Doura Europos, a Seleucid city

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SÉLEUCOS I NICATOR


Doura-Europos ou la ténacité de la culture grecque au Proche-Orient

Coiffez-vous donc d'un grand pétase, et munissez-vous d'un éventail car
nous allons vers le désert syrien, chaud, ensoleillé, à la découverte de
Doura-Europos, que les archéologues ont surnommée Pompéi du désert syrien.

Nos guides seront Isidore de Charax[1], Pline l'ancien, Pierre Leriche[2],
du CNRS, Simon James, de l'université de Leicester, Getzel Cohen qui
partage son savoir encyclopédique sur les cités hellénistiques[3], et le
grand Michel Rostovtzeff[4], directeur des fouilles à la suite de Franz
Cumont.

Le site de Doura-Europos se trouve près du village moderne de Salhieh, sur
une falaise de 90 m de hauteur surplombant la rive au-dessus du moyen
Euphrate, à l'extrême sud-est de la Syrie, à 35 kilomètres de la frontière
irakienne. À 24 kilomètres au sud, se trouve un autre site archéologique,
celui de Mari. Il existe aussi une Doura sur le Tigre. Mais nous nous
rendons à celle de l'Euphrate, l'Europos. La ville était babylonienne et
fut refondée par Séleucos Nicator qui poursuivit l'entreprise du
Macédoniens qui l'avaient précédé entre -300 et -280. Il y abrita ses
vétérans macédoniens et grecs. Mais là aussi, il y eut mélange de
populations diverses. Isidore de Charax nous fait retrouver le fameux
Nicanor, ce général macédonien au service d'Antigone le Borgne, souvent
confondu par les auteurs anciens avec Nicator[5]. Il revient en fondateur
de la cité selon Isidore de Charax. L'emplacement, peut-être choisi par
Nicanor en -303, était stratégique car il se situe "au point où la route
qui va d'Antioche, la capitale méditerranéenne de l'empire séleucide, à
Séleucie du Tigre, la capitale babylonienne, descend du plateau pour longer
l'Euphrate"[6].
Doura-Europos était avant les Macédoniens "une colonie de peuplement
disposant d'eau, contrôlant et exploitant les ressources agricoles
abondantes de la riche plaine qui s'étend en aval jusqu'à Abou Kemal et
qui, aux IIIe et IIe millénaires avant notre ère, avait constitué le
royaume de Mari."[7]


"Doura" (Dura) dans les anciennes langues sémitiques signifiait
"forteresse". Le terme était courant en Mésopotamie. Une tablette
cunéiforme nous montre l'inscription 'Dawara', indiquant qu'une ville
babylonienne existait, avec une citadelle fortifiée, "dès le milieu du IIe
millénaire"[8]. "L'intérêt d'une telle position (stratégique) n'avait pas
échappé aux maîtres de la région dans les périodes antérieures à la
fondation de la cité vers 300 av. J.-C. par Séleucos Ier qui avait hérité
de toute la partie asiatique de l'empire d'Alexandre et qui avait mené une
rigoureuse politique d'urbanisation sur l'ensemble des territoires placés
sous sa domination."[9] Quant à Europos, les historiens pensent qu'il était
le nom du village natal de Séleucos en Macédoine. Mais les deux termes sont
discutés: Dr. Ranajit Pal par exemple suggère[10] pour Doura "le sanskrit
'dvara' signifiant "porte". La cité aurait été la porte de l'Occident pour
les Orientaux de l'époque pré-alexandrine. Concernant le terme Europos,
Getzel Cohen[11], dans son livre de référence sur les cités hellénistiques
en Syrie, cite Étienne de Byzance[12] qui parle d'une Nicatoris, et non,
comme Isidore, d'une Nicanoris! Il n'en demeure pas moins que Doura Europos
était une ville forteresse babylonienne puis grecque, puis romaine, puis
parthe, développée d'abord par les Macédoniens. Notons que le terme composé
Doura Europos (Dura Europus, Dura Europos) n'était pas utilisé dans
l'antiquité.


