Diaspora(s)

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Revue de Sciences humaines

Diasporas Entretiens avec Patrick Manning et Irad Malkin Traductions de Abner Cohen et Robert Hettlage

n° 23

2012 | 2

Présentation éditoriale de Tracés. Revue de sciences humaines Comité de rédaction Guillaume Calafat, Florent Coste, Paul Costey, Édouard Gardella, Sonia Goldblum, Samuel Hayat, Yaël Kreplak, Cécile Lavergne, Marc Lenormand, Éric Monnet, Pierre Saint-Germier, Lucie Tangy et Barbara Turquier

Comité de lecture Cécilia Baeza, Olivier Baisez, Chantal Bordes-Benayoun, Véronique Boyer, Jaine Chemmachery, Assaf Dahdah, Mohamed Kamel Doraï, Katherine Fleming, Anthony Goreau-Ponceaud, Fabien Granjon, Choukri Hmed, Martine Hovanessian, Huu Khoa Le, Emmanuel Ma Mung, Stéphane Mourlane, Natalia Muchnik, Antoine Pécoud, Anna Poujeau, Gérard Prunier, Silvia Richter, Mônica Raisa Schpun, Vinay Swamy, Chantal Verdeil, Larissa Zakharova Figurent dans ce comité de lecture les personnes qui ont participé à ce numéro et qui ont accepté que leur nom soit publié.

Comité scientifique Howard S. Becker, Sacha Bourgeois-Gironde, Olivier Cayla, Olivier Christin, Jacques Commaille, Jean-Charles Darmon, Philippe Descola, Vincent Descombes, Georges Didi-Huberman, Didier Fassin, Ian Hacking, Bernard Lahire, Paul Lichterman, Bertrand Marchal, Jacques Morizot, Paul-André Rosental, Jean-Claude Schmitt, Quentin Skinner et Isabelle Sommier

Rédacteurs en chef Cécile Lavergne

Secrétaires de rédaction Yaël Kreplak et Samuel Hayat

Fondateurs Paul Costey et Arnaud Fossier Ce numéro a été coordonné par Guillaume Calafat et Sonia Goldblum Seule l’association Tracés, constituée en personne juridique en vertu de la loi de 1901 sur les associations, est responsable du contenu de cette revue. Pour contacter la rédaction : [email protected]

© ENS ÉDITIONS

École normale supérieure de Lyon BP 7000 – 69342 Lyon cedex 07 Tél. + 33 4 26 73 11 94 Fax + 33 4 26 73 12 68 [email protected] www.ens-lyon.fr/editions/catalogue ISSN 1763-0061 ISBN 978-2-84788-376-3 Directeur de la publication : Olivier Faron

Sommaire

Éditorial Diaspora(s) : liens, historicité, échelles par Guillaume Calafat et Sonia Goldblum    



Articles Appartenances régionales, expérience diasporique et fabrique communautaire : le cas grec, fin XVIe-début XIXe siècle par Mathieu Grenet

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L’invention d’un homeland arménien en Éthiopie Exil et sédentarité dans l’écriture d’une mémoire d’hôtes en diaspora par Boris Adjemian



« Notre terre » et « ta ville » : le judaïsme progressiste et sa liturgie dans l’Allemagne d’aujourd’hui par Sonja K. Pilz



Les diasporas dans les conflits à l’épreuve des études sur la mondialisation par Brigitte Beauzamy



Égyptiens d’outre-Nil : des diasporas égyptiennes ? par Delphine Pagès-El Karoui



Vacances au bled et appartenances diasporiques des descendants d’immigrés algériens et marocains en France par Jennifer Bidet



Diasporicité et problématique diasporique : réflexions à partir du cas chinois par Anne-Christine Trémon



Traductions Des « diasporas commerçantes » aux circulations marchandes : à propos d’un texte d’Abner Cohen présentation par Claude Markovits



Stratégies culturelles dans l’organisation des diasporas commerçantes par Abner Cohen (traduction : Guillaume Calafat)



Diaspora : esquisse d’une théorie sociologique par Robert Hettlage (traduction et présentation : Sonia Goldblum)



Entretiens Pour une histoire mondiale de la diaspora africaine. Entretien avec Patrick Manning par Stéphane Dufoix (traduction : Stéphane Dufoix)



Diaspora, réseau : le poids des mots, le choix des images. Entretien avec Irad Malkin par Julie Delamard (traduction : Julie Delamard)



Éditorial

ÉD ITO R I AL

Diaspora(s) : liens, historicité, échelles G UILLA UM E CAL AFAT ET S O NI A GO L DB L U M

Il est courant d’introduire la notion de diaspora par un certain nombre de précautions visant à prévenir l’usage exponentiel d’un mot à la mode, un mot « fourre-tout » dont la plus-value descriptive et analytique aurait été perdue de vue. L’appel à contribution lancé par Tracés au printemps  relayait d’ailleurs ce diagnostic inquiet en rappelant les controverses et les débats portant sur les enjeux d’une bonne définition du terme diaspora, compris a minima comme l’état de dispersion d’un peuple ou d’une communauté¹. Dans sa récente et importante étude consacrée aux usages du mot diaspora, Stéphane Dufoix a proposé d’identifier à ce propos deux grandes phases dans l’histoire du rapport des chercheurs et chercheuses au terme : la première aurait vu, à partir des années -, le mot diaspora accolé de manière enthousiaste à une pluralité de phénomènes migratoires, aux dépens d’un vocabulaire plus traditionnel jugé inadapté pour décrire le caractère polymorphe des flux et des trajectoires des migrations contemporaines ; la seconde serait quant à elle marquée par un inventaire et un réexamen critiques des apports de la notion depuis les années  (Dufoix, ). Intéressés par les questions théoriques soulevées par cette suspicion croissante que Dufoix appelle justement le « tournant critique », nous tentions d’insister dans notre appel à contributions sur la ligne de fracture vivace, à l’intérieur de ce qu’il est convenu d’appeler les « études diasporiques », entre partisans des « diasporas centrées » et promoteurs des « diasporas hybrides », les premiers proposant de resserrer la typologie des critères diasporiques, à partir notamment d’un noyau dur de diasporas considérées comme idéalestypiques (Safran,  ; Tölölyan,  ; Cohen,  ; Sheffer, ), les seconds concevant les diasporas, dans le sillage des cultural studies, comme 

L’appel à contribution est disponible en ligne sur le carnet de recherche de la revue [URL : http://traces.hypotheses.org/], consulté le  juin . T RACÉS 2 3 2 0 1 2 /2 PA GE S 7 -1 8

