construite tout près. Les écrivains, cinéastes, urbanistes, architectes ont investi les lieux pour recrépir la façade, les ethnologues (Mirizzi, Restucci, Zinn) pour saisir la solidarité de voisinage (aide, échanges, surveillance des enfants et formes de vie parfois sous tension). Mais les trous servent maintenant surtout d’échoppes et de caves à vin pour deux mille personnes dont cependant la plupart vivent leur confort nocturne dans la ville nouvelle. Les trulli des Pouilles sont les trous-lits d’Anne Iuso, directrice de recherche et traductrice des articles écrits en italien. Sardaigne, Baléares ont des équivalents architecturaux de ces imaginaires campements de guerriers nains, faits de cases de pierre sèche en cône ou en coupole, fort documentés depuis le XVIIe siècle, retapés pour les vacances des classes aisées et pour les marchands du temple qui « gagnent facile » sous les flashs des Japonais. En sautant le détroit de Messine, on peut savoir ensuite (B. Palumbo) à propos du Val de Noto et du baroque tardif de la Sicile orientale, ce que les églises peuvent avoir subi en tremblements de terre et en lourds conflits entre diocèses redécoupés… Passons en Afrique : le chapitre sur « l’ethnographe en pays dogon » est l’exemple d’une certaine ethnographie décevante qui n’a rien trouvé que de connu, sauf l’enchantement de sa prétendue méthode. Je n’ai rien appris sur la falaise de Bandiagara, sinon que la « mise en patrimoine » UNESCO avait changé les traditions (lesquelles et comment ?) et que les gens voulaient, comme depuis longtemps, de l’eau, de la nourriture, du bien-être, qu’ils n’obtenaient ni de l’administration ni de la recherche. La plupart des projets de développement avaient échoué en même temps qu’était bricolé l’exotisme dogon. À croire que certains classements au patrimoine de l’humanité ne sont humanitaires que pour quelques nuits touristiques d’ethnologues. Carcassonne vit mieux avec ses tours-ruches de l’abeille Christine Amiel. Des bicoques de tisserands et des ruines, Viollet-le-Duc a fait la merveille que l’on sait : cinquante-deux tours, des remparts magnifiques, une médiévalité réacquise. Des touristes à gogo, et annuellement le Tour de l’âne en carnaval orchestré. Autour du site chantent les vignes et se taisent les Cathares. Retour en Italie, au nom du lieu possédé par la mémoire de quelqu’un, Armungia par le Sarde Lussu

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(comme Vinci par Léonard). Le chercheur romain de la Sapienza y chante la résistance de gauche. Ailleurs, à Bernalda, province de Matera (R. Parisi), c’est son passé qui est habité, avec commémoration de la fondation aragonnaise de la ville en 1497. Et comme Métaponte est à quelques lieues, les habitants vont aussi se faire voir chez les Grecs. L’hellénéité endossée, l’histoire peut jouer allegro sur deux claviers. Puis, en Campanie, vive le textile et le nougat d’une ville-campagne qui réinvente ses traditions (dites provençales) et revient à la pierre sèche (V. Siniscalchi). Finale française avec une saline désaffectée mais d’architecture magnifiquement classique et utopique, merveille de Ledoux dans le Doubs. Ensuite, visite du ministère des Finances à Bercy : pas un hôtel de style, mais marqué du sens symbolique de la hiérarchie chère aux énarques dans une pyramide du pouvoir (I. Bellier). Une pyramide de verre abrite bien l’entrée du Louvre, pourquoi quatre livres ouverts sur un espace vide n’abriteraient-ils pas les rêves dysfonctionnels de D. Perrault pour une bibliothèque F. Mitterand (C. Voisenat) ? Cette rencontre de l’ethnologie avec l’histoire et l’architecture, à travers une quinzaine d’études de cas, je la juge fort intéressante, bien écrite, comparative, ouverte sur le local comme sur le global de l’humanité. Le monument exposé aux dégradations et revalorisations n’est pas immobile, il peut être reconçu, revalorisé, revécu dans son intérieur. D’où l’utilité d’une mission du patrimoine assistée de bons anthropologues.

Gérard Baudin et Philippe Bonnin (dir.) Faire territoire Paris, Éditions Recherches, 2009, 318 p. par Jean-René Trochet Université de Paris IV - Sorbonne [email protected] Dans la préface de l’ouvrage issu du colloque « Faire territoire aujourd’hui » 1, s’interrogeant sur les relations entre le social et le spatial, Philippe Bonnin souligne la difficulté à définir aujourd’hui un espace ou un territoire social et individuel, face aux « processus de dématérialisation, de délocalisation, de mise en réseaux et en mobilité permanente ». Sans doute, le rôle de l’espace et du territoire n’a jamais été à la fois plus fort et plus ténu qu’aujourd’hui dans la fixation des identités Ethnologie française, XLI, 2011, 2

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individuelles et collectives dans les sociétés occidentales, puisque ces identités sont évidemment devenues ellesmêmes mobiles. En éclairant le titre (volontairement) ambigu de l’ouvrage – le territoire « fabriqué », « au sens d’une action volontaire modelant une matière brute », ou le territoire du « nous » « impliquant une organisation sociale et une culture qui sans cesse bâtiraient un espace aux contours plus ou moins précis dans lequel ce « nous » se reconnaîtrait » –, Gérard Baudin prolonge la réflexion de Ph. Bonnin et indique les principales orientations adoptées par les contributeurs de l’ouvrage. Celles-ci ont été regroupées en quatre parties, qui, comme dans de nombreux colloques, n’épuisent pas toujours le contenu d’articles souvent polysémiques : mobilité, patrimoine ; frontières, cultures ; politiques, échelles, et contributions complémentaires. Dans la première partie, sont regroupés quatre articles qui concernent essentiellement les processus et les modalités d’identification à des lieux ou des territoires, ruraux (Sophie Bobbé et Martyne Perrot) ou urbains (Michel Rautenberg), tandis que Martin de La Soudière, interrogé par G. Baudin, présente quelques réflexions sur le « lieu comme métaphore de l’autre ». L’enquête de Sophie Bobbé sur l’identité du plateau de Millevaches lui permet d’affirmer que ce dernier est « un Janus à deux visages » : l’un, à destination du « touriste de passage », présente le patrimoine matériel naturel et culturel et des savoir-faire artisanaux ; l’autre s’exprime par des initiatives liées à l’esprit de résistance, à la tradition d’accueil et à une réflexion collective sur la démocratie participative. La situation n’est pas la même dans l’Aubrac (Martyne Perrot), où les « produits de terroir » jouent un rôle majeur dans l’activité économique, tout en participant pleinement à l’identité historique du territoire et à sa mise en patrimoine, en partie à destination des touristes. Loin de là et dans un contexte très différent, l’étude de Michel Rautenberg sur les liens résidentiels à Villeneuve-d’Asq s’attache à démontrer que les conditions de création d’une ville nouvelle et la manière dont elles sont racontées influent durablement sur les représentations du quartier et les pratiques de voisinage. La seconde partie (Frontières, cultures) est principalement consacrée aux territoires partagés ou séparés – l’un allant d’autant moins souvent sans l’autre que les communautés sont plus rapprochées dans l’espace et cherchent à s’y distinguer les unes des autres – et comprend quatre contributions. Anne Hublin montre que les territoires des Marrons de Guyane, autrefois dispersés en milieu forestier, se sont en partie déplacés sur la région côtière guyanaise. Cette relocalisation partielle a Ethnologie française, XLI, 2011, 2

contribué à redéfinir la communauté comme celle des « Marrons en général », en même temps que la « patrimonialisation » de la culture marron, à partir des années 1980, a commencé à inscrire celle-ci dans la culture du XXIe siècle. Valérie Maire, étudiant l’utilisation de l’espace urbain au Kosovo, après le conflit de 1998-1999, montre à la fois que le sentiment du caractère communautaire des destructions de bâtiments à caractère patrimonial, véhiculé par la population, ne semble pas correspondre à la réalité de terrain, et que la transformation de l’espace urbain contemporain est marquée plus par l’ouverture de la région vers l’Europe que par une mise en valeur des bâtiments et des lieux liés à l’identité kosovare. L’auteure reconnaît toutefois que le seul exemple de la ville de Peç/Pejë, qu’elle a plus particulièrement étudié, ne saurait valoir pour l’ensemble du pays. À partir d’une réflexion sur la construction de nouveaux territoires liée aux politiques d’aménagement et de coopération transfrontalières en France et en Europe depuis les années 1990, Marie-Christine Fourny établit une typologie des formes de territorialité transfrontalière : elle en conclut que « les discours et les récits des acteurs participent d’abord à transformer le rapport au territoire, et ensuite à construire un rapport permettant de penser et mettre en scène des collectifs inédits ». L’article de MarieHélène Bacqué et Stéphanie Vermeersch (Quand les « classes moyennes » font territoire : entre idéologie et pragmatisme) est consacré à l’expérience d’un habitat social autogéré né au début des années 1980 dans la banlieue d’Angers. Peut-être trop limitée et spécifique pour qu’on puisse la considérer comme représentative des « classes moyennes » en général, cette expérience montre la complexité des données en jeu dans la création d’un habitat alternatif : la moindre n’étant pas que l’affirmation collective a contribué à renforcer la spécificité du groupe, et à accentuer le démarquage de son habitat au sein du quartier. Avec la troisième partie (Politiques, Échelles), l’ouvrage aborde plus directement les échelles territoriales de la « gouvernance » et les relations de l’une à l’autre, ainsi que la place qu’on assigne ou que devrait occuper l’habitant/citoyen dans le territoire. S’interrogeant sur les processus contemporains de recomposition territoriale et identitaire, Philippe Genestier en situe le contexte historique, pour conclure par un appel à « la rhétorique territoriale comme tentative de résistance à l’avancée de la démocratie procédurale et libérale… c’est-à-dire de la démocratie post-nationale et postterritoriale ». Pour Thierry Baudoin, la ville française ne peut plus être « la simple “collectivité locale” d’un