Nous arrivons:
Dans l'immobilité chaude du désert, surplombant l'Euphrate qui traverse le
silence accompagne surtout le soir de ci, de là des cris d'oiseaux, de
chauve-souris, de hyènes et de chacals, se dresse l'imposante et sévère
muraille de Doura-Europos. À l'intérieur des murs, par contraste, les
ruines enfouies dans le sable, immuables, semble-t-il, nous racontent
l'agitation et les changements rapides qui eurent lieu pendant six siècles
dans cette cité hellénistique avant qu'elle ne sombre dans un profond
sommeil.
Elle nous raconte comme un témoin mais elle est si bavarde qu'elle emploie
plusieurs langues et plusieurs matériaux porteurs de ses messages! Ainsi,
les inscriptions trouvées à Doura-Europos sont en grec, latin, syriaque,
pehlevi, en hatrien, en araméen, en hébreu, en arabe safaïque, moyen
persan, et Palmyrénien, écrites sur les murs, sur des tablettes, sur des
stèles, sur du parchemin, et autres matériaux.
"La cité a connu un développement remarquable malgré une histoire
tourmentée qui la vit passer de la domination des Grecs à celle des
Parthes, puis celles des Romains avant d'être conquise au troisième siècle
de l'ère chrétienne par les Sassanides, vidée de toute sa population et
définitivement désertée….. Elle nous donne une chance inespérée: depuis son
abandon, elle n'a jamais été réoccupée. Ses constructions sont donc
remarquablement conservées et ont pu être partiellement dégagées,
contrairement à celles des autres cités grecques du Proche-Orient qui sont
aujourd'hui inaccessibles parce qu'enfouies sous de grandes villes
modernes, comme Alexandrie ou Antioche sous Antakya, ou encore Laodicée
sous la moderne Lattakie."[13]


Découverte de Doura-Europos

Toute l'histoire de cette ville est fascinante, comme la ville elle-même.
Les ruines qui s'offrent aux archéologues sont pour la plupart romaines.
Mais la ville était hellénistique. Ni Séleucos, ni Nicanor, ni les
Babyloniens qui les avaient précédés, ne pouvaient entrevoir même en songe,
le destin de leur cité.

L'histoire de la découverte de Doura-Europos s'aligne avec le paradoxe qui
règne dans la cité, et semble être une fausse coïncidence, comme plutôt un
rappel d'une de ses fonctions dans l'histoire, qui était une fonction
essentiellement hospitalière.

Après la guerre de 14-18, "la Grande Guerre", il y eut des événements en
Asie qui bouleversèrent le monde et les cartes géographiques:
l'effondrement de l'Empire ottoman. Celui-ci existait depuis le XIIe
siècle, instauré par le chef d'une tribu en Anatolie, Osman Ier mais
surtout par son fils Orhan. Leurs successeurs allèrent jusqu'à occuper la
Macédoine, la Bulgarie, la Thessalie, Constantinople, puis la Morée, la
Serbie, la Bosnie. Le plus grand roi, Soliman le Magnifique, occupa la
moitié de la Hongrie et essaya de s'emparer – en vain – de Vienne! Peu à
peu, ses successeurs perdirent les territoires gagnés jusqu'alors. Mais
après la première guerre mondiale, dans laquelle l'Empire ottoman avait
pris parti pour l'Allemagne, ce fut le début de la fin. Britanniques et
Français se mirent en devoir de se partager la carcasse de ce grand empire.
(C'est de cette époque que naît la Turquie en 1922 lorsque Mustafa Kemal
abolit le sultanat.) Les luttes et escarmouches entre Arabes et Européens
menaient bon train en 1920. Le 31 mars 1920, dans le désert oriental de la
Syrie, des soldats indiens, les "Sepoys", sous les ordres du capitaine
anglais Murphy, chassés de Deir ez Zor, menacés par les troupes de Fayçal
en révolte, furent amenés à chercher refuge, vite, vite, dans de vieilles
ruines qui se trouvaient non loin d'eux, avec des tours et une citadelle.
Ils creusèrent quelques trous pour passer le plus possible inaperçus. Ils
voulaient se protéger dans des tranchées! Ils creusaient avec ardeur
lorsqu'à leurs yeux étonnés "apparut un mur peint de couleurs vives,
représentant des personnages plus grands que nature, vêtus de longues robes
blanches et coiffés de hauts bonnets pointus[14], occupés à célébrer un
sacrifice."[15] Les couleurs en étaient si fraîches et si vives que cela
prenait des airs féeriques en pleine bataille!

Ils avaient découvert un ancien mur d'une ville antique, un site encore
inconnu du temps de Bevan et Schoff[16]! Ils cessèrent de creuser, et s'en
remirent à leur chef. Le capitaine Murphy comprit qu'ils avaient
découvert un trésor et s'en remit à l'état-major. Ce dernier s'en remit à
un égyptologue américain, James Breasted qui se trouvait alors en mission
près de Bagdad. Breasted s'en remit à ses propres mains et, en une seule
journée de travail, avant que les troupes ne quittent le camp, révéla des
peintures qu'il attribua à un temple antique du temps de la conquête
d'Alexandre le Grand. La nouvelle fit fureur, et les journalistes
appelèrent le site "La Pompéi du désert syrien". Mais on attendit, sans
doute par force, que le calme revienne dans la région.