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« des points de départ non-normatifs » (Clifford, , p. ) permettant de mieux saisir le caractère hybride ou globalisé des identités postmodernes ou contemporaines (Hall,  ; Ang,  ; Gilroy,  ; Appadurai, ). Cette disjonction entre « définition fermée » et « définition ouverte », certes présentée ici de manière très schématique, donnait l’image d’un champ d’études très clivé, les uns distribuant avec parcimonie l’épithète « diasporiques », les autres l’attribuant au contraire à un toujours plus grand nombre de groupes, de communautés ou de phénomènes sociaux (Dufoix, ,  ; Brubaker,  ; Mayer,  ; Mishra, ). Ce numéro ne prétend pas, à l’évidence, déplier tout le vaste éventail des études diasporiques, qu’on songe à l’absence d’études littéraires ou philosophiques (pour un panorama des approches, voir notamment : AntebyYemini et. al. éd.,  ; Berthomière et Chivallon éd.,  ; Dufoix )². Si nous pensions, par ailleurs, que choisir une définition restrictive ou lâche de la diaspora supposait des partis pris méthodologiques potentiellement révélateurs d’orientations voire de divergences disciplinaires, il a fallu constater que cette hypothèse de départ, sans doute trop réductrice, ne se trouvait guère vérifiée. De manière générale, il nous est vite apparu que les distinctions fermé/ouvert, centré/acentré-décentré-hybride ne permettaient pas de rendre compte avec exactitude de l’actualité des recherches sur les diasporas, finalement moins marquées par des prises de position binaires et exclusives que par une phase de recomposition qui tire aujourd’hui parti, de manière apaisée, des intersections empiriques et théoriques qui caractérisent le champ depuis les années . Les textes que nous publions, en effet, tendent à montrer que l’antagonisme entre deux conceptions, deux formes de conceptualisation de la « diaspora », paraît désormais dépassé, ou, tout du moins, positivement digéré. Le constat d’une « dispersion du terme diaspora », pour reprendre le titre d’un article séminal de Rogers Brubaker (), loin de constituer le symptôme de la dissolution théorique inéluctable de la notion, semble en réalité témoigner de son fort potentiel heuristique pour la description et l’analyse des groupes migratoires et des franchissements de frontières contemporains (Ong, ). En somme, la diaspora paraît avoir bien résisté au « tournant critique ». Cela s’explique en partie probablement par l’adhérence du mot dans l’usage courant, journalistique ou politique, mais cela peut aussi révéler – et c’est à nos yeux l’un des principaux enseignements du numéro – 

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Voir également les revues spécialisées dans ce domaine : Revue européenne des migrations internationales, fondée en  ; Diaspora. A Journal of Transnational Studies, fondée en  ; Diasporas, Histoire et sociétés, fondée en .

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l’affirmation d’une troisième phase des études diasporiques, après le foisonnement et la critique, qui considère moins la notion de diaspora comme un cadre prédéterminé auquel doivent répondre un certain nombre de critères paradigmatiques (qu’ils soient fermés ou ouverts), que comme un révélateur particulièrement efficace de l’historicité des migrations et d’une nouvelle manière d’en appréhender les échelles. Tension et distension des liens diasporiques La diaspora interroge en priorité la question des liens plus ou moins affirmés, plus ou moins solidement entretenus, qu’ils soient affectifs, culturels, économiques, politiques, etc., entre les différents foyers d’une communauté dispersée ; cette dispersion s’effectue à partir d’un (ou de plusieurs) référent(s)-origine(s) (homelands). La notion de diaspora évoque donc tout à la fois le processus de dispersion d’un peuple, l’ensemble des lieux de cette dispersion et leurs relations – la « multipolarité » de la dispersion et l’« interpolarité » des relations (Ma Mung, ). En ne réservant le qualificatif de « diasporique » qu’aux communautés dont on pouvait observer la force et l’intensité effectives des liens, l’approche dite critérielle ou typologique a pu véhiculer l’a priori d’une cohésion, d’une homogénéité nécessaire des diasporas. Cette perspective, accusée d’essentialisme, est aujourd’hui fortement mise en cause, d’une part parce que l’on admet sans peine la multiplicité des itinéraires et des histoires migratoires à l’intérieur d’une même diaspora – les « diasporas dans la diaspora » (Israel, ) – ; de l’autre, parce que l’étude de l’effacement et de la réactivation possibles des liens diasporiques constitue en soi une piste de recherche fructueuse. L’enjeu est bien de faire émerger les tensions qui existent entre ancrage et dispersion, non seulement au niveau local, mais aussi à l’échelle translocale ou transnationale. Ce sont proprement ces tensions que Robert Hettlage propose de décliner dans l’essai de théorie sociologique de la diaspora traduit dans ce numéro. Le sociologue y examine les nombreuses variations d’équilibres possibles entre trois pôles : la population en diaspora, le lieu de résidence et le lieu d’origine (qu’il soit structuré politiquement ou pas). L’étude d’une diaspora suppose dès lors de tenir compte de ces trois composantes, mais aussi de garder à l’esprit la précarité et la transformation nécessaires de leurs équilibres. Hettlage publia son article en , au moment même où commençait à se figer l’opposition entre diaspora centrée et décentrée, entre diaspora « classique » et « nouvelle » (Médam,  ; Bruneau, ). À plus de vingt ans de distance, nous pouvons mesurer à quel point son texte 9

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invitait de manière novatrice à dépasser cette opposition, pour envisager la diaspora comme un réseau de relations discontinues et évolutives établies sur la longue durée, plutôt que comme une situation invariable. Le dépassement des paradigmes du centre et du décentrement, de l’exil et de la diversité est au cœur de la démarche d’Anne-Christine Trémon qui offre, avec son étude sur un village d’émigration du Sud de la Chine, des jalons stimulants et ambitieux pour repenser la fécondité du terme diaspora. S’inscrivant explicitement dans le sillage d’une anthropologie globale soucieuse de restituer par l’enquête ethnographique les articulations du micro et du macro, de l’individuel et du collectif, l’auteure invite à isoler pour chaque diaspora ce qu’elle appelle une problématique diasporique, entendue comme la manière d’interroger la tension qui existe entre le maintien d’une identification diasporique spécifique et sa dissolution, sa rupture possible, dans la nouvelle localisation. Cette friction, consubstantielle à la notion de diaspora, nécessite une appréhension diachronique, à rebours d’approches cantonnées aux dimensions strictement spatialisées des phénomènes diasporiques, un type d’approches que rejette l’historien de l’Antiquité Irad Malkin dans l’entretien qu’il accorde dans ce numéro à Julie Delamard, lorsqu’il évoque le caractère « statique », presque « photographique » de la notion de diaspora. Pour Trémon, l’histoire d’une migration permet d’établir, avant la problématique diasporique en tant que telle, la diasporicité éventuelle ou effective de cette migration, certes à partir de critères – la dispersion et, au même plan mais souvent oubliée, la durée historique, l’imbrication du passé et du présent – mais de critères nullement incompatibles avec la saisie du phénomène diasporique dans sa diversité, dans la pluralité de ses trajectoires. L’anthropologue fusionne ainsi les apports d’une approche critérielle des diasporas, soucieuse d’unifier la notion, avec l’attention portée par les cultural studies aux mutations et au caractère hybride des productions discursives, rapprochant deux orientations souvent considérées comme antagoniques dans une direction qui nous paraît caractéristique d’une phase postcritique des études diasporiques. L’analyse de la problématique diasporique suppose donc l’étude des déconnexions et des (re)connexions (économiques, politiques, juridiques, affectives, religieuses, morales, etc.) des liens diasporiques, dans une optique qui allie fondamentalement l’étude des réseaux migratoires de la diaspora à celle des expressions des appartenances. Dans le cas qu’examine Trémon, la problématique diasporique se niche en l’occurrence dans le lien lignager à la localité d’origine, davantage que dans l’allégeance à l’État chinois, et c’est précisément à partir de ce lien lignager que l’anthropologue peut déployer son enquête ethnographique. 10

