Is fibromyalgia a psychiatric illness?

August 12, 2017 | Autor: Guillaume Fond | Categoria: Fibromyalgia, Rheumatoid Arthritis, Fibromyalgia
Share Embed


Descrição do Produto

Psychiatr. Sci. Hum. Neurosci. DOI 10.1007/s11836-011-0176-9

PSYCHOPATHOLOGIE CLINIQUE / CLINICAL PSYCHOPATHOLOGY

La fibromyalgie est-elle une maladie psychiatrique ? Is fibromyalgia a psychiatric illness? G. Fond · D. Capdevielle · J. Attal · J.-P. Boulenger © Springer-Verlag France 2011

Résumé Épidémiologie : La prévalence du trouble sur la vie entière en France est estimée entre 1,4 et 2,2 %. Le sex-ratio est de sept femmes pour un homme, les symptômes apparaissent habituellement entre 30 et 50 ans. Diagnostic : Le diagnostic de fibromyalgie est aujourd’hui un diagnostic rhumatologique qui repose sur un syndrome cardinal associant des douleurs permanentes diffuses, une fatigabilité et un sommeil vécu comme non réparateur. La fibromyalgie interroge sur son identité nosographique, car il s’agit d’une maladie extrêmement comorbide. Diagnostic des comorbidités psychiatriques : Il est important pour le clinicien de rechercher les symptômes dépressifs qui ne sont pas classiquement comorbides dans la fibromyalgie : idées suicidaires, anhédonie, autoaccusation, troubles du comportement alimentaire, ralentissement psychomoteur. Un trouble anxieux apparaît fréquemment, secondairement à l’apparition des symptômes, et peut parfois précéder l’apparition du syndrome fibromyalgique. La grande majorité des patients souffrant de fibromyalgie ont un antécédent d’événement de vie traumatique. Traitements pharmacologiques : La réponse médicale au syndrome fibromyalgique n’est pas forcément médicamenteuse. Le traitement de la fibromyalgie ne fait pas aujourd’hui l’objet d’une AMM en France et en Europe. La duloxétine, la prégabaline et le milnacipran ont reçu l’AMM dans cette indication aux États-Unis mais aucun n’a démontré son efficacité au long cours. La fibromyalgie nécessite donc une prise en charge multidisciplinaire étroite entre les rhumatologues (à qui revient le diagnostic), les médecins généralistes (qui orientent et conseillent

G. Fond (*) · D. Capdevielle · J. Attal · J.-P. Boulenger Université Montpellier-I, F-34000 Montpellier, France e-mail : [email protected] Inserm U1061, F-34093 Montpellier, France Service universitaire de psychiatrie adulte, hôpital La Colombière/CHU de Montpellier, 39, avenue Charles-Flahault, F-34295 Montpellier cedex 05, France

les patients), les médecins spécialistes de la douleur et enfin les psychiatres dans le traitement médicamenteux ou psychothérapiques des comorbidités psychiatriques. Pour citer cette revue : Psychiatr. Sci. Hum. Neurosci. □□ (□□□□). Mots clés Fibromyalgie · Douleurs · Hystérie · Antidépresseurs · Thérapie cognitive et comportementale · Catastrophisme · Kinésiophobie · Épisode dépressif majeur · Comorbidités · État de stress post-traumatique Abstract Epidemiology: The lifetime prevalence of fibromyalgia in France is estimated between 1.4% and 2.2%. The male/female sex ratio is 1:7, and symptoms usually appear between the age of30 and 50 years. Diagnosis: The diagnosis of fibromyalgia is now a rheumatologic diagnosis, based on symptoms including chronic widespread pain and nonrestorative sleep. As fibromyalgia is a highly comorbid disease, it questions about nosographic identity. Diagnosing psychiatric comorbidity: It is important for the clinician to look for symptoms of depression that are not traditionally comorbid with fibromyalgia: suicidal ideation, anhedonia, self-blame, eating disorders and psychomotor retardation. An anxiety disorder is often secondary to the onset of symptoms, and can sometimes precede the onset of fibromyalgia syndrome. The vast majority of patients with fibromyalgia have a history of traumatic life events. Pharmacological treatments: The medical treatment to the fibromyalgia syndrome is not necessarily a drug. Treatment of fibromyalgia is currently not the subject to marketing authorization in France and Europe. Pregabalin, duloxetine and milnacipran received marketing authorization for treatment of fibromyalgia in the US, but none have proven effective in the long term. Fibromyalgia, therefore, requires multidisciplinary support from rheumatologists (who make the diagnosis), general practitioners (who guide and advise patients), medical pain specialists and psychiatrists for the treatment of comorbidities. To cite this journal: Psychiatr. Sci. Hum. Neurosci. □□ (□□□□).