Les fouilles furent d'abord menées par un savant belge, spécialiste des
religions orientales, Frantz Cumont (1922-23). "Appuyé par un détachement
militaire[17], Cumont put dégager l'ensemble d'un temple ainsi que d'autres
monuments et ainsi identifier le site avec la ville de Doura-Europos"[18],
la belle polis, dormant ainsi sous le sable depuis des siècles, dans le
silence du désert syrien baigné de soleil. "Toutefois, en 1924," nous dit
Pierre Leriche, "la reprise des hostilités devaient mettre un terme à sa
mission. Il fallut attendre le retour au calme, quatre ans plus tard, pour
voir une nouvelle mission organisée à l'initiative du célèbre savant russe
émigré Michel Rostovtzeff[19] et patronnée par l'université américaine de
Yale associée à l'Académie des inscriptions." Les travaux de six mois par
an commencèrent en 1928 mais furent interrompus par manque d'argent en
1937. Deux ans plus tard commençait la deuxième guerre mondiale qui
interrompit les fouilles. "Il fallut attendre cinquante ans pour que soit
créée une troisième mission, placée cette fois sous le patronage du CNRS,
du ministère français des Affaires étrangères et de la Direction générale
des antiquités et musées de Syrie et dirigée par l'auteur de ces lignes[20]
associé au Dr. A. Al-Mahmoud, directeur du musée de Deir ez Zor. Depuis
1986, la nouvelle mission travaille deux mois par an, généralement au
printemps, avec pour objectif de mener de front l'étude archéologique, la
préservation et la présentation du site qui s'était fortement dégradé."[21]





Description de la cité

Vous avez deviné juste: elle était construite en damier selon l'urbanisme
hippodamien![22] Une vaste agora en était plus ou moins le centre. Pierre
Leriche la décrit comme "une cité hellénistique exemplaire". Cependant
seulement un tiers de la ville a été fouillée. Les archéologues pensent
que, hormis la forteresse (ochurôma) d'origine, babylonienne, la ville a
été fondée ex nihilo, par les Macédoniens.
Mais les ruines qui apparaissent peu à peu au fur et à mesure des fouilles
n'appartiennent pas à l'époque de Séleucos pendant laquelle Doura était un
simple campement militaire. Les successeurs des Séleucides agrandirent et
embellirent le camp et en firent une belle cité.

Suivons donc notre guide, Pierre Leriche.

"Doura Europos offre aujourd'hui un visage remontant, pour ses éléments les
plus anciens, au milieu du IIe siècle. Plus de la moitié de cet ensemble a
d'ailleurs disparu dans l'effondrement de la falaise qui a aussi emporté
pratiquement tout le rempart oriental. …


Le plan de Doura Europos s'inspire des principes de l'urbanisme
hellénistique; il est l'une des plus belles illustrations de ce système dit
"hippodamien' fondé sur le principe de la répartition d'îlots tous
identiques de cent pieds sur deux cents – soit trente-cinq sur soixante-dix
mètres – représentant la surface de huit maisons de trois cents mètres
carrés chacune. Ces îlots sont séparés par des rues orthogonales de cinq à
douze mètres de largeur pour la rue principale. Tous les édifices publics
ou privés s'intègrent dans ce schéma; on sait toutefois qu'a l'arrivée des
Parthes, seule une petite partie de l'espace circonscrit par les murailles
était construite. Ainsi, au centre de la ville, le projet d'une large agora
– s'étendant sur l'emplacement de huit îlots – n'a été réalisé que dans sa
partie septentrionale.
Hormis les fortifications de la ville et la citadelle, les monuments de
l'époque hellénistique ont pour la plupart été largement modifiés au fil du
temps et offrent un visage datant le plus souvent de l'époque romaine."