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pouvoir central qui y déléguait des prescriptions impératives » [199] : il conviendrait de lui donner une véritable autonomie stratégique dans le processus de production et de redistribution des richesses ; et cette autonomie inclurait notamment la reconnaissance de la ville comme communauté productive. Un géographe pourrait cependant se demander à partir de quelle taille, et comment, les villes pourraient bénéficier de telles prescriptions. Les préoccupations de Thierry Baudoin rejoignent dans une certaine mesure celles de Catherine Neveu, qui s’interroge sur la place du « local » comme échelle territoriale de base de la citoyenneté. Mais l’auteure n’éclaire pas le lecteur sur sa conception du « local » ni sur les contrées ou les pays qu’elle envisage, et une certaine ambiguïté entre le « local » comme sujet de recherche et le « local » comme acteur de la citoyenneté plane sur l’article. L’exemple de la décentralisation au Burkina Faso, étudiée par Liliane Pierre-Louis, vient toutefois, indirectement, donner une illustration concrète à cette interrogation. L’un des problèmes auxquels s’est heurtée la réforme territoriale de 2006 dans ce pays provient en effet de la différence de perception des limites territoriales et des compétences administratives entre les représentants des pouvoirs traditionnels, les élus, et les représentants et agents de l’État. Dans ces conditions, se demande l’auteure, comment et à quel niveau territorial se constitue le « nous » ? Dans les « contributions complémentaires », Marc Dumont, à partir de quelques exemples pris à Tours et à Orléans, tente d’illustrer une double direction de recherche sur l’évolution récente des sociétés urbaines, qui s’ajoute aux réflexions de certains des auteurs précédents sur le « local » : depuis une vingtaine d’années, les conséquences de la mobilité généralisée se sont ajoutées à la multiplication des acteurs de la « gouvernance » pour « saper radicalement toute idée d’identités locales au singulier » [263]. L’étude de Grégory Busquet sur les décennies précédentes débusque l’« idéologie urbaine » et l’« urbanisation du discours politique » véhiculées par certains courants de la gauche des années 1950 aux années 1970. Si l’auteur se refuse à avancer que ce mouvement a constitué les prémisses de l’actuelle « politique de la ville », le fait qu’il ne rencontre pas davantage les microproductions contemporaines du politique en contexte urbain, dont parle aussi M. Dumont, illustre bien la diversité des champs d’observation de l’urbain aujourd’hui. À partir de la distinction entre espace, lieu et territoire, et de l’exemple du comportement des habitants et propriétaires d’un quartier de Rennes à l’égard des « étrangers », essentiellement des SDF et des

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prostituées, Karine Boinot et Cécile Le Bodic analysent les composantes du sentiment d’insécurité aujourd’hui en milieu urbain. Comme dans tous les actes de colloques, l’ensemble est certes inégal. Quelques auteurs n’ont, par exemple, pas résisté à la tentation de réécrire l’histoire de la notion de territoire ou de revenir sur celle du confinement spatial des marginaux, sujets qui n’étaient pas au cœur du colloque. Mais la plupart des articles sont de grande qualité et cet ouvrage pluridisciplinaire occupe une place originale dans la production de ces dernières années sur le vaste thème du territoire. 1. Organisé par l’UMR Architecture, Urbanisme, Société, qui eut lieu les 20 et 21 septembre 2007 à l’École nationale supérieure d’architecture de Paris-Belleville.

Soraya Boudia, Anne Rasmussen et Sébastien Soubiran (dir.) Patrimoine et communautés savantes Préface de François Hartog, postface de Jean Davallon Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Art & Société », 2009, 298 p. par Laurent-Sébastien Fournier Université de Nantes - Centre nantais de sociologie [email protected] Cet ouvrage qui se réclame de l’histoire des sciences part du constat d’une « montée en puissance des préoccupations et des actions patrimoniales dans les institutions du savoir » [11], par exemple dans les universités, les laboratoires, les observatoires ou encore les hôpitaux universitaires. Issu d’un programme de recherche financé par la mission du patrimoine ethnologique, il s’intéresse aux manières dont les lieux consacrés au savoir prennent en compte la dimension patrimoniale de ce qui les constitue. Il s’agit donc d’un exercice de nature réflexive, consistant à tourner vers soi les études habituellement consacrées au patrimoine d’autres groupes sociaux. Si, en ethnologie, les chercheurs se sont intéressés jusqu’ici à différents types de patrimoines vernaculaires et à leurs usages sociaux, il restait encore à travailler sur les manières dont les chercheurs de différentes disciplines conçoivent leur propre patrimoine. Les études de cas rassemblées dans l’ouvrage concernent autant des collections d’objets que des techniques Ethnologie française, XLI, 2011, 2

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et des dispositifs de conservation. Plusieurs chapitres se rapportent au monde médical, examinant par exemple les fonctions esthétiques des préparations anatomiques aux yeux du grand public (Simon) ou les difficultés liées à la mise en valeur culturelle d’un hôpital psychiatrique (Delanoë-Vieux). D’autres contributions sont dédiées aux musées constitués au sein de certaines institutions savantes : le cas des collections d’instruments scientifiques dans les universités européennes pose des questions de valorisation liées à la vulnérabilité d’éléments qui sont trop rarement utilisés à des fins de recherche et d’enseignement (Lourenço). Dans les muséums d’histoire naturelle, parfois en rupture avec l’Université, l’existence précoce de professionnels chargés de la gestion des collections a historiquement contribué à définir un genre spécifique de patrimoine savant, à la fois source pour l’histoire des sciences et objet d’expositions à vocation culturelle (Van Praët). La question des archives n’est pas négligée, à travers des contributions consacrées aux problèmes liés à leur constitution (Welfélé) ou à leur pouvoir politique (Duclert), mais aussi grâce à une réflexion sur la valorisation des archives privées dans les maisons d’écrivains (Saurier). D’autres approches sont plus historiques, abordant les manières dont diverses administrations ou secteurs d’activité économique ont été confrontés aux questions de la conservation ou de la valorisation de leur patrimoine (Laboulais, Gasnier, Bergeron). Le cas des collections africaines du musée d’ethnographie du Trocadéro intéressera tout spécialement les ethnologues, en rappelant le scepticisme de Marcel Mauss et d’Arnold Van Gennep vis-à-vis des objets matériels (Sibeud). De même, l’étude consacrée au processus de muséification de la Première Guerre mondiale (Rasmussen) alimentera les réflexions des anthropologues de la mémoire. Quelques études ont une portée plus générale. Elles sont rassemblées dans la première et la dernière partie de l’ouvrage. Les premières contributions seront particulièrement utiles aux lecteurs qui cherchent à se documenter sur l’histoire récente des travaux consacrés au patrimoine. Une approche historiographique précise de la littérature patrimoniale française, augmentée d’un très riche appareil critique, reprend l’essentiel des avancées réalisées dans le domaine des études patrimoniales depuis une trentaine d’années en les confrontant à l’histoire du patrimoine depuis la Révolution française (Poulot). Le patrimoine apparaît ici comme un objet à la fois fécond et légitime dans la perspective d’une « histoire culturelle du contemporain » (Poirrier), intéressant à la fois les politiques publiques et les disciplines Ethnologie française, XLI, 2011, 2

académiques. Dans leurs propres contributions, les directeurs de l’ouvrage font l’effort de présenter le contexte de la recherche collective qui leur a servi de point de départ. Ils montrent notamment comment le patrimoine ethnologique, à travers les musées, a permis de renforcer la légitimité de l’ethnologie scientifique (Boudia) ; comment le patrimoine scientifique en général, non content de témoigner des avancées et des évolutions de la science, révèle des motivations chez les scientifiques qui s’en servent pour se doter d’une mémoire commune, communiquer avec le grand public et développer certaines formes de culture scientifique et technique (Soubiran). Ce collectif de chercheurs montre ainsi la persistance et la vitalité des questionnements relatifs au patrimoine et aux processus de patrimonialisation en France. Deux contributions de chercheurs majeurs dans ce domaine augmentent encore la valeur de l’ouvrage en justifiant les enjeux de ce secteur d’études. Dans sa préface, l’historien François Hartog désigne le patrimoine comme « une notion pour temps de crise » [9], suggérant qu’à la modernité du concept d’Histoire succède aujourd’hui la notion postmoderne de Patrimoine, une notion qui signalerait « la mise en cause de l’Histoire, son éclipse (momentanée ?), au profit de la Mémoire » [9]. Écho et prolongement de cette hypothèse forte, la postface du muséologue Jean Davallon présente la patrimonialisation comme un processus cognitif dont l’étude s’inscrit pleinement dans l’histoire des sciences. En considérant que les questions patrimoniales soulèvent des problèmes fondamentaux liés à la communication de l’activité scientifique, il appelle à mettre en œuvre « une science réflexive qui produise une connaissance de l’objet et de l’activité scientifique d’où il vient » [282]. Élève de Roland Barthes, Jean Davallon remet ainsi la question du sens au centre des débats concernant le patrimoine. Même si l’absence de références explicites à l’ethnologie des sciences ou aux nombreux travaux actuellement consacrés au patrimoine par les géographes de la culture et les économistes spécialistes des politiques publiques est à déplorer, l’ouvrage contribue finalement à bousculer un certain nombre de préjugés positivistes. Il témoigne de l’intérêt que peut avoir le chercheur en ethnologie à tourner vers soi les instruments d’analyse qu’il réservait traditionnellement aux autres.

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Marc-Olivier Gonseth, Yann Laville et Grégoire Mayor (dir.) Helvetia Park Neuchâtel, Musée d’ethnographie, 2010, 370 p. par Jacques Gutwirth Laboratoire d’anthropologie urbaine, CNRS [email protected] Voici un livre remarquable accompagnant l’exposition Helvetia Park, elle aussi remarquable, présentée de septembre 2009 à mai 2010 au musée ethnographique de Neuchâtel, en Suisse. « L’équipe du MEN et la fondation suisse pour la culture Pro Helvetia invitent […] à une promenade ludique au cœur d’Helvetia Park, une exposition qui interroge les points de contact et de friction entre différentes conceptions de la culture en Suisse aujourd’hui » [9]. En fait, Pro Helvetia, importante institution à visées culturelles entièrement financée par la Confédération suisse, souhaitait lancer, à l’occasion de ses 70 ans en 2009, un programme d’activités sur le thème des symboles nationaux. Les animateurs du MEN jugèrent que ce thème devait s’inscrire dans les débats sur les pratiques culturelles, et que l’exposition qui en résulterait devrait être nomade et, après Neuchâtel, présentée dans d’autres villes. Un accord entre les deux institutions fut conclu. La définition de la culture par le MEN est tout à fait séduisante : « Le terme de “culture” n’est plus un concept fédérateur et ne désigne en aucun cas un territoire unifié. Il se rapporte plutôt à un ensemble de champs étroitement connectés à des pratiques sociales, à des savoirs sensibles, à des règles de communication et à des identités fragmentées » [13]. La métaphore de la fête foraine fut adoptée comme fil conducteur de l’exposition et le projet s’articula autour de onze modules (brochure, « texpo », de présentation de l’exposition). « Avec ses baraques multicolores, ses frontons peints, ses manèges aux figures passéistes ou inspirées de films hollywoodiens, ses freakshow et ses maisons hantées aux esthétiques outrancières, la fête foraine offrait un terrain d’investigation muséographique passionnant […]. Pour autant, notre projet n’a jamais été de construire une exposition sur l’art forain et son histoire. Les stands n’ont pas été convoqués pour eux-mêmes, mais pour les association multiples qu’ils offraient avec la thématique choisie » [13]. Le livre donne à penser que l’exposition était divertissante et instructive à la fois. Cependant l’ouvrage, tout