2

Keywords Fibromyalgia · Pain · Hysteria · Antidepressants · Cognitive behavioral therapy · Catastrophism · Kinesiophobia · Major depression · Comorbidities · Posttraumatic stress disorder

Psychiatr. Sci. Hum. Neurosci.

trouble sur la vie entière entre 1,4 et 2,2 %. Le sex-ratio est de sept femmes pour un homme, les symptômes apparaissent habituellement entre 30 et 50 ans, 90 % des patients ont moins de 60 ans [27]. Ces chiffres sont corroborés par les études internationales [4,20,21].

Débat concernant la fibromyalgie La fibromyalgie est paradigmatique du débat qui agite notre société depuis un demi-siècle concernant l’apparition de nouveaux diagnostics. La fibromyalgie fait en effet l’objet aux États-Unis de polémiques si animées qu’elles ont été baptisées « The Fibromyalgia Wars ». En France, cette maladie énigmatique a conduit à la publication d’un rapport de la Haute Autorité de santé à la demande des médecins aussi bien que des patients [27]. La fibromyalgie a été décrite bien avant que Smythe et Moldofsky, deux auteurs canadiens, ne lui donnent son nom actuel en 1977 [35] : le neurologue anglais William Gower avait en effet proposé le terme de « fibrosite » (fibrositis) dans le British medical journal en 1904. D’autres noms, comme la neurasthénie, le rhumatisme musculaire et le syndrome polyalgique idiopathique diffus (SPID), n’ont pas été retenus. Pour les « fibrosceptiques », la fibromyalgie s’inscrit dans la lignée des « maladies construites » (disease mongering) au même titre que la phobie sociale, l’hyperactivité avec déficit de l’attention, la dyscalculie, le syndrome du côlon irritable ou d’autres syndromes dits « fonctionnels ». Les défenseurs de cette position dénoncent des manipulations de l’industrie pharmaceutique et des lobbies associatifs qui décident de l’entrée ou de la sortie de maladies psychiatriques des manuels de classification. Une théorie psychanalytique propose la fibromyalgie comme la présentation moderne de l’hystérie remplaçant les convulsions pseudoépileptiques décrites par Charcot au XIXe siècle, cela étant étayé par la prédominance féminine du trouble. La neurasthénie a également été évoquée tant sa description par le psychiatre newyorkais Georges Beard au XIXe siècle peut sembler proche du syndrome fibromyalgique [27]. Le débat entourant la fibromyalgie consiste à définir s’il s’agit d’une maladie (disease) correspondant à un changement pathologique dans le corps ou un syndrome (illness) représentant la fin d’un continuum de réactions à un environnement stressant et/ou à une situation de détresse psychologique se manifestant par des douleurs généralisées.

Diagnostic La fibromyalgie est, depuis 2006, identifiée comme entité autonome dans la Classification internationale des maladies, dixième révision (CIM 10 de l’Organisation mondiale de la santé [OMS] sous le code M79.7). Elle correspond au trouble somatoforme douloureux dans le DSM-IV-R [34]. Le diagnostic de fibromyalgie est aujourd’hui un diagnostic rhumatologique qui repose sur un syndrome cardinal associant des douleurs permanentes diffuses, une fatigabilité et un sommeil vécu comme non réparateur. La douleur peut parfois prendre la forme d’une hyperalgésie ou d’une allodynie (déclenchement d’une douleur provoquée par un stimulus normalement non douloureux) aggravée par l’effort, le froid, les émotions, l’humidité, le manque de sommeil et s’accompagnant d’une raideur matinale [27]. Le diagnostic proposé par l’Association américaine de rhumatologie (ACR) comportait initialement la pression de 18 points dont 11 devaient être douloureux [41]. Ces points ne sont pas toujours présents chez les patients fibromyalgiques, sont inconsistants d’un examen à l’autre et sont notamment majorés par l’anxiété : une étude récente [40] a en effet démontré qu’en pratique le diagnostic est établi souvent sur les symptômes exprimés par le patient et non sur la présence des critères de 1990 de l’ACR. Pour des raisons de commodité, de nouveaux critères diagnostiques ont donc été validés, associés à une échelle de sévérité, pour poser le diagnostic de fibromyalgie [41]. La WPI (Widespread Pain Index) évalue par autoquestionnaire la douleur au niveau de 19 points (score de 0 à 19). Ce score est combiné à un score de sévérité des symptômes (Symptom Severity [SS] Scale Score) comportant :