Voici ce que nous confie (dans "Caravan Cities") Rostovtzeff de sa chère
Doura:
"Qu'avons-nous trouvé à Doura? A première vue, cela paraissait un paradis;
devant nous était la rive escarpée de l'Euphrate sur laquelle nous nous
tenions et au-dessous de nous s'étendait un merveilleux paysage; le fleuve,
large, boueux, et rapide, dans le premier plan et sur sa rive droite des
bosquets de tamaris où les sangliers sauvages errent encore. Au-delà du
fleuve s'étiraient les interminables champs et déserts d'Iraq. Sur le bord
de la rive escarpée du fleuve se trouve la citadelle de Doura, un rectangle
oblong entouré de hauts murs…. L'accès à l'intérieur se fait par deux
portes monumentales, chacune protégée par deux tours, dressées sur le côté
le plus long du rectangle quand on regarde vers la ville. Sur le côté de
l'Euphrate le mur correspondant s'était depuis longtemps écroulé et était
tombé dans le fleuve.
….. Pendant la première saison, nous creusions autour des portes
principales de la ville. Elles sont triples et sous leurs voûtes il y a
des portes donnant accès aux tours qui protègent la porte. Les murs à
droite et à gauche de ces entrées sont couverts de centaines
d'inscriptions, écrites par des soldats appartenant à la garnison, par des
marchands, des douaniers, des porteurs, tous ces gens qui ont réussi à
immortaliser leurs noms. Les inscriptions sont plus nombreuses près de
l'une des portes, où se trouve un rang d'autels recouverts de plâtre. …."
L'espacement entre les tours est irrégulier au sud et au nord, mais
régulier à l'ouest. La citadelle est en pierre de taille de trois cents
mètres de longueur, "avec en son centre le palais du commandant militaire
de la place. Des quatre portes dont la ville était probablement dotée, deux
seules subsistent: la porte monumentale de l'ouest à plan carré, dite
"porte de Palmyre", et la porte sud, tout aussi large mais conçue selon un
plan dit "entonnoir". Les autres portes – la porte du fleuve et celle
s'ouvrant dans une partie écroulée du rempart nord – ont disparu." (Pierre
Leriche, ibidem.)

A l'époque séleucide, la ville suivait des institutions grecques avec une
boulè, un stratège, des sitonai chargés de l'acquisition et de la
distribution du bleu, un épistate surveillant la ville pour le roi. Les
citoyens avaient, comme dans les villes hellénistiques, des cleroi ou lots
de terre (ils étaient donc des clérouques) et ces lots de terre étaient
travaillés pour eux par les indigènes. L'influence indigène en art se fit
vite sentir.

Les Romains s'emparèrent de la ville en 164. Datant donc de l'époque
romaine, modifiés par les Romains sont: le palais du Stratège, le palais de
la citadelle, le temple dédié à Zeus Mégistos, et le temple dédié à
Artémis. Des temples il ne reste que des colonnes de style dorique ou
ionique.

La ville fut occupée en -141 par les Parthes et ce pendant plus de trois
siècles. Le nom Europos ne fut plus utilisé, au profit du nom d'origine
"Doura". C'est à cette époque – avec une interruption romaine de Trajan de
115 à 117[23] – jusqu'en 165 que la cité connut une grande "prospérité et
une période de paix sans précédent qui contraste avec l'image négative que
les Romains ont donnée des Parthes". (P. Leriche, ibidem) Doura-Europos
devint une ville de caravanes qui connut un commerce florissant avec les
villes de la vallée de l'Euphrate et celles de la Syrie occidentale. Les
Parthes ont respecté le plan hippodamien et ont érigé de nombreux monuments
religieux.

Comme le veut la tradition orientale remontant avant les Séleucides et
allant jusqu'à nos jours, seule la cour devant le palais est ouverte au
public. La cour se trouve avant l'entrée du palais. Rostovtzeff écrit:
"Seuls les favoris, qui avaient attendu de longues heures dans le
labyrinthe des passages, étaient admis dans la cour intérieure et à
l'intérieur du "liwan" , la salle de réception, du maître. Au-delà de cet
endroit, personne sauf les serviteurs ou les amis ne pénétrait. Il est
curieux que le seul graffito important trouvé dans ce palais de la
fortification soit une inscription qu'un cuisinier a grattée sur les murs
de la cuisine en lettres grecques mais en langue latine. Il y a
immortalisé le nombre de jambons qu'il allait servir au résident romain du
palais."