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en présentant les différents modules de l’exposition, va bien au-delà. Ainsi, proche du catalogue classique, il montre de nombreux objets exposés, mais aussi les constructions qui reproduisent les diverses baraques d’une fête foraine, pour la plupart construites à l’échelle 1/1, sauf celle des autotamponneuses. On y découvre le tir-pipes, le carrousel, une baraque de voyante, un train fantôme, un palais des glaces. Le caractère de fête foraine est renforcé par le fait que les visiteurs, qui peuvent utiliser le tir-pipes, manipuler de l’extérieur les autotamponneuses, etc., sont censés acheter des jetons qui leur permettent d’exercer leurs talents. L’exposition associe ces divers jeux à des préoccupations culturelles, sociales et politiques. Ainsi, la piste des autotamponneuses présente le culture crash entre les divers modèles réduits de voiture dont les carrosseries évoquent des facettes de l’univers culturel : la façon dont on peut les « conduire » répond à leur vocation. Ainsi, le modèle de voiture « folklore » est lent et lourd à manier mais difficile à dérouter, tandis que l’« art contemporain » réagit au quart de tour, alors que le modèle « ethno » roule uniquement en marge de la piste ! Des photos de diverses voitures sont présentées : ainsi, celle du « design suisse » évoque le réputé couteau à manche rouge ! Associé à la nostalgie et à l’enfance, « le carrousel offre l’image rassurante des cycles et des éternels retours » [125]. Des photos et des inscriptions évoquent des célébrations annuelles suisses : le 1er Août, fête nationale, le carnaval, le salon de l’automobile de Genève (depuis 1905), le 1er Mai à Zurich, lieu de rendez-vous privilégié de la gauche militante depuis 1980. À l’exposition, on pouvait entendre des enregistrements réalisés lors des diverses manifestations et des objets récoltés par des ethnologues étaient exposés : ainsi pour le salon de l’automobile de 2009, un ensemble d’éléments recueillis sur place, par exemple un sac en papier du stand Jaguar, un briquet et un stylo à bille offerts par un garage, etc. Le musée ethnographique recueille et présente désormais des objets qui marquent nos sociétés modernes ; en tant qu’anthropologue urbain, je me réjouis de cette approche et j’espère que d’autres musées ethnologiques en font autant pour d’autres sociétés, comme la nôtre marquées par la modernité. Il faudrait pouvoir citer tous les « stands » de cette fête foraine. Ainsi le stand du jeu de massacre, défouloir traditionnel des parcs d’attractions qui fait écho à la mission cathartique de la culture à travers le carnaval, la satire, la caricature les guignols, etc. ; une baraque de voyante qui permet aux « experts » divers, et pas Ethnologie française, XLI, 2011, 2

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seulement les devins africains, de distribuer leurs conseils souvent payants ; un freakshow analyse la manière dont s’établissent les frontières entre normalité et monstruosité. L’ouvrage publié en français et en allemand, ainsi qu’en italien, est vraiment multiforme. Ainsi, il dévoile aussi avec des schémas et des photos les phases de la construction des diverses baraques ; cet envers du décor est particulièrement intéressant car voilà bien ce que les catalogues traditionnels ne nous livrent jamais. Quatorze contributions scientifiques, enfin, se rapportent certes à l’exposition, mais vont au-delà, car des textes expriment souvent mieux que les objets les idées que défendent les organisateurs de l’exposition et les auteurs (parfois les mêmes). La première contribution, signée Marc-Olivier Gonseth, Yann Laville et Grégoire Mayor, relate le pourquoi et le comment de l’exposition. Citons sa conclusion : « Au-delà du divertissement, la thèse d’Helvetia Park repose sur l’idée simple que la culture n’est ni un vernis appartenant à une caste, ni le reliquat d’un conflit entre l’élite et le peuple, ni un produit de consommation, mais, à l’image de l’expérience collective que nous vivons sur cette colline [le MEN], la négociation au quotidien du sens que nous entendons donner à nos vies » [15]. La contribution d’Arthur de Pury, « Face au bloc de l’hermétisme creux », traite d’une œuvre monumentale, Bloc erratique, des frères Chapuisat, installée depuis l’inauguration de Helvetia Park dans le parc du musée d’ethnographie de Neuchâtel. L’œuvre, rappelant un rocher massif et pesant, est néanmoins parsemée de minuscules ouvertures qui permettent d’entrevoir… un intérieur vide. L’auteur note que le public non averti, devant des œuvres abstraites telle celle-ci, formule une exigence de signification immédiate. On a dénoncé – notamment Bourdieu dans son ouvrage sur la distinction – le caractère supposé volontairement obscur et abscons d’une part importante de l’art contemporain. Et pourtant, bien que la sculpture soit installée dans un des plus beaux parcs de la région, les promeneurs semblent se l’être appropriée sans autre forme de procès. En fait, dans un contexte helvétique, le faux rocher fait référence à des bunkers, datant de la Seconde Guerre mondiale, camouflés dans des paysages idylliques (leur efficacité n’a heureusement pas pu être vérifiée…). Ce Bloc erratique dénoncerait la perpétuation du conservatisme étriqué de la Suisse. L’explication est séduisante, mais on aimerait connaître l’opinion des promeneurs à ce sujet… L’article de Christophe Gallaz, « Ce que l’œil voit, ce que le cœur espère », traite de l’art et du musée. À l’époque où les banques se font de la publicité en patronnant Ethnologie française, XLI, 2011, 2

des manifestations artistiques, Gallaz note que, « en soutenant les arts, le monde des affaires fait croire qu’il travaille dans la perspective de l’intérêt général et non celle du profit […]. En se faisant soutenir par le monde des affaires, celui des arts acquiert les moyens de déployer les apparences de son travail […] qui doivent dès lors se constituer en un spectacle autonome, capable de valoir en soi seul […]. Le monde des affaires est devenu l’exploitant de l’impuissance culturelle » [107]. Quant à son avis sur le véritable rôle des musées, l’auteur a des phrases percutantes : « Le musée, tu ne l’aimes pas en tant que morceau de l’industrie culturelle. Tu ne l’aimes pas en tant qu’entonnoir à public, en tant qu’élément du mécanisme médiatique, en tant que terrain didactique moyen, en tant que podium de la culture à vocation touristique et mondaine […] tu cherches seulement quelqu’un qui te parlerait d’un objet. Qui ferait exploser l’ordre de la ville et celui de ta vie dans cette ville par le seul fait qu’il te parlerait d’un objet » [109-110]. Isabelle Raboud-Schüle étudie la parenté entre le cortège en Suisse (parades musicales, militaires, processions, etc.) et le musée historique. « Des ustensiles, des armes, des vêtements circulent de l’un à l’autre, révélant la manière dont l’image de certains événements a été construite. On y lit à la fois une forte emprise officielle, avec le rôle joué par les notables et les élites intellectuelles qui célèbrent le passé dans les cortèges et les musées, et un continuel bricolage. Les objets qui en sont issus, les drapeaux recousus, les costumes confectionnés, le mélange de pièces anciennes et d’étoffes nouvelles, etc., ont été considérés comme des pièces sans crédibilité » [207]. Or, bien documentés, « les témoins matériels des cortèges les plus divers deviennent pour le musée des objets polysémiques, attestant une culture populaire en continuelle recomposition » [207]. Ce n’est pas seulement en France, comme le montre Laurent Flütsch, que les émissions de radio satiriques suscitent des remous, comme l’attestent les réactions à une émission dominicale de la Radio suisse romande, « La soupe ». Flütsch reconnaît que ce type d’émission est souvent un divertissement à succès qui confine à la variété. Mais est-ce un contre-pouvoir ? « Les bouffons sont-ils devenus rois ? Bien sûr que non […] la dérision satirique n’a pas l’illusion d’agir comme un contrepouvoir efficient. Et, de toute façon, elle demeure foncièrement marginale. Dans le discours médiatique comme dans le fonctionnement social » [236]. Signalons encore une présentation de Thomas Antonietti concernant des tableaux de Robert Calpini (18401918) représentant des vaches d’Hérens, dans le Valais,

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point de départ d’une tradition de représentations qui se poursuit jusqu’aujourd’hui, associées à des naturalisations de têtes de vaches, telles qu’on les trouve au musée d’histoire du Valais à Sion. À partir de 1960, dans cette région apparaît un phénomène spécifique qui n’avait pas pour but immédiat d’améliorer le rendement laitier ou la qualité de la viande bovine de la race d’Hérens. Il s’agit du « combat de reines », entre des vaches d’Hérens, qui sont plutôt belliqueuses et qui ont tendance à s’affronter (sans véritablement se blesser ou se tuer). De véritables spectacles de ces combats sont organisés. Ils sont patronnés par des politiciens et des entrepreneurs, pour lesquels la possession de ces vaches est un moyen de se mettre en évidence comme représentants de la tradition. Avec les tableaux de Calpini et les têtes de vache naturalisées, ce phénomène illustre la patrimonialisation de la race d’Hérens… D’autres contributions, y compris à propos des masques grotesques bien connus du Lötschental, sont stimulantes. Helvetia Park est donc à la fois un catalogue superbement présenté et illustré, et un ouvrage savant rempli d’informations, réflexions et analyses sur la muséologie et l’exposition ethnographique. L’ensemble permet de mieux percevoir bien des aspects de la culture en Suisse, et aussi ses enjeux politiques et autres. Souhaitons que cet ouvrage anime les responsables de musées ethnologiques en France à réaliser eux aussi des aperçus aussi vivants sur nos propres modes de vie contemporains.