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Référent-origine et appartenances diasporiques Dans ses premiers emplois par les traducteurs juifs de l’Ancien Testament au  siècle avant notre ère, le mot grec diaspora ne sert pas à décrire les phénomènes précisément nommés d’exil (galut), de captivité, de bannissement ou de déportation dont furent victimes les Hébreux au cours de leur histoire. Il fait davantage référence à l’attente eschatologique du rassemblement par Dieu des communautés juives dispersées, qui insiste sur le caractère nécessairement transitoire, temporaire, provisoire de la diaspora (Baumann, ). On le voit, « diaspora » charrie d’emblée l’idée d’un retour espéré dans la terre d’origine, après le châtiment de l’exil. Mais cette idée de retour fluctue, se modifie, évolue ; elle ne peut donc plus constituer aujourd’hui un invariant de la définition de diaspora. Dans l’étude qu’elle consacre dans ce numéro à la prière cardinale de l’amidah, Sonja Pilz propose notamment d’analyser les bénédictions (brahot) qui évoquent le rassemblement des dispersés et la reconstruction de Jérusalem. L’auteure constate les importantes variations liturgiques qui existent entre les livres de prières traditionnels et ceux qu’utilisent aujourd’hui les Juifs progressistes (non-orthodoxes) allemands ; alors que dans les premiers, les brahot scandent le caractère fondamental de l’idée de retour dans la terre d’Israël, elles la gomment dans les seconds, témoignant d’une évolution de la liturgie dans le sens de l’assentiment d’une condition, chez les Juifs progressistes, d’une identité intrinsèquement diasporique, dans la lignée de ce que James Clifford pouvait relever dans un article devenu un classique des diaspora studies (). Les Juifs progressistes allemands n’évacuent pas le lien sentimental qu’ils entretiennent avec Jérusalem ou Israël, mais ils ont fait le choix de ne pas s’y installer malgré la loi du retour de , décidant ainsi de maintenir une certaine distance, parfois soucieuse, parfois critique, vis-à-vis de l’État d’Israël. Les évolutions liturgiques qu’étudie Pilz démontrent par conséquent le caractère potentiellement instable du référent-origine, en même temps que les dissensions et les distensions qui innervent toute diaspora. C’est à distance (temporelle et spatiale) que la diaspora forge l’hétérogénéité de ses foyers d’origine. L’enquête de Mathieu Grenet sur l’organisation et le fonctionnement de la « nation grecque » de Venise à l’époque moderne éclaire de ce point de vue la diversité des régions de provenance des Grecs en diaspora – des ensembles régionaux (patrie) que l’expérience diasporique révèle et construit à la fois. En effet, la communauté dispersée établit des catégories administratives qui font moins référence à des territoires déterminés qu’à des revendications collectives et identitaires instrumentalisées en 11

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fonction des circonstances. La diaspora met donc en lumière les multiples rivalités qui traversent la définition même de la « grécité » et, de manière plus générale, la conception des frontières de « l’espace grec ». Loin de la perspective téléologique qui ferait de la « fabrique communautaire » le laboratoire de la « fabrique du national », Grenet démontre que les différents identifiants régionaux grecs ne sont ni des référents-origines appelés à disparaître en raison d’une acculturation supposée dans la société de résidence, ni des entités données et rémanentes censées expliquer à elles seules le lien communautaire. Dès lors, ils sont moins caractéristiques des appartenances régionales au sens strict que des rapports de forces qui se jouent à l’intérieur et à l’extérieur de la diaspora. De manière générale, cette étude des tensions et des distensions des liens diasporiques dans le temps, de leurs activations ou de leurs désactivations, pose le problème, bien souvent considéré comme l’un des critères de diasporicité les plus difficiles à établir, sinon le plus déterminant, de la revendication par une communauté de son statut diasporique. Dans quelle mesure une population s’autodésigne-t-elle comme diasporique (Hovanessian, ) ? Cette question fondamentale suppose une démarche qualitative, empirique, qui va nécessairement bien au-delà de la seule cartographie d’une migration multipolaire : on ne sera donc pas étonné de constater que la majorité des études que nous publions privilégient la méthode de l’entretien afin d’interroger directement la nature des liens d’empathie et de solidarité qui informent la notion de diaspora. C’est par exemple le cas de l’enquête de Jennifer Bidet et de Lauren Wagner à propos des descendants d’immigrés algériens et marocains en France, c’est-à-dire de groupes nationaux émigrés longtemps laissés de côté par une approche critérielle ou typologique stricte des diasporas. À partir de leurs études respectives – fondées sur des entretiens biographiques et sur une approche ethnométhodologique – les auteures font émerger la problématique diasporique (pour reprendre la catégorie d’analyse forgée par Trémon) des séjours touristiques réguliers au Maghreb comme « catalyseurs » de l’appartenance diasporique. Le choix de la destination des vacances et les interactions lors du séjour touristique témoignent du lien maintenu, entretenu, perpétué avec le homeland. En montrant à quel point ce dernier n’obéit pas nécessairement aux frontières étatiques, ni à des sentiments d’appartenance ethnique ou nationale, Bidet et Wagner s’inscrivent explicitement dans la perspective de Brubaker () qui exhorte les chercheurs et chercheuses à moins étudier les diasporas (contemporaines) comme une catégorie analytique répondant à un certain nombre de critères précis, qu’à les considérer comme une catégorie de pratiques, comme une expression signalant un positionnement et 12

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servant à revendiquer une identité. Delphine Pagès-El Karoui, dans son étude portant sur l’émergence d’une diaspora égyptienne, attache elle aussi une grande importance à la manière dont les groupes se désignent, s’ils acceptent ou non le terme diaspora : elle explique que chez les migrants comme chez les représentants de l’État égyptien, le terme reste chargé en arabe d’une connotation fortement péjorative, notamment en raison de son association à l’histoire juive. L’ensemble des études publiées ici posent, on le voit, l’enjeu crucial de la relation à un référent-origine considéré comme un condensateur puissant des sentiments d’appartenance dont il faut parvenir à interroger la variabilité et les recompositions dans la durée, en dialogue avec l’histoire – ou plutôt les histoires – du groupe diasporique. C’est entre autres ce que propose de faire Boris Adjemian dans son enquête d’histoire orale portant sur ce qu’il appelle « l’invention d’un homeland arménien en Éthiopie », à savoir la reconstruction mémorielle, largement idéalisée, d’une terre d’accueil (hostland), ici l’Éthiopie de la fin du  et du début du  siècle, devenue homeland d’adoption d’une petite communauté arménienne sédentarisée. Ce glissement n’est pas le simple fruit d’une transmission intergénérationnelle linéaire, mais bien plutôt celui d’une réélaboration, d’une réécriture collective du passé en fonction d’impératifs politiques présents et locaux, en l’occurrence « l’éthiopianisation » à l’œuvre à partir des années , qui explique pour beaucoup la « prétention à l’autochtonie » des Arméniens locaux. Il ressort que loin d’obéir à un rapport traumatique à l’exil, au génocide de  et plus généralement à la terre des ancêtres (une « mémoire d’exilés »), les Arméniens d’Éthiopie ont façonné le mythe fondateur d’une « invitation » amicale des rois d’Éthiopie fonctionnant sur le mode d’une trajectoire diasporique exceptionnelle (une « mémoire d’hôtes »). Cette recomposition des homelands (jamais réduits aux seuls foyers de départ) s’avère – comme Pilz et Adjemian le mettent bien en lumière – une caractéristique fondamentale de l’expérience diasporique, traduisant les déviations, les modifications possibles de l’idée de retour. Prenant acte des apports heuristiques venus des différents courants des études diasporiques, tout en montrant leur difficile applicabilité pour les époques précontemporaines, Natalia Muchnik () a rappelé la forte dimension religieuse associée à la terre d’origine dans la cristallisation progressive des sentiments et des appartenances diasporiques de l’époque moderne. Elle montre ainsi à quel point le référent-origine pouvait polariser et unifier des diasporas marquées justement par de fortes dissensions et hétérogénéités internes (à l’instar des Grecs étudiés par Grenet). Cette dimension religieuse, comme le rappelle Malkin dans son entretien, contribue à cimenter, 13