Les remparts au temps des Parthes étaient solides et impressionnants nous
dit Rostovtzeff. Il y eut un tremblement de terre en -160 qui a dû les
endommager.
"Les soldats (romains en charge de la défense déposaient naturellement
certaines de leurs affaires, surtout leurs armes et leurs vêtements dans
les tours, Quand, après la dernière attaque qui eut pour résultat la prise
de la ville par les assiégeants, les soldats de la garnison de Doura
quittèrent la cité ou furent tués dans la bataille, ils abandonnèrent
certaines de leurs affaires dans les tours ou bien ils les laissèrent
tomber dans leur fuite hâtive autour des murs. Les conquérants probablement
ne prêtèrent pas attention à ces pièces d'équipement. Ils s'attendaient à
trouver plus et meilleur butin dans les temples et les bâtiments publics de
la cité. Ainsi il se passa que ces pièces ou armements et vêtements
demeurèrent où ils avaient été abandonnés ou laissé tomber. Quand la ville
fut abandonnée, le sable poussé par le vent s'accumula en grandes masses
dans les tours et de chaque côté des murs. En peu de temps, il devint si
épais que la pluie ne pouvait pénétrer jusqu'aux objets. En conséquence
nous avons trouvé presque tous les vêtements qui étaient là parterre dans
une condition comparativement bonne, quelque peu mangés par les vers mais
autrement dans un excellent état de préservation.
Les découvertes les plus excitantes près des tours furent les documents
écrits sur parchemin et papyrus. Cumont trouva neuf parchemins près de la
double tour des archers dans le mur nord-ouest. Lors de notre seconde
campagne, nous en ajoutâmes trois et un papyrus, trouves dans le voisinage
de la porte principale…. Durant notre dernière campagne, celle de 1931-1,
nous trouvâmes dans les ruines d'un temple qui se trouvait près de la
double tour des archers, une pièce qui servait probablement en tant que
Bureau des Registres Publiques, dont on en dira plus ci-dessous. Cette
pièce était pleine de parchemins et de papyri. La plupart avaient
complètement pourri. Certains – ceux qui étaient enterrés profondément
dans le sable – étaient dans un meilleur état de conservation et peuvent
donner une information importante sur la vie de Doura. … Les restants de
textiles sont rares dans les anciennes ruines sauf en Égypte. Chaque
nouvelle pièce syrienne est donc la bienvenue pour ceux qui étudient
l'histoire des textiles. Il faut admettre, cependant, que les tissus de
Doura ne sont pas des plus fins: la plupart sont des fragments de sacs de
chameaux et de simples tuniques et manteaux. Plus décevant encore étaient
les armes… La plupart sont de très pauvres exemples, qui de toute évidence
n'appartenaient pas à des légionnaires romains. Elles peuvent être
assignées soit à des Palmyréniens (qui ne possédaient ni fer, acier, ni
même du bon bois en larges quantités), soit à d'autres auxiliaires
orientaux de Rome, ou même aux derniers occupants de Doura – les Perses.
…. La découverte la plus intéressante est sans doute une armure en chaîne
large, peut-être celle d'un cheval, qui en toute probabilité appartenait à
un clibanarius[24] perse. …Pourtant un des boucliers en cuir est
exceptionnellement intéressant, car son propriétaire – un soldat d'un corps
auxiliaire – y avait dessiné en couleurs l'itinéraire de son voyage de
retour d'ouest à l'est, c'est-à-dire depuis la péninsule des Balkan jusqu'à
Doura. Il nous procure ainsi un rare exemple d'une très ancienne
carte."(Rostovtzeff)


Les temples étaient nombreux et de différentes religions. Il y avait
notamment plusieurs petits temples de femmes. L'un d'eux fut détruit par
les Romains et remplacé par un plus grand temple pour hommes. Rostovtzeff
nous éclaire: "Nous savons que jusqu'à ce que les Romains prennent la
ville en 164, Doura était restée un fort parthe, occupé par une forte
garnison et géré par un gouverneur général parthe qui contrôlait la vie de
la cité. En conséquence, malgré le fait que sa population avait été
macédonienne et continuait à parler grec, elle devint néanmoins de plus en
plus iranienne – aussi iranienne, en fait, que l'était la population de
Panticapéum (Kertch) au sud de la Russie en ce temps-là. Simultanément les
habitants de Doura aussi devinrent sémitisés, car la majorité de sa
population féminine était d'origine sémitique. Pourtant la culture de la
cité demeura grecque, avec un léger mélange d'iranien, et non gréco-
sémitique.

C'est dans cette polis que fut construite la plus ancienne synagogue du
monde, datée dans une inscription en araméen de 244. Elle a été découverte
en 1935 par Clark Hopkins[25] qui ne put plus croire avoir trouvé un temple
grec lorsqu'il vit un sanctuaire de Torah dans le mur ouest faisant face à
Jérusalem. Les peintures de la synagogue sont conservées au musée de
Damas, avec l'armure d'un cavalier.

Mais Doura-Europos offre aussi la plus ancienne église chrétienne. Au
début, les archéologues avaient du mal à comprendre la traduction des
rouleaux de parchemins en hébreu, croyant avoir à faire a une nouvelle
synagogue. J.L. Teicher démontra qu'il s'agissait en fait de prières
eucharistiques chrétiennes[26].