Pierre Centlivres À seconde vue. Thèmes en anthropologie Gollion, Éditions Infolio, 2009, 366 p. par Martine Segalen Université de Paris Ouest Nanterre La Défense [email protected] Pierre Centlivres et Micheline Centlivres-Demont, anthropologues bien connus, spécialistes de l’Afghanistan, sont auteurs de nombreux ouvrages dont le moins remarquable n’est pas Revoir Kaboul. Chemins d’été, chemins d’hiver entre l’Oxus et l’Indus, 1972-2005 1 qui relate, à travers trente années de terrain, les déchirures et dynamismes de la société afghane. Pierre Centlivres a également enseigné à l’université de Neuchâtel, en étroite liaison avec le musée d’ethnographie, ce qui l’a conduit, au fil des années, à traiter d’un

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ensemble de thèmes qui n’apparaissent pas aussi divers qu’ils le seraient à regarder le sommaire. D’où le titre À seconde vue ? Thèmes en anthropologie d’un ouvrage qui réunit une quinzaine d’articles publiés au fil des ans, ici revus (avec divers co-auteurs) et rassemblés en trois parties : une première concerne l’histoire de la discipline, à travers la présentation de trois ethnologues aux destins singuliers, à tous points de vue ; la deuxième rassemble des textes qui font le point sur des questions centrales de la discipline et toujours en débat ; la troisième, la plus orientale dans son domaine de réflexion, concerne le rôle de l’image. Dans la première partie, les lecteurs découvrent d’abord un épisode relativement peu connu de la carrière d’Arnold Van Gennep, qui débuta à Neuchâtel où il organisa le Ier Congrès d’ethnographie à la veille de la Première Guerre mondiale. C’est l’occasion d’analyser les débats concernant le champ de l’ethnologie d’alors (inclure ou pas l’anthropologie physique), de présenter les travaux que son étudiante, Eugénie Goldstern, mena en Maurienne avant de connaître un destin tragique. L’article s’étend longuement sur les circonstances qui conduisirent l’État suisse à expulser Van Gennep pour des prises de position critiques vis-à-vis de la neutralité suisse. Le second chapitre concerne la carrière du sinistre Dr Montandon, qui, avant d’être conseiller au commissariat général aux Questions juives, sous l’Occupation, avait fait une carrière d’ethnologue remarquée lorsque, à la fin des années 1920, il prétendit avoir découvert un singe anthropoïde américain. Sa trouvaille participait de la compétition entre continents pour être déclaré berceau de l’humanité ; elle s’inscrivait dans la théorie aujourd’hui oubliée de l’« ologenèse » selon laquelle la vie a pris naissance sur toutes les parties de la Terre, d’où il s’ensuit que le peuplement humain ne s’est pas réalisé par migrations successives, puisque les espèces primitives ont occupé toute la surface habitable. L’article de Centlivres détaille la querelle scientifique qui s’est déroulée autour de l’anthropoïde américain, en l’inscrivant dans la période de découvertes et controverses tant scientifiques que politiques propres à l’entre-deux-guerres. Rapidement exclu par les paléoanthropologues, Montandon se spécialisera par la suite dans la raciologie. Un troisième article expose la thèse d’un anthropologue allemand, Julius Lips, publiée en allemand en 1928, en anglais en 1938 sous le titre The Savage hits back or the White Man through the Native Eyes qui présente à travers plus de deux cents clichés des œuvres d’art faisant le portrait d’Européens, réalisées par des artistes du monde colonisé, donc brossés par ceux-là mêmes qui en sont les sujets. Militant actif, Julius Lips sera victime du nazisme qui le contraignit Ethnologie française, XLI, 2011, 2

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à s’exiler, à Paris sans succès, puis aux États-Unis ensuite. C’est l’occasion pour Centlivres d’analyser les forces et les faiblesses de la thèse de Lips quant au regard artistique indigène dans un rapport de colonisation. Outre leur contribution à l’histoire de la discipline, les trois textes illustrent, à travers ces biographies singulières, les rapports entre la science ethnologique naissante et les contextes nationaux et politiques au sein desquelles elles œuvraient. La deuxième partie regroupe des articles sur des thèmes classiques de l’anthropologie, qui seront utiles aux ethnologues apprentis, en raison de leur limpidité et de leur concision : histoire des débats anthropologiques autour des termes « race » et « racisme », à travers une relecture des textes anglo-saxons, suisses et français, et dans leur relation avec les contextes politiques : Vichy et l’antisémitisme, l’UNESCO et les droits de l’Homme, etc. Centlivres constate, amer, que, chassé par la porte de la biologie, le racisme revient par la fenêtre des inégalités sociales. Deux contributions traitent de la notion de culture – concept flou, si l’en est. L’un relate l’histoire de cette notion en usage dans la version américaine de Culture et allemande de Kultur alors que la France mettait en avant le concept de Civilisation ; l’autre s’intéresse à l’emploi du terme dans la doctrine ecclésiastique, à propos de la quatrième constitution du concile de Vatican II (1965) qui traitait notamment de « l’essor de la culture ». Sur le thème des liens entre nature et culture, on trouve un court article fort comique, tout à fait d’actualité et en assonance avec les travaux d’un Tim Ingold, qui traite des liens sur la différence entre l’homme et l’animal, de Rousseau à Jules Verne. Un article concerne une relecture informée des Rites de passage ; un dernier, enfin, publié dans l’ouvrage accompagnant l’exposition « Le Trou » présentée au musée d’ethnographie de Neuchâtel, en 1990, offre un voyage à travers ce terme et ses synonymes « grotte », « accroc », « déchirure », « brèche », « galeries », auxquels sont associés des lieux, des comportements, des mythes. La troisième partie : « Regards, images, objets », regroupe un ensemble de textes s’intéressant aux collections ethnographiques, qu’il s’agisse d’objets, de photographies ou d’images. On y trouve des articles qui traitent de la production de l’image de l’Orient à destination des « civilisations européennes », notamment pour les grandes expositions universelles, et à travers la personnalité de certains explorateurs ; de la production croissante d’objets « ethnographiques » à destination des touristes de plus en plus nombreux. À ce sujet, Pierre Centlivres observe qu’« il n’y a pas de “pièces Ethnologie française, XLI, 2011, 2

ethnographiques”, mais un statut conféré à des objets ou des séries par un découpage du champ spécifique à un moment donné par le flux et le reflux du goût et de l’intérêt et par l’existence de musées spécialisés » [276]. Les non-spécialistes des sociétés musulmanes seront surpris par la production d’images populaires, chromolithographies aux couleurs criardes qui foisonnent dans un monde pourtant réputé iconophobe et dont Pierre Centlivres décrypte les thèmes. Images à fonction politique, elles témoignent aussi du métissage iconographique : il en va ainsi de la représentation de Saddam Hussein, figuré sur des images collectées en 1990 au cours de la première guerre du Golfe, galopant sur un cheval, scène largement inspirée du tableau de David montrant Bonaparte franchissant les Alpes. Un autre article propose une réflexion approfondie sur le rôle de la représentation et du regard chez les Talibans animés par la « passion iconoclaste » [318], qui a eu pour effets conjoints de détruire les célèbres Bouddhas et de voiler les femmes de Kaboul. Quel que soit le sujet, ces articles nous offrent une pensée vagabonde qui, procédant par association d’idées, va puiser tant dans la mythologie grecque que dans les souvenirs des explorateurs, la littérature, mais est toujours étayée par des observations de terrain. Un regard distancié, servi par un vrai talent de conteur, soutenu par un discret humour britannique. Dans ces vagabondages ethnologiques en Europe, en Orient ou en Afrique, tous les lecteurs trouveront leur compte. 1. Carouge-Genève, Éditions Zoé, 2007.

Carole Ferret Une civilisation du cheval. Les usages de l’équidé de la steppe à la taïga Préface de Jean-Pierre Digard, postface de Jean-Louis Gouraud Paris, Belin, 2009, 350 p. par Catherine Tourre-Malen Maître de conférences à l’université Paris Est Créteil Chercheur associé à l’IDEMEC, Aix-en-Provence [email protected] Curieusement, alors que les peuples turco-mongols ont joué un rôle central dans l’histoire de l’équitation et que le cheval reste un instrument fondamental du

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quotidien des populations altaïques de Sibérie et d’Asie centrale, peu de travaux y sont consacrés de façon approfondie. Jean-Pierre Digard attribue cette lacune non seulement à l’impératif de posséder de solides connaissances théoriques et pratiques en hippologie et en équitation pour surmonter les difficultés de ce type d’étude, mais encore à certains « préjugés académiques » qui font qu’en termes de carrière et de publications il semble plus rentable de s’intéresser « aux représentations qu’aux pratiques, aux productions de l’esprit qu’à celle de la terre » [12]. Cavalière et ethnologue intrépide, Carole Ferret en a pris le risque. Une civilisation du cheval vient combler ce vide. Dès l’introduction, l’auteur présente les pasteurs de la steppe et de la taïga comme « les premiers inventeurs d’une véritable civilisation du cheval, basée sur une conception équine du monde » [16]. C’est cette civilisation méconnue qu’elle entend nous faire découvrir par une étude des usages de l’équidé chez les Iakoutes, mis en perspective avec d’autres cas proches – Touvas et Khakasses de Sibérie méridionale, Kazakhs, Kirghizes et Turkmènes d’Asie centrale, Bouriates de Mongolie. Tous ces peuples font un usage du cheval qui couvre un spectre très large : transport, travail, produits de consommation, imagerie symbolique… En Iakoutie, les chevaux vivent dans un état semi-sauvage ; ils fournissent ainsi énormément (en produits corporels et en force de travail) pour un minimum de soins. Aussi les Iakoutes se targuent-ils d’avoir des « chevaux exceptionnels [qui] leur donnent tout sans rien exiger en retour, [qui] les transportent et surtout les nourrissent sans être alimentés par eux, les habillent sans être jamais eux-mêmes ni couverts ni protégés, dans le pays le plus froid de la Terre » [31]. Cette perception paraît à l’auteur d’autant plus tenace que les Iakoutes ont choisi le cheval comme l’emblème de leur nation. Il s’agit donc, pour Carole Ferret, de « démêler le vrai du faux dans tous les discours tenus sur le cheval iakoute, son origine, sa production et sa consommation » [32]. Le premier chapitre s’attache à retracer l’évolution du cheptel équin iakoute et sa composition. Tâche peu aisée s’il en est : que ce soit à la période tsariste, soviétique ou même à l’heure actuelle, de « multiples facteurs viennent biaiser les données, de manière volontaire et involontaire » [35]. En recoupant les informations, Carole Ferret parvient toutefois à montrer qu’au fil du temps le nombre de chevaux a diminué en Iakoutie et que leur usage s’est modifié : d’animal polyvalent, le cheval iakoute est devenu essentiellement un fournisseur de produits carnés. Par ailleurs, son statut s’est élevé par