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durant l’Antiquité, une identité collective hellénique construite à distance, à l’échelle de la Méditerranée tout entière. Opérant un parallèle avec la diaspora juive, il illustre la façon dont la dispersion peut jouer un rôle crucial dans l’homogénéisation des pratiques religieuses. Dans le cas des Hausas qu’observe l’anthropologue Abner Cohen dans un texte pionnier des études diasporiques que nous traduisons, l’adhésion à la confrérie musulmane tidjane offre une « trame symbolique » à la diaspora en pays yoruba, qui explique en partie sa relative cohésion. L’échelle diasporique : local/global Dans son histoire des usages du mot diaspora, Stéphane Dufoix lie l’inflation du terme depuis les années  au développement des études sur la globalisation : en l’espace de quelques années, la diaspora est devenue, écritil, l’autre « nom du global » ; d’abord sous l’impulsion des organisations internationales, puis à l’initiative des États nationaux, la diaspora en arrive à désigner désormais tous les expatriés d’un même pays dans le monde (Dufoix, , p. -). Bidet et Wagner expliquent ainsi que des associations algériennes parlent désormais de diaspora, tandis que les États marocain et algérien commencent à reconnaître (et à promouvoir) les relations avec une population émigrée qualifiée de diaspora. Dans le processus de diasporisation qu’elle met en lumière à l’aide de statistiques, d’entretiens et d’observation de sites Internet, Delphine Pagès El-Karoui réfléchit au rôle politique fédérateur de la « révolution du  janvier » dans l’émergence d’un référent national diasporique chez les expatriés égyptiens³. Ce nouveau référent a pu transcender les clivages religieux d’une diaspora égyptienne marquée par une pluralité d’expériences diasporiques, en particulier juive et copte. Attentive à se départir d’une approche essentialiste et catégorielle des diasporas, l’auteure éclaire un motif transversal du numéro, à savoir les antagonismes et les tensions qui caractérisent toute diaspora. Comme le suggère l’exemple du « lobby copte » aux États-Unis évoqué par Pagès-El Karoui, la notion de diaspora s’avère aujourd’hui essentielle pour l’étude des relations internationales, la diaspora devenant une catégorie analytique utile – comme avait déjà pu le souligner Hettlage – pour sortir de la stricte perspective de l’État-nation et montrer la fluctuation 

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Notons à ce propos qu’Internet se développe comme un observatoire privilégié de la connectivité et des liaisons diasporiques ; en témoignent notamment les recherches en cours pour la constitution d’un « atlas des e-Diasporas » [URL : http://www.e-diasporas.fr], consulté le  juin .

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potentielle des fidélités politiques (Bordes-Benayoun et Schnapper,  ; Shain, ). C’est dans cette optique que Brigitte Beauzamy pose, à l’instar de Sonja Pilz, la question de l’hétérogénéité des expériences diasporiques juives après la création de l’État d’Israël, dans son travail sur la place des diasporas dans les conflits communautaires à l’heure de la mondialisation. Si la mondialisation accroît bel et bien les rôles économique, politique et culturel des diasporas lors des conflits, rien n’autorise cependant à présumer la nature belliqueuse ou pacifique de leur orientation. Notons ici que l’étude de Beauzamy fait appel, à la suite de Gabriel Sheffer notamment (), à la diaspora juive comme idéal-type, dans la lignée d’une approche encore prédominante, semble-t-il, dans le champ des relations internationales (Peretz, ). Si l’étude des liens diasporiques invite à en restituer l’historicité, la notion de diaspora a aussi ceci d’avantageux qu’elle promeut fondamentalement une échelle d’analyse qui emboîte le micro et le macro, le local et le global (Ang, ). Dans l’entretien qu’il accorde à Stéphane Dufoix dans ce numéro, l’historien Patrick Manning revient sur son double parcours de spécialiste de l’Afrique subsaharienne et d’histoire mondiale. Retraçant l’élaboration de la notion de « diaspora africaine » qui vit naître un champ d’études à part entière à l’intérieur des études diasporiques (Gilroy,  ; Chivallon, ), Manning dit combien le caractère global de l’échelle diasporique permet de comparer, à travers l’établissement de distinctions régionales (diasporas proche, lointaine, offshore, du Nouveau Monde, du Vieux Monde, etc.), les différentes expériences migratoires des Noirs à travers le monde, et leurs interactions non pas à partir d’un seul centre – l’Afrique – mais d’une multipolarité construite dans la très longue durée (du  siècle à nos jours). Élargissant le cadre temporel de la diaspora, tout en le mondialisant réellement lorsqu’il étudie par exemple les multiples interactions avec le continent asiatique, l’historien s’intéresse aux circulations et aux productions culturelles, aux liens continués (de la traite esclavagiste aux migrations postcoloniales), aux similitudes du « monde noir ». Aussi exhorte-t-il ses collègues venus des Black ou des African-American Studies à adopter une perspective qu’il nomme « études Afrique-Diaspora », pour mieux comprendre, en les mettant en relation, et l’histoire de l’Afrique et celle de la diaspora africaine. Comme en témoigne l’entretien avec Patrick Manning, le succès du terme diaspora et sa force actuelle résident très certainement dans cette possibilité qu’offre le lien diasporique de comparer des communautés et des populations éloignées, en minimisant (sans les faire bien entendu complètement disparaître) les risques inhérents à la démarche comparative, 15