Les autres religions comptaient la religion des Grecs, celle des Romains,
s'accommodant des dieux des habitants indigènes, et la religion des
Palmyréniens, qui croyaient en Mithra: "Les œuvres sculptées découvertes à
Doura ont été exécutées par les artistes ou artisans de la région. Il
s'agit généralement de bas-reliefs religieux représentant une ou deux
divinités –reliefs d'Arsu ou de Iarhibol, reliefs d'Atargatis et Haddad –
entourées de leurs attributs et parfois accompagnées de la représentation
du donateur sous les traits d'un officiant du culte, ainsi les reliefs
d'Aphlad, de Zeus Kyrios-Baal Shamin, le bas-relief de Bel du temple de la
rue principale….Ce sont aussi probablement les artistes douréens qui ont
exécuté les nombreuses fresques des édifices religieux remarquablement
préservées grâce au remblai intérieur du rempart." (Pierre Leriche[27])


"Les maisons privées apparaissent uniformes. Certaines sont plus riches et
plus grandes que d'autres, mais toutes relèvent d'un seul type, qui existe
encore en Mésopotamie de nos jours –les maisons babyloniennes, datant du
temps d'Ur des Chaldéens….Un long corridor menant de la rue tourne en angle
droit dans une cour centrale (habituellement ouverte) de la maison; une,
deux, ou trois large pièces de réception et d'affaires entourent cette
cour, et il y a des escaliers menant a l'étage supérieur ou devaient se
trouver les chambres à coucher et les quartiers des femmes. Il n'y avait
pas d'aqueduc dans la ville, l'eau étant gardée dans d'énormes vases
d'argile. Ni toilettes ni salles de bains n'ont été trouvées dans les
maisons." (Rostovtzeff).
La ville sous la domination romaine devint un camp militaire romain tandis
que "les Parthes de Doura différaient très peu de leurs maîtres, partageant
les mêmes intérêts et dévouant leur vie aux mêmes plaisirs et occupations."
(R.) Les Parthes avaient un régime féodal mais une hiérarchie gréco-parthe,
et des coutumes spéciales. Les membres des vieilles familles gréco-
macédoniennes gardaient leur nom d'origine, leurs lois et leur langue.
Devenus marchands, ils pratiquaient le commerce par caravanes comme les
autres, leurs voisins et concitoyens. Ils devinrent romains sous les
Romains sans être de vrais Romains ni vrais Grecs. Ils étaient fascinés par
l'astrologie et aimaient consulter les horoscopes (ce qui est normal en
Mésopotamie!). On n'a pas encore retrouve de gymnase ni de théâtre car les
fouilles ne sont pas complètes. Rostovtzeff a retrouvé des restes de
palestre.

Une découverte importante dans les fouilles de Doura est celle du fait
qu'il y a eu une bataille souterraine entre soldats romains et soldats
perses. Les Perses après avoir creusé une mine, rencontrèrent sous terre
les Romains, qui eux avaient creusé une mine de contre attaque. Les
Perses, aussi appelés Sassanides, défirent les Romains puis mirent le feu
afin de faire écrouler le mur de la ville. Les archéologues trouvèrent la
contre mine romaine, des armes et équipements des soldats romains, ainsi
que les pièces de monnaie qu'ils portaient sur eux. Ces dernières ont
permis de dater l'événement. La date de cette bataille souterraine coïncide
avec la fin de Doura Europos, en 256 de notre ère[28].