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la création et la valorisation de sa race. Cette promotion s’est réalisée sur fond de débat scientifique teinté d’idéologie au sujet de l’origine du cheval iakoute. Les chevaux représentant leur ethnie éponyme, la question des origines dépasse le simple cadre zootechnique pour prendre une dimension politique dans le contexte particulier de l’ex-URSS. Les Iakoutes semblent à l’auteur d’autant plus prompts à adopter toute théorie, même fallacieuse, susceptible d’appuyer leur propre ancienneté, que l’hypothèse d’une arrivée tardive sur leur territoire actuel les empêche de se revendiquer plus autochtones que les Russes. Le deuxième chapitre s’ouvre sur une discussion méthodologique en matière d’inventaire. Carole Ferret justifie là son choix de ne pas opposer techniques et représentations, car elles lui paraissent « indissociables » [76]. Elle dégage trois grandes formes d’utilisation du cheval : « En tant que matière, l’animal livre des produits corporels sur lesquels l’homme effectue des opérations ; en tant que moyen, l’animal est manipulé par l’homme et lui prête son énergie et son comportement ; en tant que signe, l’animal est interprété s’il est un indice, représenté s’il est un motif ou envoyé s’il est un signal » [80]. L’auteur décrit tout d’abord la pratique hippophagique iakoute, en établissant des comparaisons avec celle des Bouriates, des Khakasses, des Touvas et des Kazakhs. En Iakoutie, la viande chevaline est à la fois plus prisée et moins onéreuse que la viande bovine. Elle est à la base de nombreuses recettes culinaires et connaît même une consommation rituelle lors de l’abattage automnal – abattage qui concerne la moitié des poulains mâles. L’élevage équin fournit également du lait, utilisé exclusivement sous forme fermentée, le kumys, « boisson reine des pasteurs turco-mongols » [103] ; quoique faiblement consommé en Iakoutie, sa célébration se confond paradoxalement avec la fête nationale. Outre la viande et le lait, le corps de l’animal offre également de quoi se vêtir, s’outiller, se soigner. Carole Ferret consacre le troisième chapitre à décrire les utilisations des poils, de la peau, des crins, des os, des tendons, des sabots, du crottin, de l’urine… et les techniques qui leur sont relatives (préparation des peaux, fabrication des cordes, ramassage et façonnage des excréments…). Elle détaille ensuite (chap. 4) de façon approfondie l’exploitation du cheval iakoute comme animal de bât, comme animal de selle, comme animal de trait, en passant en revue les techniques et le matériel rattachés à ces utilisations. Elle aborde également au cours de cette étude les formes altaïques de chasse montée, l’utilisation guerrière du cheval des steppes et les Ethnologie française, XLI, 2011, 2

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compétitions actuelles – courses de vitesse iakoutes, turkmènes et bouriates, courses de longues distances (bäjge), jeu d’« arrache-bouc » (kôkpar)… le rôle majeur qu’a occupé – et qu’occupe encore dans certaines régions – le cheval en Asie Mineure comme moyen de transport qui transparaît dans le système de mesure des distances. Cette référence au cheval dans l’étalonnage de l’espace annonce la « dernière forme de sa consommation » [252], celle de signes. La culture iakoute abonde en signes équins d’ordre divers. Le cheval y est un indice de richesse et de notoriété. Il représente une unité monétaire qui entre en jeu notamment dans les compensations matrimoniales, de façon réelle – animaux vivants et carcasses – et de façon symbolique – « un cheval », sylgy biirè, correspondant à onze bêtes (dont des chevaux) vivantes et mortes. Le cheval constitue aussi un objet de sacrifice, « actif » par la mort de l’animal ou « passif » par le renoncement à l’utiliser. Actifs ou passifs, ces sacrifices poursuivent les mêmes objectifs : accompagnement des morts, guérison des maladies, garantie des biens, quête du succès… Enfin, la consommation du cheval se fait en tant qu’icône. Ainsi, l’artisanat iakoute utilise fréquemment le sabot équin comme motif, tandis que la langue iakoute use du cheval comme référent de façon si abondante qu’elle laisse entendre une « conception équine du monde » [296]. La figure du cheval sert aussi d’emblème national dans toute l’aire altaïque. Cette convergence idéologique et cette communauté de traditions équestres et chevalines n’ont cependant donné lieu à aucun rassemblement panturc ou panaltaïque. Au contraire même, chacun revendique la paternité de cette « civilisation du cheval ». La revue de l’utilisation du cheval en tant que signe se clôt sur la mise en évidence du système d’opposition qui existe entre le statut des espèces bovine et équine – la vache, trop domestique pour être magnifiée, féminine parce que casanière, sédentaire… étant perçue par les Iakoutes comme un « cheval à l’envers, un cheval en négatif » [298]. En conclusion, Carole Ferret revient sur les particularités de l’usage iakoute du cheval et ses variations dans le temps. Alors que le rôle du cheval comme instrument de travail et comme objet de sacrifice diminuait, on augmentait sa production bouchère tout en exaltant sa figure emblématique. Les Iakoutes ont « des chevaux pour euxmêmes, pour les manger et pour les penser, plus que pour les monter » [310]. Ils constituent par là « le plus chevalin et le moins équestre des peuples cavaliers » [311]. Par l’ampleur de son étude, la minutie de ses descriptions et la richesse de ses illustrations (croquis, photos, Ethnologie française, XLI, 2011, 2

cartes…), Une civilisation du cheval renoue avec les meilleures approches de l’ethnologie des techniques. Édité de façon soignée et servi par une écriture fluide et précise, l’ouvrage séduira à la fois le lectorat érudit amateur de descriptions ethnographiques et le public passionné de chevaux, auquel Carole Ferret adresse d’ailleurs des clins d’œil sous forme de comparaisons avec la culture équestre occidentale. En quelques traits, elle y met en évidence des différences significatives dans le rapport au cheval qui non seulement peuvent initier les milieux équestres occidentaux au « relativisme culturel », comme le souligne Jean-Pierre Digard [13], mais encore constituent en euxmêmes un objet de recherche qu’on pressent fécond. Les spécialistes apprécieront, eux, la rigueur et la volonté d’exhaustivité que montre cette étude des pratiques. Certains ressentiront peut-être au fil de leur lecture une sorte de frustration. En effet, Carole Ferret ouvre des pistes que l’on aimerait suivre plus longuement, en particulier celle de l’incidence des alternances privatisation-collectivisation sur les modes d’élevage et les représentations de l’animal, ou encore celle de l’« anthropologie de l’action » qui représente le principal apport théorique de sa thèse soutenue en 2006 et dont le présent livre constitue un extrait. Espérons donc qu’elle ne tardera pas à le faire dans une prochaine publication. Il reste aussi à souhaiter qu’Une civilisation du cheval trouve sa « vraie » place dans les librairies, sur les rayons « sciences humaines » et non sur ceux « loisirs » ou « animaux », comme cela arrive (trop) souvent aux ouvrages scientifiques dès lors qu’ils s’intéressent à l’équitation ou au cheval.

Baptiste Buob La dinanderie de Fès. Un artisanat traditionnel dans les temps modernes. Une anthropologie des techniques par le film et le texte Paris, Ibis Press - Éditions de la MSH, 2009, 419 p., associé à un DVD de 4 films par Despina Liolios Laboratoire de Préhistoire et Technologie Université Paris Ouest Nanterre La Défense [email protected] Qu’est-ce qui se cache derrière la « vitrine » de l’artisanat traditionnel marocain ? Qui sont ces dinandiers peuplant des « ateliers invisibles » aux touristes, où le travail devient performance physique tant il est pénible ? La

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conclusion de l’ouvrage de Baptiste Buob dépasse le prétexte initial de sa recherche ; définir l’artisanat traditionnel marocain, notamment la dinanderie, cet art de transformer des métaux non précieux en vaisselle, plateaux et autres ustensiles ménagers ou décoratifs. En effet, si l’analyse du monde des dinandiers de la Medina de Fès met en pièces l’opposition traditionnel-industriel, elle dévoile également des aspects essentiels de l’histoire de la dinanderie et de la prolétarisation de l’artisanat marocain. Pour le comprendre, l’auteur a choisi de le regarder derrière une caméra ; 4 films (Ovales, Fonderie, Tifor, Place Seffarine) s’associent au texte pour donner à voir techniques, espaces, objets et artisans. Le texte lui-même est composé de quatre parties, quatre perspectives éclairant l’univers complexe de la dinanderie. La première, intitulée « Histoire de la dinanderie fassie », montre que le travail des métaux, très ancien au Maroc, émerge au carrefour d’influences berbère, africaine, orientale avec les Arabes, et andalouse. La dinanderie marocaine produisait au Moyen Âge des objets de très haute qualité. Elle commencera de stagner alors que les exportations de marchandises s’inverseront au profit de l’Europe, inondant ainsi le marché marocain et y introduisant au XVIIe siècle une denrée « révolutionnaire », le thé. En danger face à l’afflux de produits européens, elle adaptera sa production à la consommation de cette boisson qui se généralisera au XIXe siècle. Son visage actuel a également été façonné par la politique du protectorat français, qui réforma la hisba, institution régulatrice de la production et des échanges commerciaux, déstabilisant ainsi le système de réglementation interne de la production et du commerce. Cette déstructuration – l’apparition d’entrepreneurs détenteurs de fonds et de moyens de production, la nécessité de s’adapter au marché – fit entrer la dinanderie dans la sphère industrielle, avec ses corollaires : mécanisation, division du travail et spécialisation des tâches, production en série. La deuxième partie, intitulée « Objets, espaces et acteurs », « resserre sa focale » sur l’univers des dinandiers contemporains. Elle souligne le pouvoir économique stratégique d’une poignée de fournisseurs de matières premières, richissimes, qui contrôlent leur coût (élevé) et leur circulation, et qui disposent d’unités de production capables de produire à bas prix. Mais la très grande majorité des dinandiers ne peuvent soutenir la concurrence ; ils travaillent alors à façon pour une poignée de dirhams dans des ateliers ou fabriques de la Médina. Sous-traitance généralisée, éclatement des opérations dans l’espace, cadences soutenues, pollution et vétusté

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des installations, exploitation des enfants ; telles sont les caractéristiques de ce métier dont les boutiques de la Médina ne montrent que la « façade idéalisée ». Dans la troisième partie, « Diversité et évolution des techniques de fabrication », l’auteur analyse finement la fabrication de deux objets et la réalisation de plusieurs techniques. Ces objets sont le plateau ovale (voir le film Ovales), de fabrication courante et d’usage ordinaire, et le tifor, grand plateau entièrement décoré destiné aux touristes ou à une clientèle fortunée (voir le film Tifor). Le premier voit sa fabrication éclatée entre plusieurs ateliers et nécessite une mécanisation importante, qui n’exclut pas un travail manuel pénible. Le travail se fait en série, avec peu de soin et un faible investissement – voire une simplification – technique ; c’est la productivité qui est visée dans un contexte qui évoque celui de la manufacture. Il réunit des artisans aux côtés d’ouvriers peu qualifiés, venus des campagnes environnantes, chargés des tâches les plus répétitives et fatigantes, ainsi que des enfants exploités à bas prix, hors du cadre formateur de l’apprentissage, chargés de transporter les produits de lieu en lieu. Le tifor est fabriqué manuellement par des artisans expérimentés. Sa décoration et sa mise en forme, étudiées avec précision, révèlent la nature et l’évolution des savoir-faire. Ainsi, la ciselure, technique très élaborée, cède progressivement la place au poinçonnage, simplifiant et standardisant les décors. Les techniques de décor et de dressage (mise en forme par percussion lancée du plateau à l’aide de maillets), ainsi que la brasure utilisée pour la fabrication des plateaux ovales, sont des techniques anciennes, non mécanisées. Elles exigent une posture assise, contrairement aux techniques les plus récentes, mécanisées (l’ajourage, le rainurage au tour, le polissage, l’électrolyse, etc.) et dont l’unité posturale est, elle, verticale. L’analyse des techniques de dressage (pliage, emboutissage, martelage, etc.) montre enfin comment leur compréhension exige la prise en compte non pas seulement de l’outil, mais également de la posture du corps, des angles d’attaque et des supports. La dernière partie, « Perpétuation, sauvagerie et préservation », propose une synthèse anthropologique des représentations que les dinandiers ont de leur métier. Elle est aussi, avec les films, la plus personnelle. L’auteur y décrit le sort fait aux enfants que l’on maintient en état d’apprentissage le plus longtemps possible, auxquels on ne transmet plus les savoir-faire dans le but de se préserver de la concurrence et de lutter contre le dévoiement des techniques les plus anciennes. Face à la « sauvagerie » de la logique capitaliste qui a métamorphosé la dinanderie, Ethnologie française, XLI, 2011, 2