• Épidémiologie Une seule étude a relevé la prévalence du syndrome fibromyalgique en France [3]. Elle estime la prévalence du

d’une part, trois symptômes les plus souvent rapportés dans la littérature en plus de la douleur et exclus jusqu’à présent des critères de l’ACR : la fatigue, la sensation de non-repos au réveil et l’existence de symptômes cognitifs (chacun de ces trois symptômes est quantifié de 0 « pas de problème » à 3 « sévère ») ; d’autre part, une longue liste de symptômes somatiques divers dont la quantité est quantifiée de 0 « pas de symptômes » à 3 « beaucoup de symptômes ».

Le SS Scale Score correspond à la somme de chacun de ces quatre scores (score final allant de 0 à 12).

Psychiatr. Sci. Hum. Neurosci.

Selon cette étude, un patient satisfait aux critères diagnostiques de fibromyalgie si les trois conditions suivantes sont réunies :

• • •

WPI supérieur ou égal à 7 et SS Scale Score supérieur ou égal à 5 ou bien WPI entre 3 et 6 et SS Scale Score supérieur ou égal 9 ; présence des symptômes à même intensité depuis au moins trois mois ; absence d’une autre maladie qui pourrait expliquer la douleur.

Il n’existe pas de gold standard pour poser le diagnostic de fibromyalgie, et le fait qu’il n’y ait pas d’anomalies radiologiques ou biologiques liées à la douleur jette un doute sur la scientificité des diagnostics posés sur la pression des points douloureux. La fibromyalgie interroge sur son identité nosographique, car il s’agit d’une maladie extrêmement comorbide : on retrouve associés au syndrome fibromyalgique le syndrome de fatigue chronique, le syndrome douloureux de l’articulation temporomandibulaire (Sadam), le syndrome du côlon irritable, les céphalées chroniques, les cystites interstitielles, les douleurs pelviennes chroniques, le syndrome postcoup de fouet cervical, la vulvodynie [11] ainsi que les pathologies psychiatriques que nous allons détailler par la suite. Tous ces syndromes fonctionnels ont en commun : une prédominance féminine, une comorbidité anxiodépressive importante et l’existence d’événements de vie difficiles, voire traumatiques, dans la biographie.

Pronostic On connaît mal l’évolution du syndrome fibromyalgique et celle-ci peut revêtir différentes modalités : aggravation ou stabilisation avec les années, amélioration à long terme [27]. Un tiers des patients en médecine de ville resteraient symptomatiques à deux ans, contrairement au sentiment hospitalier fréquent de la persistance indéfinie des symptômes probablement lié au biais de recrutement [27].

Pistes physiopathologiques Les explications biomédicales contemporaines mettent l’accent sur un dérèglement de la perception de la douleur au niveau du système nerveux central [13,14,20,21]. Cependant, on ne sait pas si les anomalies observées sont la cause ou la conséquence de la douleur [5]. Des pistes génétiques ont été également évoquées et montreraient un lien avec les troubles de l’humeur [7]. Il est possible que des maladies infectieuses soient impliquées dans le déclenchement de symptômes fibro-