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qu’il s’agisse de l’arbitraire des termes, de la réification des contextes ou des analogies frauduleuses. Boris Adjemian démontre de ce point de vue que l’histoire de la sédentarisation des Arméniens d’Éthiopie, et partant une approche par la sédentarité davantage que par la mobilité (Tölölyan, ), aide à mieux distinguer la divergence des mémoires diasporiques. Mathieu Grenet, quant à lui, n’hésite pas à comparer les phénomènes de polarisation géographique dans les communautés grecques en diaspora pour faire émerger leur rôle structurel. La démarche d’Anne-Christine Trémon est sensiblement différente puisqu’elle propose, avec son plaidoyer pour l’anthropologie globale, d’excéder le strict terrain de l’enquête ethnographique, tout en se démarquant des approches surplombantes et culturalistes d’une macroanthropologie de la globalisation⁴. On le voit, l’échelle diasporique est stimulante parce qu’elle facilite l’emboîtement du local, du régional/national et du global ; en cela, l’anthropologie globale se rapproche de l’angle d’attaque privilégié par les histoires « globale » et « connectée ». Cette perspective historiographique est évoquée plus particulièrement par Manning, à propos des connexions régionales et locales de la diaspora africaine, ainsi que par Claude Markovits dans le bilan qu’il dresse des apports et des limites de la notion de « diaspora commerçante » (trading diaspora). Introduite à la fin des années  par Abner Cohen, la notion a fait l’objet de nombreuses critiques en histoire économique ; on lui reproche en particulier de véhiculer le postulat d’une confiance inhérente au groupe diasporique pour expliquer d’éventuelles spécialisations économiques. Comme le rappelle Markovits, le terme réseau a alors pu être préféré par les chercheurs pour analyser les échanges marchands à grande échelle car il évacuait l’a priori ethnique de même que le préjugé d’une harmonie interne aux diasporas : « réseau » révélait mieux que « diaspora » – est-ce là un signe du « tournant critique » ? – les mésententes du groupe et l’existence d’alliances interculturelles. Dans l’entretien qu’il accorde à Tracés, Irad Malkin explique lui aussi privilégier la notion de réseau afin de montrer que c’est moins une ethnicité donnée qu’une connectivité réticulaire qui a fait émerger une centralité grecque virtuelle durant l’Antiquité : la diaspora grecque antique, si l’on peut dire, ne naît pas de la dispersion à partir d’un centre, mais crée sa centralité par la dispersion. Malgré cette concurrence du mot réseau, la notion de « diaspora commerçante » introduite par Cohen a cependant contribué à diffuser l’emploi du mot diaspora en dehors des cadres uniques de l’histoire juive et européenne, de même qu’elle a ouvert la voie à une appréhension plus complexe et plus fine des échanges marchands à l’échelle globale.  16

L’auteure pense, entre autres, à Appadurai ().

ÉDITORIAL

Ce numéro de Tracés, nous l’espérons, laisse entrevoir à quel point la notion de diaspora continue de féconder aujourd’hui le champ des études migratoires, dans une perspective qui dépasse les antagonismes des définitions tranchées du « tournant critique ». La notion de diaspora n’est pas – ou pas seulement – incontournable en raison de son omniprésence, mais bien parce qu’elle permet de penser ensemble l’histoire des appartenances et des processus d’identifications, la nature des connexions réticulaires, en même temps que l’articulation du micro et du macro. Pour le comité de rédaction de Tracés Guillaume Calafat et Sonia Goldblum Bibliographie A Ien, , « Migrations of Chineseness », Journal of the South Pacific Association for Commonwealth Literature and Language Studies, n -, p. -. A-Y Lisa, B William et S Gabriel éd., , Les diasporas, 2 000 ans d’histoire, Rennes, Presses universitaires de Rennes. A Arjun, , Modernity at Large. Cultural Dimensions of Globalization, Minneapolis, University of Minnesota Press. B Martin, , « Diaspora. Genealogies of semantics and transcultural comparison », Numen, vol. , n , p. -. B William et C Christine éd., , Les diasporas dans le monde contemporain : un état des lieux, Paris, Karthala. B-B Chantal et S Dominique, , Diasporas et nations, Paris, Odile Jacob. B Rogers, , « The “Diaspora” Diaspora », Ethnic and Racial Studies, vol. , n , p. -. B Michel, , Diasporas et espaces transnationaux, Paris, Anthropos. C Christine, , La Diaspora noire des Amériques. Expériences et théories, Paris, CNRS. C James, , « Diasporas », Cultural Anthropology, vol. , n , p. -. C Robin, , Global Diasporas: An Introduction, Seattle, University of Washington Press. D Stéphane, , Les diasporas, Paris, Presses universitaires de France. — , La dispersion : une histoire des usages du mot diaspora, Paris, Amsterdam. G Paul,  [], L’Atlantique noir. Modernité et double conscience, Paris, Amsterdam. H Stuart, , « Cultural identity and diaspora », Identity. Community, Culture, Difference, Jonathan Rutherford éd., Londres, Lawrence & Wishart, p. -. H Martine, , « La notion de diaspora : usages et champ sémantique », Journal des Anthropologues, vol. -, p. -. I Jonathan I., , Diasporas within a Diaspora : Jews, Crypto-Jews and the World of Maritime Empires (1540-1740), Leyde, Brill. 17

ÉDIT O RIAL

M M Emmanuel, , La diaspora chinoise : géographie d’une migration, Paris, Ophrys. M Ruth, , Diaspora : eine kritische Begriffsbestimmung, Bielefeld, Transcript. M Alain, , « Diaspora/Diasporas. Archétype et typologie », Revue européenne des migrations internationales, vol. , n , p. -. M Sudesh, , Diaspora Criticism, Édimbourg, Edinburgh University Press. M Natalia, , « La terre d’origine dans les diasporas des - siècles. “S’attacher à des pierres comme à une religion locale…” », Annales HSS, vol. , n , p. -. O Aihwa, , Flexible Citizenship : The Cultural Logics of Transnationality, Durham, Duke University Press. P Pauline, , « Diasporas : en dehors de l’État, mais au sein de la nation » [en ligne], La Vie des idées,  mars, [URL : http://www.laviedesidees.fr/Diasporas-endehors-de-l-Etat-mais.html], consulté le  juin . S William, , « Diasporas in modern societies : Myths of homeland and return », Diaspora : A Journal of Transnational Studies, vol. , p. -. S Yossi, , Kinship and Diasporas in International Affairs, Ann Arbor, University of Michigan Press. S Gabriel, , « A new field of study : modern diasporas in international politics », Modern Diasporas in International Politics, G. Sheffer éd., Londres, Croom Helm. — , Diaspora Politics. At Home Abroad, New York, Cambridge University Press. T Khachig, , « Rethinking diaspora(s) : Stateless power in the transnational moment », Diaspora : A Journal of Transnational Studies, vol. , n , p. -. — , « Restoring the logic of the sedentary to diaspora studies », Les diasporas. 2 000 ans d’histoire, L. Anteby-Yemini, W. Berthomière et G. Sheffer éd., Rennes, Presses universitaires de Rennes, p. -.

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Résumés

Appartenances régionales, expérience diasporique et fabrique communautaire : le cas grec, fin XVIe-début XIXe siècle Mathieu Grenet

Cet article propose de décentrer, à partir de l’observatoire de la diaspora, le regard traditionnellement porté sur la tension entre identités nationales et appartenances locales. L’étude de l’organisation institutionnelle et de la structuration sociale de la colonie grecque-orthodoxe de Venise à l’époque moderne permet de montrer comment la question régionale a pu constituer un enjeu essentiel de la « fabrique communautaire » grecque en diaspora. En particulier, on s’intéressera à la manière dont les institutions de différentes colonies de la diaspora grecque mobilisent et instrumentalisent la question des appartenances régionales, ainsi qu’à la manière dont les mécanismes de la gouvernance communautaire participent en retour de la constitution et de l’expression de ces appartenances. Le cas vénitien invite également à considérer l’expérience diasporique comme partie intégrante de la construction politique et sociale des appartenances locales, notamment à travers l’analyse des formes de mobilisation translocale des identifiants régionaux. À travers cette analyse, il s’agira donc d’interroger la position de la colonie vénitienne face à l’émergence, au milieu du  siècle, d’une « nouvelle diaspora grecque », et de proposer un modèle alternatif au postulat souvent implicite d’une articulation entre « fabrique communautaire » et « fabrique du national ». Mots clés : diaspora grecque, appartenances régionales, Venise, communauté, nation. This paper considers the diaspora as a vantage point from which to challenge the traditional opposition between national and regional/local identities. Through a study of the institutional and social organization of the Greek-Orthodox colony in Venice in the early modern period, the paper investigates the ways in which regional belonging informed communal logics in a diaspora context, as well as the ways in which communal governance informed these local identities. The Venetian case therefore invites one to consider the « diaspora experience » as part and parcel of the political and social construction of local identities, in particular through patterns of trans-local mobilization of regional markers. This analysis shall finally allow us to question the situation of the Greek-Orthodox colony in Venice, in face of the emergence, in the middle of the T RACÉS 2 3 2 0 1 2 /2 PA GE S 2 3 7 -2 4 2