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les artisans, impuissants et dominés, ne peuvent se préserver qu’en mobilisant des valeurs morales. L’ouvrage n’est pas clos pour autant, car les quatre films donnent à voir de manière presque corporelle la dextérité des experts, les cadences infernales, l’absence totale de protection des travailleurs devant les fours, les polissoirs, les bacs d’argentage, le fourmillement des travailleurs dont les liens de solidarité sont peu à peu détruits. Cette double approche, par le texte et le film, alliée à la pluralité des perspectives, donne une portée très forte à l’analyse et illustre à quel point les techniques peuvent être une clé de compréhension de l’évolution économique, politique et sociale des populations.

Sandra Ott War, Judgement and Memory in the Basques Borderland, 1914-1945 Reno-Las Vegas, University of Nevada Press, 2008, 252 p. par Michèle Baussant Laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative, CNRS-Paris Ouest Nanterre La Défense [email protected] Fondé sur une approche pluridisciplinaire, l’ouvrage de Sandra Ott s’attache à analyser les relations entre les Basques de Xiberoa, à l’intérieur de la communauté sociale et morale à laquelle ils s’identifient, et avec différentes catégories d’étrangers, dans la période de l’entre-deux-guerres et de la Seconde Guerre mondiale. Entretiens et documents d’archives tissent ici le récit complexe de ces relations dans un espace physique et social diversement investi comme lieu de transit, de refuge, d’exil, de conflits et d’occupation, comme les ambiguïtés qui les traversent, exacerbées et refaçonnées durant quatre décennies, elles-mêmes marquées par une dépression économique internationale, deux guerres mondiales et des guerres civiles. Mais, davantage même que la nature et les formes contextualisées de ces relations, c’est la manière dont, à travers elles, se redessinent différentes figures, vécues comme dangereuses, voire ennemies, de l’autre et de soi, comme individu et comme membre d’un groupe symbolique, qui apparaissent ici au cœur de l’ouvrage. C’est par une interrogation sur les interprétations Ethnologie française, XLI, 2011, 2

locales de la légitimité en matière de jugement, de comportement et de justice, confrontées à d’autres perceptions et modèles, officiels et/ou venus de l’extérieur, tels que celui s’appuyant sur la justice légale et administré par un système judiciaire, que Sandra Ott aborde la question de la communauté morale dans un espace frontalier pyrénéen. Elle adopte une démarche comparative particulièrement bien menée, à travers une analyse empirique des conflits intracommunautaires et de leur gestion. Pour ce faire, elle examine quatre lieux géographiquement proches et donc quatre configurations sociales et historiques dans lesquelles cette problématique du jugement légitime en contexte de guerre, de son expérience et de ses effets sur le présent se déploie : la petite ville industrielle de Maule, caractérisée par l’hétérogénéité culturelle, « ethnique » et socio-économique de ses habitants, le hameau voisin de Ospitaleku, la commune montagneuse de Urdos à la frontière franco-espagnole et Sustary. L’auteur retrace tout d’abord un portrait, quel que peu condensé, des racines historiques et culturelles de cet espace frontalier des Pyrénées et de son organisation sociale : elle y définit entre autres les notions contextualisées de communauté, de « maison », d’appartenance, qui s’articulent avec la distinction constitutive entre deux catégories d’individus – ceux qui appartiennent à une maison particulière, ou littéralement « ceux qui sont de la maison », et ceux qui lui sont étrangers ; les locaux, natifs d’un village en particulier, d’une commune ou d’une ville, et ceux qui viennent, d’autre part. Cette distinction s’incarne en particulier dans le droit et dans le concept de justice qui, tout à la fois, séparent les étrangers des locaux et reposent sur un système pluriséculaire de lois coutumières et de pratiques non écrites, qui intègre des rituels de justice populaires. C’est ce système qui apparaît comme garant de la pérennité et de l’autonomie de deux des principales institutions basques que sont la sphère privée de la maison et la sphère publique de la communauté. Après un chapitre consacré aux Basques durant la Première Guerre mondiale, Sandra Ott s’attache aux origines, à la nature et à la gestion des conflits intracommunautaires durant les premières décennies du XXe siècle, puis sous le régime de Vichy et l’Occupation. Tandis qu’à Maule la violence allemande a pour effet d’unir une population traversée par de nombreuses divisions antérieures, ces dernières se perpétuent néanmoins, sous une autre forme, avec la formation de groupes résistants rivaux. À Sustary, où la présence allemande a été constante, des divisions profondes ont vu le jour

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une décennie avant l’Occupation. Là, les habitants ont pu établir, pour des raisons et des objectifs variés, des relations plus ou moins denses avec l’occupant. À Urdos, où la population ne connaissait pas de divisions internes fortes, la présence allemande, pourtant continue, a été l’objet d’un évitement constant. Conservant une série de pratiques traditionnelles et de règles sociales de coopération et de solidarité, la population a pu préserver ordre et stabilité, y compris dans les situations les plus dramatiques, où la dénonciation, la déportation et la mort viennent toucher deux familles voisines. Au moment de la Libération, c’est à travers leurs propres lois coutumières que les habitants s’attacheront à gérer eux-mêmes les conflits causés par les dénonciations locales. À Ospitaleku enfin, la population locale, peu divisée, a eu davantage de contact avec les résistants qu’avec les Allemands, et la présence des maquisards et de familles juives a été la cause d’une grande anxiété parmi des habitants soucieux de protéger leur maison et leur vie. Comme à Urdos, le maintien de formes d’échanges réciproques dans les sphères séculières et spirituelles a cependant renforcé la solidarité communautaire. Alors que la présence du maquis a menacé de dresser les habitants les uns contre les autres, l’attaque brutale des Allemands en juin 1944 a finalement empêché une telle division en les unissant contre l’occupant. Si d’aucuns éprouvent toujours un ressentiment vis-à-vis de la résistance, peu à peu s’est mis en place un ethos du pardon, qui ne concerne pas ceux qui ont dénoncé le maquis. Partout, à des degrés divers, a été privilégiée à la Libération la réaffirmation de la préséance des instances intracommunautaires de jugement et de résolution des conflits sur des cours formelles de la justice légale française, externes à la communauté morale. Néanmoins, il n’en est pas moins vrai que de tels jugements légaux et civiques se sont produits çà et là dans la région. Mais ni la justice intracommunautaire ni le recours à des autorités externes n’ont éteint toute contestation quant au jugement prononcé, pas davantage qu’ils n’ont fourni un cadre pour fonder la légitimité des décisions et des actions commises par le passé, même soixante ans plus tard. C’est en particulier vrai des groupes résistants rivaux, qui continuent de déployer des récits et des cérémonies concurrentes traversés par les thèmes récurrents du jugement et de la justification. Soucieux de gérer de manière interne les conflits et la justice afin de protéger la « maison » et la communauté, aucun des quatre groupes présentés dans cet ouvrage ne semble avoir finalement surmonté le trouble et la honte causés par la

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traîtrise morale que représentent les dénonciations pendant l’Occupation et à la Libération. Se détachant des perspectives actuelles sur la mémoire, conçue de manière réductrice sous un angle soit stratégique, soit pathologique, Sandra Ott met au jour la complexité du rapport au passé telle qu’il se révèle dans les récits de ses informateurs et les différentes formes d’évocations publiques, comme le théâtre et les commémorations annuelles organisées par d’anciens résistants – complexité qu’elle resitue dans l’organisation sociale et historique des sociétés étudiées. Sur la base de matériaux empiriques et en explorant les différents cadres sociaux de la famille, de l’amitié, du voisinage ou encore des lieux de travail, cet ouvrage nous donne ainsi à voir pour partie, par le prisme de la question complexe du jugement légitime, la reconstruction, la réception et la contestation des mémoires centrées sur les expériences vécues quotidiennes. L’objectif de l’ouvrage, on l’aura compris, n’est pas de nous proposer une analyse historique des quatre premières décennies du XXe siècle dans une région frontalière basque. Il nous invite plutôt à comprendre comment cette période a été traduite dans le langage et le vécu des individus, le souvenir qu’ils en ont gardé, sa transmission et son évolution dans une mémoire collective caractérisée par la multiplicité des expériences sociales et des représentations, dans leurs ambiguïtés et leurs contradictions.