3

myalgiques, comme la borréliose de Lyme, mais son traitement n’amende pas les symptômes fibromyalgiques [22]. La recherche du virus de l’hépatite C n’est pas recommandée en dehors des sujets à risque [24]. La prévalence du syndrome fibromyalgique au cours d’une connectivite telle que le lupus érythémateux disséminé, la polyarthrite rhumatoïde ou le syndrome de Goujerot-Sjögren serait de l’ordre de 20 à 30 % [10]. L’auto-immunité thyroïdienne est également associée à la fibromyalgie [30]. Des anticorps antisérotonine ont été mis en évidence chez 20 % des fibromyalgiques versus 5 % des témoins, mais cet examen s’est révélé être sans valeur diagnostique [38]. Certaines cytokines sécrétées en excès, comme l’IL-8, pourraient jouer un rôle dans la genèse des douleurs [16]. Les traumatismes physiques semblent jouer un rôle important dans le déclenchement de la fibromyalgie : environ un quart des fibromyalgies sont déclenchées par un traumatisme physique, une chirurgie ou une maladie [15]. Une étude a montré que des lésions mineures du rachis cervical étaient suivies de 13 fois plus de fibromyalgies que les fractures de jambe (22 versus 1,5 %), ce qui constitue une piste physiopathologique intéressante pour comprendre les mécanismes d’apparition du syndrome fibromyalgique [6].

Diagnostic des comorbidités psychiatriques Les psychiatres sont interpellés par leurs confrères rhumatologues et généralistes à plusieurs titres. Le premier motif de consultation psychiatrique est la question de l’existence d’un épisode dépressif majeur. La question qui se pose en effet est de savoir si le patient souffre d’une authentique dépression comorbide ou s’il est face à des symptômes que la fibromyalgie partage avec la dépression, les symptômes dépressifs étant très fréquemment comorbides — sans appartenir aux critères diagnostiques — (Fig. 1) : les troubles dépressifs représenteraient en effet le syndrome associé au syndrome fibromyalgique le plus important en fréquence : il concernerait environ 60 % des patients [27]. Nous proposons sur la Figure 1 de différencier les symptômes dépressifs fréquemment associés à la fibromyalgie des symptômes dépressifs atypiques dans la fibromyalgie qui attireront l’attention du psychiatre sur l’existence d’un épisode dépressif majeur à traiter et à prendre en charge en plus du traitement de la fibromyalgie. Il est donc important pour le clinicien de rechercher les symptômes dépressifs qui n’appartiennent pas classiquement à la fibromyalgie : permanence des idées dépressives, idées suicidaires, anhédonie, autoaccusation, troubles du comportement alimentaire, ralentissement psychomoteur. Un trouble anxieux apparaît fréquemment, secondairement à l’apparition des symptômes, et peut parfois précéder

4

Psychiatr. Sci. Hum. Neurosci.

Fig. 1 Chevauchement des symptômes de la fibromyalgie et de la dépression

l’apparition du syndrome fibromyalgique. Plusieurs études ont notamment rapporté un taux plus élevé d’état de stress post-traumatique (ESPT) chez les patients fibromyalgiques [9,29,32]. Plusieurs hypothèses liant les deux pathologies ont été proposées : la fibromyalgie serait une forme somatisée de l’ESPT, l’ESPT serait un facteur de risque de fibromyalgie ou l’inverse, une étude ayant rapporté un taux trois fois plus élevé de survenue d’ESPT chez les patientes souffrant antérieurement de fibromyalgie [29], enfin la fibromyalgie et l’ESPT répondraient à des facteurs communs de vulnérabilité, notamment certains traits de personnalité. La question des schémas de pensée des patients souffrant de fibromyalgie a été souvent évoquée, sans que la littérature puisse trancher sur le fait qu’il s’agisse de facteurs prédisposant ou de la conséquence d’un stress prolongé. Le trait le plus caractéristique des patients souffrant de fibromyalgie semble être le catastrophisme. Ce terme désigne l’incapacité à faire face aux événements difficiles (défaut de coping). Plusieurs stratégies ont en effet été décrites pour faire face de manière adaptée à la fibromyalgie : stratégie combative (lutte contre la douleur, priorité donnée au travail), stratégie adaptative (adapter l’emploi du temps aux symptômes), stratégie désespérée (perte de l’image de soi entraînant l’incapa-