RÉSU MÉS

 century, of a « new Greek diaspora », and to offer an alternative model to the implicit assumption of an existing continuity between « the making of the community » and that of the nation. Keywords : Greek diaspora, regional identities, Venice, community, nation. L’invention d’un homeland arménien en Éthiopie Exil et sédentarité dans l’écriture d’une mémoire d’hôtes en diaspora Boris Adjemian

Cet article tente d’interpréter l’instauration et l’idéalisation de l’Éthiopie en terre d’accueil hospitalière dans la mémoire des immigrants arméniens et de leurs descendants au  siècle. Ce faisant, il plaide en faveur d’une approche sédentaire des diasporas attentive aux ancrages sociaux et politiques des individus dans leur société de résidence. Alors qu’une part dominante des travaux sur la mémoire dans la diaspora arménienne, qui met en avant les traumatismes liés aux déchirures d’un exil forcé, dessine les contours d’une mémoire de bannis ou d’exilés, c’est une mémoire d’hôtes que révèlent les multiples expressions du Grand Récit arménien en Éthiopie, dans laquelle les thématiques du pays d’origine perdu et du génocide sont loin d’être structurantes. L’amitié des rois éthiopiens, métaphore de l’enracinement dans le pays d’adoption, est la logique en action de cette réécriture singulière du passé qui semble déroger à la norme et aux catégories diasporiques conventionnelles. L’explication de ces divergences nécessite la prise en compte des différences des contextes locaux, mais aussi de l’influence souvent sous-estimée des discours publics contemporains sur la construction et la politisation de la mémoire. Mots clés : histoire orale, diaspora, migration, enracinement, génocide arménien. This article analyses the idealization of Ethiopia as a homeland in the memory of Armenian immigrants and their descendants in the  Century. The aim of such a work is to restore the logic of the sedentary to diaspora studies, paying attention to the many different ways people root socially and politically in the place where they live. Beside the mainstream of researches and analyses about memory in the Armenian diaspora, where the memory of exile appears as a heritage of the traumatisms provoked by forced migrations, the Armenian Great Narrative in Ethiopia reveals a host memory, in which the usual themes of the lost fatherland and genocide are far from being dominating. As a metaphor of the rooting into the country of adoption, the theme of the Ethiopian kings’ friendship for Armenian immigrants and their families leads to an unusual rewriting of the past which doesn’t seem in accordance with classical diaspora categories. Not only local contexts might explain those differences, but also the often underestimated influence of public and contemporary discourses on the making of the collective memory and its politicization. Keywords : oral history, diaspora, migration, rooting, Armenian genocide.

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« Notre terre » et « ta ville » : le judaïsme progressiste et sa liturgie dans l’Allemagne d’aujourd’hui Sonja K. Pilz

Plus de vingt ans après l’immigration de presque   réfugiés venus d’ex-Union soviétique, la communauté juive d’Allemagne doit encore faire face à toute une série de défis et de changements. Une des questions cruciales qui se posent à la communauté, quand elle tente de définir la nature diasporique de ses divers courants, porte sur la relation à la terre et à l’État d’Israël face à l’antisionisme affirmé jadis par les Juifs allemands réformateurs. Basé sur l’analyse du principal livre de prières et sur l’une des prières quotidiennes, l’amidah (ʤʣʩʮʲ), cet article se propose d’analyser la théologie du judaïsme progressiste contemporain en Allemagne. Les textes de prière traduisent une relation caractérisée à la fois par une affection et un sentiment de responsabilité vis-à-vis d’Israël ; cependant, l’identité des Juifs allemands progressistes prend davantage appui sur les connexions internationales du judaïsme progressiste et sur la théologie qui l’anime, que sur une loyauté régionale supposée. En cela, le judaïsme progressiste d’Allemagne offre l’exemple d’une identité contemporaine plurielle, que peinent à définir les notions de diaspora et de pays d’accueil, de migration ou de voyage. Mots clés : liturgie, prière, judaïsme progressiste, diaspora juive, judaïsme allemand. More than twenty years after the immigration of almost   refugees from the former Soviet Union, the Jewish community in Germany still faces a series of challenges and changes. One of the central questions necessary to define the diasporic nature of its diverse streams is that of the communities’ relation to the Land and State of Israel versus their commitment to their historical antecessor of anti-Zionist German Reform Judaism. Based on an analysis of its main prayerbook and of one of its daily prayers, the Amidah (ʤʣʩʮʲ), this article aims to explore the theology of Progressive Judaism in contemporary Germany. The texts depict a relationship characterized by warmth and the feeling of responsibility – nevertheless, the identity of German Progressive Jews is to a much higher level based on a worldwide connection to Progressive Judaism and the theologies at its heart than on regional loyalty. Thus, Progressive Judaism in Germany serves as an example of contemporary identity operating beyond the common notions of diaspora and homeland, of migration or journeys. Keywords : liturgy, prayer, Progressive Judaism, Jewish diaspora, German Judaism. Les diasporas dans les conflits à l’épreuve des études sur la mondialisation Brigitte Beauzamy

Les arguments liant conflits et diasporas tendent souvent à identifier un cercle vicieux, dans lequel les conflits communautaires sont entretenus à distance par les diasporas des parties en présence, dans un contexte où les engagements transnationaux sont facilités par la mondialisation. L’objectif de cet article est d’examiner de façon critique ces arguments et la manière dont les études de la mondialisation abordent le rôle des communautés transnationales comme les diasporas dans l’analyse des conflits, à partir du cas de l’engagement de la diaspora juive dans le conflit israélo-palestinien. 239

RÉSU MÉS

Mots clés : diasporas, conflits, mondialisation, Juifs, Israël/Palestine. Arguments linking conflicts and diasporas tend to identify a vicious circle in which community conflicts are fueled from abroad by each side’s diaspora, in a context where transnational activism is rendered easier by globalization. This article’s aim is to critically examine these arguments and how globalization studies envision the roles of transnational communities like diasporas in the analysis of conflicts, based on the example of the involvement of the Jewish Diaspora in the Israel/Palestine conflict. Keywords : diasporas, conflicts, globalization, Jews, Israel/Palestine. Égyptiens d’outre-Nil : des diasporas égyptiennes ? Delphine Pagès-El Karoui