Heriberto Cairo Carou, Paula Godinho et Xerardo Pereiro (coord.) Portugal e Espanha. Entre discursos de centro e práticas de fronteira Lisboa, Edições Colibri, 2009, 299 p. Dulce Freire, Eduarda Rovisco et Inês Fonseca (coord.) Contrabando na fronteira Luso-Espanhola. Práticas, Memórias e Patrimónios, Lisboa, Edições Nelson de Matos, 2009, 322 p. par Fabienne Wateau Laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative, CNRS-Paris Ouest Nanterre La Défense [email protected] Sans doute faut-il voir dans la parution quasi simultanée de deux ouvrages sur la frontière en péninsule Ibérique le besoin d’établir un nouvel état des lieux sur Ethnologie française, XLI, 2011, 2

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la question. Quelque vingt ans en moyenne après l’entrée de l’Espagne et du Portugal dans la Communauté européenne (1986) et l’instauration des accords de Schengen (1992), quels changements éventuels cette recomposition des espaces politiques et économiques a-t-elle comme effets sur les nations ? C’est en partie suivant cet axe que les textes et enquêtes ethnographiques de ces deux ouvrages abordent le sujet. La question des identités régionales et nationales, comme par ailleurs la réorganisation des espaces ruraux, sont d’autres angles d’approche privilégiés. La vingtaine de textes réunis dans ces deux ouvrages a pour point commun la frontière. La plupart se focalisent sur la raia (ou raya) luso espagnole, c’est-à-dire la « frontière vécue », celle qui implique de fait des liens et des relations sociales ; certains proposent une approche historique ou politique, renvoyant aux décrets législatifs et à l’analyse d’articles de presse ; d’autres enfin, moins nombreux, s’intéressent aux dimensions symboliques et représentations de la frontière, aux frontières de la mémoire, des sentiments et des corps. Les articles sont publiés dans la langue maternelle de leurs auteurs, en portugais ou en espagnol, dans les deux cas la publication ayant rapproché des chercheurs des deux pays. Enfin, ces ouvrages valorisent l’approche pluridisciplinaire, rassemblant autour d’un même thème des écrits d’anthropologie, de sciences politiques, de sociologie, d’histoire et de géographie. Ce rapprochement de disciplines complémentaires, qui invite à l’ouverture scientifique et lance des défis nouveaux, se manifeste ici par la richesse et la qualité théorique des deux introductions. Portugal e Espanha. Entre discursos de centro e práticas de fronteira est organisé en deux grandes parties. La première s’intéresse aux discours des États sur la frontière, depuis l’instauration de cette démarcation en 1297 – il s’agit de la plus vieille frontière d’Europe –, de ses représentations et utilisations pendant les dictatures, de la recomposition aujourd’hui de l’espace européen et de la libre circulation économique des biens et des personnes. La seconde partie est le point de vue plus domestique des anciens et nouveaux utilisateurs de la frontière, des populations de « périphéries, de bordures ou de marges », qui déploient dans ces espaces des activités multiples. La combinaison des deux regards est originale et bienvenue, elle offre un décalage de perception particulièrement intéressant et réussi. Tandis que les premiers, ceux du centre, présentent un discours officiel et institutionnel sur les périphéries, sur la ligne qui démarque ou qui unit selon les époques et les contextes politiques, les seconds, « ceux de la marge », commentent Ethnologie française, XLI, 2011, 2

la profondeur des espaces frontaliers et des liens établis de part et d’autre de la frontière, les échanges, la contrebande, les risques, les solidarités, « non pas un espace périphérique mais un espace central, d’interaction sociale et de recours stratégiques ». Cet ouvrage de douze articles commence donc par rappeler que la frontière est une construction géopolitique et stratégique, à caractère hétérogène, qui ne connaît pas de processus d’évolution commun à l’ensemble des frontières (Cairou). Ses continuités et discontinuités historiques, qui impliquent des constructions et déconstructions socio-économiques permanentes (Godinho), font surgir dans certains cas des contextes d’affirmation du libéralisme (Cardoso) ou encore des discours prônant en période de dictature « l’Ibérisme, l’union et la ressemblance » et, à une autre époque et au contraire, une quête de « nationalisme, de différence, et de distinction d’avec l’autre ». L’un des textes s’intéresse au portrait brossé du Portugal par une revue franquiste espagnole. Les deux pays sont considérés comme une hermandad, des pays frères, mais une communauté compatible néanmoins avec l’indépendance nationale de chacun des pays se traduisant pour l’Espagne dans le quijotisme et pour le Portugal dans le sébastianisme (Franzé). Un autre porte sur les réfugiés politiques de la guerre d’Espagne, accueillis à Barrancos au Portugal dans un élan manifeste d’entraide transfrontalière et de résistance (Simões). La frontière est un mur ou un pont, avec des effets directs sur les solidarités (Kavanagh ; Medina) ; la frontière est structurante, à l’instar du conflit social de Simmel. La frontière est encore mémoire, jeu d’échelles et niveaux d’entendement (Martins), elle est une inscription dans les corps, un paradis, une curiosité de transgression (Valcuende del Rio). La flexibilité actuelle de libre circulation en Europe contraste avec la dureté des nouvelles périphéries de l’Union. C’est le cas du Maroc vis-à-vis de l’Espagne, par exemple (des cas non européens sont aussi référencés à titre comparatif). La recomposition territoriale permet la formation d’eurorégions culturelles et économiques, qui se posent par-delà les délimitations administratives des régions et des pays, et offrent la possibilité de « passer des aires de marge à des aires d’opportunité » (Fuente). Dans les années 2000, une autre équipe pluridisciplinaire plus marquée par la géographie (López Trigal, 2000 a, 2000 b ; Guichard, 2001) avait, quant à elle, parlé de la « création d’espaces de respiration » sur cette frontière luso-espagnole, par le biais de parcs naturels notamment ; les présentes contributions offrent un joli

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contrepoint à ces premiers travaux de terrain ibérique post-intégration dans l’Union. Le tourisme, enfin, lui aussi réorganisé (Lois), utilise les images choisies de l’« autre » pour renforcer le semblable dans le jeu des différences nationales. Frontières mentales, symboliques, stéréotypes, dans les guides comme aujourd’hui sur les pages web, servent à assurer la promotion de l’activité économique (Pereiro). Le portrait à la fois diachronique et transversal de la frontière proposé dans cet ouvrage resitue et réactualise aux XIXe et XXe siècles des jeux d’acteurs à influences multiples : politiques, administrateurs, marchands, habitants, etc. Le « laboratoire ibérique » (Cairou), dans l’Europe des vingt-sept États membres, continue d’être dynamique et attentif. Contrabando na fronteira Luso-Espanhola. Práticas, Memórias e Patrimónios est une autre contribution particulièrement intéressante. Portant sur le thème de la contrebande, de ses pratiques, de ses mémoires et de ses utilisations aujourd’hui, ce livre se place au plus près des populations de la frontière, de celles qui en vivent et en retirent leurs caractéristiques identitaires. Cet ouvrage articule avec finesse un état de fait conjoncturel – une activité désactivée par ou avec l’Union européenne – à une réalité déjà ancienne des mondes ruraux – l’exode rural ou la désertification humaine progressive des terres de l’intérieur. L’existence de la frontière était la base même de la contrebande, une activité de commerce illicite, dangereuse, impliquant des alliés de part et d’autre de la ligne, structurante, invisible. Le propos de cet ouvrage est précisément de reconsidérer cette activité de l’ombre et de montrer comment, aujourd’hui, elle est rendue visible par les municipalités et utilisée à des fins d’attractivité touristique. Les musées de la contrebande fleurissent à la frontière ; la contrebande se visite désormais, elle est encore sollicitée comme complément économique, patrimonialisée. Les dix articles parcourent la frontière du nord au sud, renvoyant à une soixantaine de populations frontalières impliquées ; la carte en début d’ouvrage est éloquente. Les textes s’intéressent à la contrebande comme mode de vie, parfois complément économique indispensable, parfois moyen de s’enrichir ; d’autres focalisent sur la mémoire de la résistance, l’histoire politique inscrite dans les lieux et les corps, le temps des dictatures ; d’autres encore portent sur les objets et discours de la contrebande aujourd’hui et leurs processus de patrimonialisation. Entre le terrain, les archives et la littérature, l’approche pluridisciplinaire est, ici encore, féconde. Plusieurs auteurs s’accordent pour considérer, au

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regard de leurs études de cas, que la contrebande relevait plus d’une stratégie de subsistance que d’une résistance politique (Godinho ; Fonseca & Freire). Pourtant, les discours recueillis relatifs à l’activité s’avèrent multiples : la contrebande est une valeur qui trouve sa légitimité dans une éthique magnifiée de redistribution des richesses (Fonseca & Freire) ; de ressource matérielle à ressource narrative, elle est même devenue aujourd’hui « une métaphore du monde », dont les valeurs positivées, telle que le courage, le sacrifice ou la lutte contre les autorités, sont enseignées (Cunha). Elle est une façon de faire le contraire de ce que la dictature interdit (Fonseca & Freire), idéalisée en littérature dans la figure d’un contrebandier militant communiste et résistant (Neves). Emblématisée, la contrebande sert aujourd’hui la politique de requalification à tout prix des zones rurales de l’intérieur, où les musées et routes de la contrebande sont destinés à attirer et à lutter contre l’isolement et l’oubli (Godinho ; Cunha). La contrebande, en d’autres termes, est devenue un produit intégré dans les nouvelles valeurs du monde rural des zones de frontières ; son histoire et ses dynamiques de remémorisation participent des logiques de développement durable. Un certain nombre d’articles fournissent des données précises sur les lieux de franchissement de la frontière, utilisés pour les marchandises et, dans certains cas, par les réfugiés de la guerre d’Espagne ou durant la Seconde Guerre mondiale (Táboas, Macho & Gallardo) ; sont aussi identifiés les types de contrebande, les produits passés, les postes de gardes et les enclaves dans le pays voisin (Valcuende & Cáceres) ; ou encore les relations forcées de pouvoir et de complicité qui liaient, d’une part, les travailleurs agricoles et passeurs avec, d’autre part, les propriétaires terriens, informés et prudents, soucieux de contenir l’éventuel mécontentement social pouvant se retourner contre eux (Simões). Les archives revisitées des douaniers, enfin, permettent d’identifier les saisies à la frontière et de dégager des décalages entre les discours, les pratiques et les sanctions (Rovisco). La construction de la mémoire collective apparaît comme une des questions transversales à l’ouvrage, un intérêt particulier étant porté aux dynamiques de remémorisation de la contrebande (Cunha, Godinho, Silva) ; aux éléments tus ou, au contraire, retenus (Cunha ; Neves) ; à la patrimonialisation. À noter dans cet ouvrage l’existence de deux cahiers de photographies en noir et blanc, qui présentent des documents d’archives et des clichés de terrain, des scènes de saisies de marchandises, des postes frontières, les nouvelles routes de contrebande.

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Ces deux ouvrages, à n’en pas douter, offrent un panorama stimulant et actualisé des discours et pratiques sur la frontière, au sein d’une Europe recomposée où ces limites politiques et économiques, pour le moins, ne devraient plus faire parler d’elles, mais dont les réalités historiques, sociales et affectives fournissent encore de belles occasions de recherche et de discussion. Rendez-vous dans quelque vingt ans, à partir de ces travaux, pour un nouvel état de la situation.