Dans cette ville cosmopolite où l'on parlait tant de langues et où l'on
pratiquait plusieurs religions, on peut deviner une cohabitation
harmonieuse des diverses ethnies, et une tolérance religieuse qui semble
avoir été considérée comme normale à l'époque. L'aristocratie macédonienne
d'abord prédominante sut garder le contrôle des institutions, mais sut
aussi s'accommoder de moins de grandeur et moins de richesses non seulement
après les conquêtes parthe et romaine, mais aussi après la chute de la
puissance romaine, quand le commerce caravanier fut détourné et ne passa
plus par Doura. Les habitants de la ville, qui gardait ses goûts
mésopotamiens pour l'astrologie influençant les nouveaux occupants qui
aimaient le côté religieux de la vie. Les commerçants étaient des dévots de
la Tychè de leur cité car d'elle dépendait le nombre et la fréquence de
transit des caravanes. Lorsque l'on considère l'aspect désertique et sec du
site de nos jours, on peut se demander comment les habitants se
ravitaillaient en eau, et arrosaient leurs champs: Les aristocrates, en
effet, possédaient des terrains, les kleroi, et ils étaient clérouques.
Les indigènes cultivaient la terre qui donnait alors, fruits et légumes en
abondance pour nourrir la population de la ville estimée à environ 5000
habitants[29], et les caravaniers. Les habitants, iraniens, mésopotamiens,
gréco-macédoniens pour pallier le problème de l'eau dans le désert, ont dû
se débrouiller industrieusement et ingénieusement. Rostovtzeff note que
l'on retrouve encore des traces de canaux d'irrigation de l'époque
hellénistique et jusqu'à son abandon. L'administration gréco-macédonienne
est si solidement installée et pratiquée qu'elle reste comme modèle pour
les futurs envahisseurs. La ville nous raconte combien elle était coquette
et comment les habitants décoraient leurs maisons et construisaient des
palais, des remparts, des temples au fil des six siècles d'existence. Les
peintures et graffitis sont des indices historiques très précieux. Alan
Little, un disciple de Rostovtzeff découvrit une peinture murale
représentant une des grandes batailles du Sassanide Shâhpuhr Ier[30],
probablement au 3e siècle, et probablement aussi livrée à Edessa, dans
laquelle bataille Shâhpuhr avait capturé le Romain Valérien. Rostovtzeff
voit une différence entre les peintures religieuses, et les séculaires, les
premières étant plus figées que les secondes qui montrent beaucoup de
mouvement. Il suggère l'influence de l'école de Doura sur les motifs
byzantins et chinois: "Doura remplit le vide entre la Chine et la Perse
sassanide et montre que les Parthes cultivaient ce motif" (le motif du
galop de chevaux dans les airs, volant). Doura témoigne de la culture
avancée des Parthes, qui avaient été fort critiqués par les Romains qui les
traitaient de barbares incultes. On peut aussi deviner, à Doura, une
certaine solidarité contre les nouveaux assaillants romains.






Doura, ville de caravanes, ville forteresse, ville agricole, est un
témoin. Elle nous parle à travers les siècles et nous raconte sa vie, et
le courage, la ténacité et la souplesse des Gréco-macédoniens dans un monde
nouveau soumis à de rapides changements. On pourrait dire que Doura est
une ville de contrastes entre l'immobile et le mouvement; entre le désert
et les canaux d'irrigation construits par les hommes; entre l'immuabilité
de ses remparts et la circulation intense des caravanes; entre le ton figé
des représentations religieuses et la mobilité représentées dans les
peintures séculaires; entre le passé obscur et un temps hellénistique
brillant; entre un pôle d'attraction et le silence du sommeil sous le
sable; entre un temps de solitude et d'oubli et le bavardage polyglotte
déclenché par la pelle des archéologues.