Les citoyens égyptiens expatriés dans le Golfe, en Amérique du Nord et en Europe, semblent a priori relever davantage de la communauté transnationale que de la diaspora. Récemment, cependant, les usages du terme diaspora se sont multipliés, d’abord pour qualifier des communautés religieuses (diaspora copte, diaspora des Juifs d’Égypte), mais aussi de plus en plus pour évoquer une organisation sociale, nationale, transcendant les clivages religieux et dont la « révolution du  janvier » aurait accéléré la formation. Inspiré des travaux de Stéphane Dufoix, cet article se veut une contribution empirique à la réflexion sur le concept de « diaspora ». Au-delà des catégories figées (« diaspora » ou « communauté transnationale » ?), on s’attache à repérer les usages du mot diaspora dans le contexte égyptien, ainsi qu’à étudier les processus de « diasporisation » à l’œuvre, en insistant sur la complexité des processus d’identification des Égyptiens vivant à l’étranger, compte tenu de leurs interprétations diverses du référent national. Mots clés : Égypte, diaspora, communauté transnationale, Coptes, Juifs égyptiens. Egyptian expatriates in the Gulf States, in North America and Europe seem more to pertain to a transnational community than to a diaspora. Recently, however, uses of the term « diaspora » have considerably increased, first of all in order to qualify religious communities (Coptic diaspora, Egyptian Jews diaspora), but also to refer more and more to a national social organization, very likely reinforced by the Revolution of  January, which transcends religious differences. Inspired by Stéphane Dufoix’s works, this article aims to provide an empirical contribution to the scrutiny of the « diaspora » concept. Beyond fixed categories (« diaspora » or « transnational community » ?), it focuses on the uses of the word « diaspora » in the Egyptian context. Stressing the complex identification processes of Egyptians living abroad, the article examines « diaspora making » processes due to different interpretations of the so-called national homeland. Keywords : Egypt, diaspora, transnational community, Copts, Egyptian Jews.

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R É SU M É S

Vacances au bled et appartenances diasporiques des descendants d’immigrés algériens et marocains en France Jennifer Bidet et Lauren Wagner

Plutôt que d’interroger la diaspora comme entité collective répondant à un ensemble strict de critères stables dans le temps, nous proposons d’étudier des pratiques et des sentiments diasporiques, par lesquels les individus créent et maintiennent des connexions avec un espace lointain construit comme « terre des ancêtres » ou « terre d’origine ». En confrontant deux recherches qualitatives portant sur les pratiques de vacances de descendants d’immigrés marocains et algériens venus travailler en Europe à l’époque des Trente Glorieuses, nous analysons comment les séjours de vacances peuvent être vécus ou se révéler fonctionner comme des catalyseurs d’appartenance diasporique. Érigé comme critère de choix de destinations de vacances ou présenté comme le résultat d’interactions sur les lieux de vacances, le sentiment d’appartenance diasporique se révèle sous un jour plus complexe dépassant les frontières du seul pays d’origine et éloigné d’une approche figée et essentialiste de l’objet « diaspora ». Mots clés : sentiment d’appartenance diasporique, descendants d’immigrés, Algérie, Maroc. Rather than treating diaspora as defined by certain criteria across the ages, we argue that further investigation of diasporic practices and orientations provide a meaningful analysis of how individuals create and maintain connections to an ancestral and distant « homeland ». Based on two parallel and methodologically complementary studies about vacation practices of Moroccan- and Algerian-origin « second generation » individuals in Europe towards their North African « homelands », our combined data provide a view into how such practices become part of an enactment of diasporic belonging – both to the « homeland » and to broader definitions and senses of diaspora. The sense of belonging they express through choosing to visit the diasporic homeland is complicated by familial attachment and detachment, as well as tendencies towards other attachments that reach beyond the borders of their ancestral countries. Keywords : diasporic belonging, second generation, Algeria, Morocco. Diasporicité et problématique diasporique : réflexions à partir du cas chinois Anne-Christine Trémon

Partant des débats sur l’applicabilité de la notion de diaspora dans le cas chinois, cet article défend son usage comme catégorie analytique. Dans la perspective d’une anthropologie globale qui s’efforce de rendre compte de la variabilité des échelles temporelles et spatiales, il s’agit d’interroger les conditions de possibilité pour qu’une population puisse être caractérisée comme diasporique, et de déployer une optique diachronique qui puisse restituer les modalités d’entretien de la « diasporicité ». Plutôt que de trancher a priori en faveur de l’un ou l’autre paradigme, « centré » ou « décentré », de la diaspora, l’auteure propose de raisonner en termes de « problématique diasporique ». Celle-ci se situe dans la tension entre le maintien, dans et malgré la dispersion, d’une identification de ses membres à un collectif originaire, et la distanciation vis-à-vis de celui-ci par la 241

RÉSU MÉS

localisation de leurs appartenances dans les destinations d’accueil. Une « problématique diasporique » spécifique au cas chinois est ensuite isolée à partir de la consultation de la littérature historique à focale élargie consacrée aux migrations chinoises. Cette problématique peut être affinée par sa mise à l’épreuve du terrain. À partir de ses recherches en cours dans un village d’émigration du delta des Perles, l’auteure montre que dans le cas sud-chinois, c’est le lien lignager à la localité d’origine qui constitue le matériau empiriquement observable où se cristallise cette problématique. Il constitue également le fil conducteur de l’enquête ethnographique. Mots clés : diaspora chinoise, Chinois d’outre-mer, Shenzhen, lignage, connexions. Dealing first with the debates on the applicability of the notion of diaspora in the case of China, this article advocates its use as an analytical category. In the perspective of a global anthropology aimed at accounting for the variability of temporal and spatial scales, it questions the conditions according to which a population can be called « diasporic », and adopts a diachronic perspective so as to reflect on the conditions for maintaining « diasporicity ». Rather than advocating a priori paradigms of either « centered » or « de-centered » diasporas, the author offers to speak of « diasporic problematics ». These involve a tension between the maintained identification of its members to an original collective, within and in spite of dispersion, and their distancing from that collective, due to their localization in a host location. « Diasporic problematics » specific to China are then identified, based on the consultation of historical literature with a wide focus on Chinese migrations. These problematics can be further qualified by being applied to the field. Based on her long-term research in an emigration village in the Pearl River Delta, the author shows that in the case of South China, the lineage link with the original locality constitutes the empirically observable material, where the problematics are crucial. It also provides the main guiding thread of the ethnographic investigation. Keywords : Chinese diaspora, Overseas Chinese, Shenzhen, lineage, connections.