Pierre Clanché Anthropologie de l’écriture et pédagogie Freinet Caen, Presses universitaires de Caen, 2009, 132 p. par Rachel Gasparini Université Lyon 1 - IUFM de Lyon Laboratoire GRS (ENS et université de Lyon 2) [email protected] Pierre Clanché s’intéresse depuis longtemps aux pratiques du « texte libre » dans la pédagogie Freinet. Rappelons les deux ouvrages principaux qu’il a déjà consacrés à ce sujet : Le texte libre. Écriture des enfants (1976) ; L’enfant écrivain. Génétique et symbolique du texte libre (1988). L’auteur s’attache ici à faire un état des lieux de ses réflexions sur la question, en publiant ensemble des articles parus ici ou là, et qu’il considère comme relevant d’une « forme nouvelle d’anthropologie » [9] qualifiée d’« anthropo-didactique » : « Alors que l’anthropologie de l’éducation classique, directement issue du courant culturaliste, s’est de manière presque exclusive consacrée aux problèmes de socialisation, certains de ces textes – du moins certains passages – peuvent contribuer à rendre compte d’un mode singulier de diffusion d’un bien culturel particulier : l’écriture » [9]. Les sujets traités dans cet ouvrage sont nombreux et divers : la façon dont des auteurs tels que Tolstoï, Münch, Wittgenstein ont inspiré Freinet ; une analyse des difficultés rencontrées pour rédiger un récit fictionnel libre ; les résultats d’une recherche comparative entre une classe de seconde « Freinet » et une autre « classique », à propos de la production de textes par les élèves ; une analyse des propos d’élèves de CM1 concernant les « textes libres », enfin une analyse de la réception de ces textes par les élèves et leurs parents. L’auteur, clairement partisan de la pédagogie Freinet (dont les écrits datent de la première moitié du Ethnologie française, XLI, 2011, 2

siècle), n’en reste pas moins lucide sur les critiques qui peuvent lui être maintenant adressées. Il souligne notamment l’« illusion naturaliste » de Freinet qui considérait la communication écrite comme un simple prolongement de la communication orale. Des auteurs tels que Vygotski ont clairement démontré depuis longtemps que le passage à l’écrit requiert la mise en place d’opérations, d’outils nouveaux par rapport au langage. Pierre Clanché se réfère également à des chercheurs contemporains pour alimenter sa réflexion, tels que Brousseau à propos de la phase d’institutionnalisation (processus par lequel « officiellement » le maître signifie aux élèves les enjeux de l’apprentissage, les savoirs ou les pratiques qu’il leur faut retenir) ou Chevallard pour la transposition didactique (processus par lequel le « savoir savant » est transformé en « savoir enseigné »). On peut regretter que cet ouvrage n’offre ni conclusion ni perspectives. Par exemple, ne serait-il pas intéressant de s’associer à des chercheurs en sciences du langage, en linguistique, en didactique du français pour poursuivre l’analyse des pratiques du « texte libre » et leurs effets en termes d’apprentissage sur les élèves ? Par ailleurs, l’auteur ne réduit-il pas trop rapidement les difficultés d’écriture des élèves à des « savoir-faire cognitivo-sociaux » qui renvoient à des compétences sociales de communication ? Est-il possible, dans la compréhension des mécanismes d’écriture, de considérer ces compétences sociales indépendamment des compétences linguistiques ? Telles sont les questions qu’on peut se poser au terme de la lecture de ce livre.

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David Le Breton Expériences de la douleur Paris, Métailié, 2010, 263 p. par Cécile Charlap Doctorante au laboratoire « Cultures et sociétés en Europe » Université de Strasbourg [email protected] Avec cet ouvrage, David Le Breton nous propose un voyage anthropologique au cœur des différents chemins que peut emprunter la douleur chez l’individu. Son texte s’ouvre sur une analyse de ce qui constitue la douleur et la souffrance, ainsi que des liens qu’elles tissent. La douleur, explique l’auteur, repose sur un

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paradoxe, en ce qu’elle participe de la condition corporelle de l’homme tout en étant vécue sur le mode d’une radicale altérité. Si la douleur constitue un ressenti pénible, la souffrance est à appréhender comme sa mesure subjective. L’analyse permet de comprendre que la souffrance naît du défaut de symbolisation de la douleur : c’est le manque de sens qui est ici en jeu pour l’individu qui souffre. Culturellement codée, chargée de valeurs différentes selon les sociétés et les moments de l’Histoire, la douleur ne s’appréhende pas de manière univoque et figée. L’auteur met ainsi en lumière le fait que, dans notre société, la douleur du malade est largement renvoyée à la seule organicité. Il propose une critique féconde de l’approche de la douleur par la biomédecine, dont le principe nodal réside dans un dualisme radical qui réduit le corps à une biologie pure et fait fi de la dimension du sens. David Le Breton explore ensuite différents chemins de la douleur, nous permettant de toucher non seulement à sa pluralité, mais également à sa richesse : « Toute douleur induit une métamorphose », explique-t-il. Si, dans la douleur rebelle ou la torture, la douleur confine à la destruction de l’individu parce que le sens échappe, elle peut également constituer un opérateur de renaissance. C’est le cas de l’intense pratique sportive ou celle

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des pratiques de tatouage et de piercing. La douleur permet alors d’éprouver physiquement son existence, dans un but de révélation de soi. Elle transforme bien le rapport au monde. Dans les pratiques SM, elle se voit redéfinie comme source de jouissance. Le body art l’utilise, lui, comme médium et objet de réflexion. L’auteur remet, enfin, en question le dualisme entre douleur et plaisir, qui prévaut dans notre espace social, par l’analyse de l’expérience de l’accouchement. David Le Breton nous amène, in fine, sur la voie d’une anthropologie des limites : limites de soi et limites du sens. « L’homme souffre moins de son corps ou de mécanismes physiologiques que des significations qu’il vit » [248], conclut-il, invitant à replacer le sens et la capacité de l’individu à s’en saisir au cœur de la réflexion. L’ouvrage invite à penser la douleur comme une question à contextualiser dans un système de sens, individuel tout autant que social, au sein duquel la labilité prévaut. On se doit de noter la force de l’entreprise et l’attention qu’elle mérite : en faisant de la douleur son objet de réflexion, David Le Breton touche à un tabou profond de notre société. La richesse de l’analyse qu’il en propose permet au lecteur d’en comprendre les enjeux et la portée.

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In memoriam

© Bertrand Lapègue

Notre collègue Pierre Bidart est mort brutalement dans la nuit du 16 au 17 septembre 2010 à Sofia (Bulgarie), où il occupait depuis peu le poste de directeur adjoint du Centre culturel et de coopération, attaché de coopération universitaire et scientifique. Né en 1947, il avait fait des études de sociologie et de sciences de l’éducation, préparé un diplôme à l’EPHE avant de soutenir une thèse de troisième cycle consacrée à une monographie de sa commune natale, SaintÉtienne-de-Baïgorri, en Basse-Navarre. Maître de conférences à Metz puis à Pau, membre de la Casa de Velázquez, il avait été élu professeur des universités à Pau puis à Bordeaux. Il y avait dirigé

l’École doctorale de sciences humaines de l’université Victor-Segalen - Bordeaux 2 et était directeur du laboratoire ATOTEM, équipe d’accueil. Membre du comité de rédaction de la revue Ethnologie française depuis 1988, il en a été un membre très actif, tant par les textes qu’il lui a donnés, que par le soutien intellectuel et matériel qu’il lui a apporté. Il fut notamment le rédacteur invité du numéro que la revue a consacré à l’Espagne sous le titre « Anthropologie et cultures » [2000, 2], et un des coordonnateurs du numéro spécial d’hommage à Jean Cuisenier, « Itinéraire d’un chercheur et questions pour l’ethnologie » [2007, hors-série]. Ethnologie française, XLI, 2011, 2, p. 385-386

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In memoriam

Indéfectiblement, il cherchait toutes les voies pour soutenir la revue sur le plan institutionnel, comme ce fut le cas jusqu’à quelques jours avant son départ à Sofia. Homme de réseaux, il avait créé de nombreux liens avec les universités espagnoles comme avec celles de l’Europe de l’Est, et en particulier avec la Roumanie (il était directeur des études pour l’anthropologie à l’École doctorale francophone de l’université de Bucarest). Il avait mis en place et animé l’Université internationale et européenne d’été d’anthropologie à Irissarry. Outre de nombreux articles sur l’architecture, le patrimoine et l’anthropologie politique, son œuvre

majeure restera sa thèse d’État publiée en 2001 aux PUF dans la collection « Ethnologies », où il étudie les processus qui ont conduit à l’affirmation de la singularité basque, titre du livre. Homme de dialogue, au verbe puissant, Pierre Bidart se réjouissait profondément de sa récente nomination à son nouveau poste à Sofia : quelques jours avant son décès, il nous faisait part de tous ses projets, dont celui de l’établissement à Sofia d’une antenne de l’École française d’Athènes. Sa personnalité chaleureuse manquera à la communauté de ses amis, comme à la revue.

Principales références bibliographiques

« L’influence du philosophe allemand F. Krause dans la formation des sciences sociales en Espagne », Revue germanique internationale, ENS Ulm, 2004 : 133-147.

Le Pouvoir politique à Baïgorri, village basque, Bayonne, Ipar, 1977. Récits et contes populaires du Pays basque, 1 et 2, Paris, Gallimard, 1978 et 1979. Les pays aquitains. Corpus d’architecture rurale française, Paris, Berger-Levrault, 1980. ■■■. A. Die, 2000 (avec Gérard Collomb). « Espagne. Anthropologies et cultures », Ethnologie française, 2000, XXX, 2 (rédacteur invité). La Singularité basque. Généalogie et usages, Paris, PUF, 2001. « Los discursos sobre la decadencia : de la muerte de las civilisaciones al odio de la historia », Estructura y cambio social, Centro de Investigaciones sociologicas, Madrid, 2001 : 1005-1013. « Construction et devenir de la bipolarité culturelle, basque et français », Hérodote, 105, 2002, 2 : 123-128. « Héritage, dynamique et tension au Pays basque français », Ethnologie française, 2003, XXXIII, 3 : 453-460. « L’anthropologie de la nation et du nationalisme. Limites et perspectives du débat en France », Anthropologie et sociétés, 2003, 1 : 185-204.

Ethnologie française, XLI, 2011, 2

« La transition dans les pays d’Europe centrale et orientale. Considérations anthropologiques », Allemagne d’aujourd’hui, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, janvier-mars 2005. « Jean Cuisenier. Itinéraire d’un chercheur et questions pour l’ethnologie », Ethnologie française, 2007, numéro hors série (en coordination avec Martine Segalen). « La production des néo-styles régionaux », in « Jean Cuisenier. Itinéraire d’un chercheur et questions pour l’ethnologie », Ethnologie française, 2007, numéro hors série : 35-38. « L’anthropologie en mutation dans un monde en mutation » in Certeri Etnologice Romane ti Contemporane, 2008, université de Bucarest : 25-36. Défendre la société. Une posture anthropologique, Biarritz, Atlantica, 2008. « Éléments pour une anthropologie du post-communisme », in Studies in Ethnology and Anthropology, Craiova, 2009 (sous presse).

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