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[1] Isidore de Charax nous est très précieux. C'était un géographe et
voyageur grec du premier siècle de notre ère, contemporain de César et
auteur des Mansiones Parthicae. Il y cite Doura au premier chapitre.
[2] Pierre Leriche, www.clio.fr/BIBLIOTHEQUE/doura-
europos_sur_l_euphrate.asp
[3] Getzel M. Cohen, professeur d'Etudes Classiques a l'université de
Cincinnati, Ohio, The Hellenistic Settlements in Syria, the Red Sea Basin,
and North Africa, 2006. Il a également écrit "The Hellenistic Settlements
in Europe, the Islands, and Asia Minor, 1995, University of California
Press, Berkeley,
[4] "Caravan Cities", par Rostovtzeff est le livre utilisé pour le présent
article. Je pense que Rostovtzeff a écrit le livre en russe puis en
français. Le texte anglais dont je dispose a été traduit par D. et T.
Talbot Rice, sans spécification de la langue traduite. S'il a été écrit en
français, je présente mes plus humbles excuses pour offrir ici ma
traduction du texte anglais, le seul que j'ai pu me procurer. Merci
d'avance pour votre compréhension.
[5] De même, Nicator a été confondu avec Nicanor, par exemple par Flavius
Josèphe, Aulu Gelle, Eusèbe de Césarée, et plus tard par un certain Georgos
Syncellos, Montesquieu et d'autres. Ce Nicanor avait aussi fondé Orrhoë
(du Syriaque Orhai, plus tard appelée Antioche-Edessa, surnommée Nisibis.
Nicanor était satrape du Cappadoce puis gouverneur de Médie. Nicanor
pourrait aussi être un officier de Démétrios Poliorkétès, fils (ou neveu)
d'Antigone le Borgne. Certains pensent que Nicanor était au service de
Séleucos; il était son neveu et selon Malalas (8.198), il aurait eu le
contrôle de l'Asie et aurait fondé Doura Europos. Parfois, Nicanor
désignait vraiment Nicator, i.e. Séleucos. Appien appelle Nicator
'Nicanor', dans les Syriaques 5. L'historien Grainger (in Seleucos, 96-98)
a été ennuyé par tous ces Nicanor et il suggère que l'officier d'Antigone
passa au service de Séleucos.
[6] Ibidem
[7] Article des Listes indicatives avec leur description, établies par la
République arabe syrienne. Soumis par la Direction Générale des Antiquités
et des Musées (Damas) avec le concours du WHC/UNESCO, 1999.
[8] Pierre Leriche, article cité ci-dessus.
[9] Article des Listes indicatives avec leur description, établies par la
République arabe syrienne.
[10] Par communication personnelle téléphonique entre l'auteur de ce
présent article et Dr. Pal, auteur de Non-Jonesian Indology and Alexander,
Minerva Press, Londres, 2002 (en vente exclusive sur Amazon.com).
[11] Getzel Cohen, The Hellenistic Settlements in Syria, University of
California Press, 2006
[12] Étienne de Byzance, aussi connu par les historiens comme Stéphanos,
FGrH273 F72.
[13] Article des Listes indicatives avec leur description, établies par la
République arabe syrienne.
[14] "Rappelant ceux des mages perses ou des derviches modernes"
(Rostovtzeff)
[15] Pierre Leriche, Directeur de recherche au CNRS, Doura-Europos sur
l'Euphrate, Clio, Janvier 1994.
[16] Wilfred H. Schoff, en 1914, dans le commentaire de sa traduction des
Etapes Parthes, d'Isidore de Charax, avait de bonne foi, essaye de situer
Doura: "Nicanoris, peut-être la Theltha de Ptolémée, la moderne Tel Abu'l
Hassan." Isidore avait écrit: "la cité de Doura Nicanoris, fondée par les
Macédoniens, aussi appelée par les Grecs Europos." En grec: "Nikanoros
polis, ktisma Makedonon, …upo de Ellenon Europos kaleitai".
[17] Soldats de la Légion Étrangère comprenant quelques Russes.
[18] Ibidem
[19] Franz Cumont et Mikhaïl Rostovtzeff ont échangé 164 lettres entre
1897 et 1941, toutes en français. Cette correspondance dont le thème
principal est Doura-Europos nous montre que cette cité était leur centre
d'intérêt à partir duquel ils étudiaient le phénomène d'infiltration
hellénistique en Asie. On peut lire ce dossier dans le volume Mongolus
Syrio Salutem Optimam Dat. La Correspondance entre Mikhaïl Rostovtzeff et
Franz Cumont, éditée et commentée par Gregory Bongard-Levine, Corinne
Bonnet et al, fin décembre 2007, dans Mémoires de l'Académie des
Inscriptions et Belles-Lettres –Tome XXXVI.
[20] I.e. Pierre Leriche
[21] Ibidem
[22] Selon Leriche, le plan hippodamien ainsi que les structures telles que
le chreophylakeion (dépôt de biens, sorte de garde-meubles. Voir: P.
Leriche, Le Chréophylakeion de Doura-Europos et la mise en place du plan
hippodamien de la ville' in Archives et Sceaux du monde hellénistique,
Bulletin de correspondance hellénique 29, pp. 157-181.), le strategeion,
les murs et les portes de la ville datent du deuxième siècle avant J.-C.
[23] Hadrien en revint à la politique d'Auguste envers le proche Orient et
cela restaura Doura et sa partenaire, Palmyre, et la Syrie en général.
[24] Cavalier lourdement armé
[25] Hopkins, C., The Discovery of Dura Europos, (avec B. Goldman) Yale
University Press, Londres, 1979
[26] J.L. Teicher, "Ancient Eucharistic Prayers in Hebrew (Dura-Europos
Parchment D. Pg.25) "The Jewish Quarterly Review New Series 54.2 (October
1963), pp.99-109.
[27] Op. cit. supra
[28] Cohen, Hellenistic Settlements, p. 158, explique que les pièces de
monnaie étaient sans doute frappées à Séleucie sur le Tigre, ou à Antioche
près de Daphné (sur l'Oronte), mais que Bellinger et Newell ont suggère que
des pièces de bronze ont été frappées à Doura sous le règne d'Antiochos I
Soter. Voir A.R. Bellinger, The Coins, Yale University Press, New Haven,
1949.
[29] Voir Cohen, op. cit.
[30] Voir, par exemple, F. Grenet, Les Sassanides à Doura-Europos,
Géographie historique au Proche-Orient, Paris, 1988
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