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Les auteurs

Boris A

docteur en histoire, Institut de recherches interdisciplinaires sur les enjeux sociaux (IRIS) - EHESS

Brigitte B

docteure en sociologie de l’EHESS (Paris), boursière « Marie Curie » à l’Université de Warwick (GrandeBretagne)

Jennifer B

doctorante en sociologie, Centre Max Weber, Université Lyon 

Guillaume C

doctorant en histoire moderne au CRHM (Centre de recherches d’histoire moderne, Université Paris ) et membre de l’École française de Rome

Abner C

anthropologue (-)

Sonia G

postdoctorante en études germaniques, Université de Strasbourg, et ATER à l’Université de Strasbourg

Mathieu G

chercheur postdoctorant « Andrew W. Mellon », Washington University in St. Louis (États-Unis)

Robert H

professeur émérite de sociologie à l’Université de Ratisbonne (Allemagne)

Irad M

professeur d’histoire ancienne à l’Université de Tel-Aviv (Israël)

Patrick M

Andrew W. Mellon Professor of World History à l’Université de Pittsburgh, Pennsylvanie (États-Unis)

Claude M

directeur de recherche au CNRS, CEIAS (Centre d’études de l’Inde et de l’Asie du Sud) - EHESS

Delphine P-E K

maître de conférences en géographie, membre du CERMOM (Centre de recherches Moyen-Orient Méditerranée) à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco, Paris)

Sonja K. P

doctorante en études juives, Université de Potsdam, et étudiante en études rabbiniques, Abraham-Geiger-Kolleg, Potsdam (Allemagne)

Anne-Christine T

maîtresse d’enseignement et de recherche, Faculté des sciences sociales et politiques, Université de Lausanne (Suisse)

Lauren W

enseignante-chercheure, Cultural Geography Group, Wageningen University (Pays-Bas)

Annales

Histoire, Sciences Sociales no 3

juillet-septembre 2012

Sommaire Éditorial Régimes de genre D L Les régimes de genre dans les sociétés occidentales de l’Antiquité au XVIIe siècle V S C Régime de genre et Antiquité grecque classique (Ve-IVe siècles av. J.-C.) E H Femmes riches et captateurs d’héritage à Rome durant le Haut-Empire D L Genre et Paix. Des mariages croisés entre quatre communes de la Marche d’Ancône en 1306 G S Similitude, égalité et réciprocité. L’économie matrimoniale dans les sociétés urbaines de l’Empire à la fin du Moyen Âge S S « Au défaut des mâles ». Genre, succession féodale et idéologie nobiliaire (France, XVIe-XVIIe siècle)

Circulations littéraires R M L’« Europe française », une domination culturelle ? Kaunitz et le théâtre français à Vienne au XVIIIe siècle

Genre (comptes rendus) Judaïsme (comptes rendus) Résumés / Abstracts Livres reçus

Rédaction 190-198 avenue de France t 75244 Paris cedex 13 t Tél. : 01 49 54 23 77 t [email protected]

Abonnement Armand Colin abonnements t 5 rue Laromiguière t 75240 Paris Cedex 05 t Tél. France : 0820 065 095 t Tél. International : 33 (0)1 40 46 49 89 t Fax : 33 (0)1 40 46 49 93 t [email protected]

Vente au numéro Prix d’un numéro simple : 17 E En librairie et en ligne : Dif’Pop diffusion t 81 rue Romain Rolland t 93260 Les Lilas Tél. : 33 (0)1 43 62 08 07 t Fax : 33 (0)1 43 62 07 42 t www.difpop.com Vente sur place et par correspondance : Éditions de l’E t 131 boulevard Saint-Michel t 75005 Paris t Tél. : 33 (0)1 53 10 53 56 t Fax : 33 (0)1 44 07 08 89 t [email protected]

MIGRATIONS, TRANSNATIONALISME ET DIASPORA : THÉORIE ET ÉTUDES DE CAS Coordination : Dietmar Loch, Jacques Barou et Marie-Antoinette Hily

RE M

Revue Européenne des Migrations Internationales

Éditorial Dietmar Loch et Jacques Barou : Les migrants dans l’espace transnational : permanence et changement Chantal Bordes-Benayoun : La diaspora ou l’ethnique en mouvement Paolo Boccagni: Revisiting the “Transnational” in Migration Studies: A Sociological Understanding Thomas Faist: Toward a Transnational Methodology: Methods to Address Methodological Nationalism, Essentialism, and Positionality Thomas Lacroix : Transnationalisme villageois et développement : Kabyles algériens, Chleuhs marocains en France et Panjabis indiens en Grande-Bretagne Catherine Delcroix et Daniel Bertaux : Les activités transnationales des femmes immigrées. L’exemple d’une association de Marocaines de Bruxelles Jürgen Gerdes and Eveline Reisenauer: From Return-Oriented to Integration-Related Transnationalisation: Turkish Migrants in Germany Marie Coiffard : La coopération internationale sur les transferts de fonds des migrants, quels enjeux pour quelle perspective ? Jacques Barou : Les immigrés d’Afrique subsaharienne en Europe : une nouvelle diaspora ? Note de recherche Guillermo Uribe : La population latino-américaine en Espagne : nouvelles diasporas, nouvelles mobilités

Volume 28 - N°1 - 2012 © Université de Poitiers REMI – MSHS – Bât. A5 – 5, rue Théodore Lefebvre – 86000 POITIERS [email protected] http://remi.revues.org/ ISSN 0765-0752 – ISBN 979-10-90426-03-0

VOLUME!

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La revue Volume! consacre deux numéros successifs au thème de la Contre-Culture Dossiers dirigés par Sheila Whiteley 1FOEBOU

MFTBOOÏFTBVY²UBUT6OJT UPVUFVOFHÏOÏSBUJPOEFCBCZ CPPNFSTQSPQPTBVOFDVMUVSFSBEJDBMFNFOUPQQPTÏFËMAmerican Way of Life FUTFTIJÏSBSDIJFTDVMUVSFMMFT RVJTFYQSJNBQBSVO FOTFNCMFIÏUÏSPHÒOFEJEÏFT EFNPEFTEFWJF EFNVTJRVFT  NPVWFNFOUDVMUVSFMCBQUJTÏjMBxDPOUSFDVMUVSF-IBHJPHSBQIJF QSPHSFTTJTUFEVNPVWFNFOUWPVESBJURVFMBDPOUSFDVMUVSFGßU NVMUJDVMUVSFMMF NVMUJSBDJBMF GÏNJOJTUF DPOUFTUBUBJSF TPMJEBJSF 1PVSUBOU QMVTJFVSTTJHOFTUFOEFOUËOVBODFSMFCJMBO%BOT VOFPQUJRVFQMVSJEJTDJQMJOBJSF IJTUPJSFDVMUVSFMMF NVTJDPMPHJF  TPDJPMPHJF FTUIÏUJRVF QIJMPTPQIJFy

DFTEFVYOVNÏSPTEF Volume ! TJOUÏSFTTFOUQBSMFEÏUPVSEFMBNVTJRVFËDFDPVSBOU DVMUVSFMIÏUÏSPHÒOF TPOJEFOUJUÏÏDMBUÏF TBDJSDVMBUJPOQMBOÏUBJSF  TFTPSJHJOFT TPOJOnVFODFFUTFTIÏSJUBHFT

CONTRE-CULTURES I

CONTRE-CULTURES II

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III. Utopies & Dystopies

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Christophe DEN TANDT>"5,452&2/$+&.42&54/0*& -/%&2.*34&&402"4*15&-;4"*.%5342*&,,&?

I. Théoriser les contre-cultures *$>@2&"+/.)2/5()A "/.42&$5,452&&4 ,B"0/(;&%&,"-/%&2.*4;"-;2*$"*.&? #%$>@)&".",*49/' %&(2"%"4*/.A  .%9 "2)/,,&&,6&4.%&2(2/5.%&4,B&34);4*15&42"3)? II. Les scènes contre-culturelles

'" '! >@&,4&2+&,4&2A&4 ,B);2*4"(&%&3"..;&3 ? IV. Anarchie sonore & «freaks» *  >@)&/.(2&"+54A -53*15&*."$)&6;& &4'/,*&%".3,&2/$+%B"6".4("2%&%&3"..;&3 &4 ?

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