cité à faire face) et enfin la capitulation (restriction majeure des activités de la vie quotidienne, alitement). La kinésiophobie ou évitement des mouvements douloureux, en limitant l’activité des patients, peut être source de déconditionnement physique, est fréquemment observée et constitue l’une des cibles des thérapies cognitives ou physiothérapiques de la fibromyalgie [7]. La grande majorité des patients souffrant de fibromyalgie ont un antécédent d’événement de vie traumatique (maltraitance physique ou psychique, abus sexuel, interruption thérapeutique de grossesse…). Une hypothèse est que la fibromyalgie s’intègre au sein des maladies psychiatriques développées secondairement suite à un traumatisme, qui en fonction de la vulnérabilité génétique ou psychologique des patients et de leur vécu de cet événement peut conduire à l’apparition, avec un délai de latence, d’un épisode dépressif majeur, d’un syndrome de stress post-traumatique, d’un trouble panique ou d’une fibromyalgie (Fig. 2). Nous proposons sur la Figure 2 une hypothèse de travail sur les évolutions psychopathologiques possibles d’un sujet exposé à un psychotraumatisme en fonction de son terrain génétique, de son environnement et de sa biographie. Ce modèle reste à valider par des études prospectives.

Psychiatr. Sci. Hum. Neurosci.

5

Probables mécanismes communs Individu vulnérable

Anomalies neurobiologiques

Exposion à un « stress » ou à des traumasmes incontrôlables

Facteurs généques

ATCD Familiaux psychiatriques Traits de personnalité

Tendance au CATASTROPHISME « je suis sans moyen devant un stress, je ne pourrais pas le contrôler » Environnement caractérisé par un manque de support/senment d’absence de contrôle

Douleurs

Fibromyalgie

Nouveau traumasme

ESPT

Découragement

Symptômes fonconnels

Dépression

Trouble panique

Fig. 2 Modélisation d’un mécanisme étiologique commun dans le déclenchement de troubles psychiatriques de type « névrotique » ESPT : état de stress post-traumatique.

Traitements pharmacologiques La réponse médicale au syndrome fibromyalgique n’est pas forcément médicamenteuse.

Le nombre de prescriptions médicamenteuses dans cette indication a augmenté de 37 % en France entre 2008 et 2009 [27], prescription faite par un médecin généraliste dans 80 % des cas. Le pourcentage de prescription émanant du

6

psychiatre varie de 5 à 9 % selon les années, 15 % pour les rhumatologues. Le syndrome fibromyalgique a fait l’objet d’un nombre considérable de tentatives thérapeutiques qui ont donné lieu à des résultats incertains et non confirmés, notamment concernant les anti-inflammatoires non stéroïdiens, les corticostéroïdes, les anxiolytiques, les hypnotiques et les myorelaxants [27]. Les résultats des études sont limités de plus au court terme. Les antalgiques représentent la classe la plus prescrite, chez environ 30 % des patients [27]. Les antidépresseurs sont prescrits dans 20 % des cas, les antiépileptiques dans 15 %, les anxiolytiques–hypnotiques dans moins de 10 % des cas. La prescription d’antalgiques doit se limiter aux antalgiques de niveau 1 pour éviter l’escalade médicamenteuse, les opiacés ne sont indiqués que dans les cas exceptionnels [27]. Le tramadol a un effet agoniste modéré sur les récepteurs µ opioïdes (ils agissent sur les douleurs par excès de nociception) et a également une action d’inhibition de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (et aurait ainsi une action sur les douleurs neuropathiques). La coprescription de tramadol et d’inhibiteur de la recapture de sérotonine peut cependant entraîner l’apparition d’un syndrome sérotoninergique. Le traitement de la fibromyalgie ne fait pas aujourd’hui l’objet d’une AMM en France et en Europe. En termes de fréquence, la prescription d’antidépresseurs suit tout juste la prescription d’antalgique. La Ligue européenne contre les rhumatismes (EULAR) recommande en 2007 leur prescription d’antidépresseurs pour diminuer la douleur et améliorer les capacités fonctionnelles (grade A selon l’EULAR) [8]. Une méta-analyse récente décrit l’efficacité antalgique des antidépresseurs, indépendamment de leurs propriétés antidépressives, mais aucun d’entre eux n’a cependant apporté la preuve d’une efficacité au long cours dans la fibromyalgie [31]. La duloxétine et le milnacipran ont reçu l’AMM respectivement en 2008 et 2009 dans cette indication aux États-Unis. En France, l’amitryptiline est l’antidépresseur le plus prescrit depuis les années 1980 chez les patients souffrant de fibromyalgie, à la posologie de 25 à 50 mg le soir (i.e. à posologie plus faible que dans la dépression), il réduit la douleur, l’insomnie et la fatigue. C’est l’antidépresseur de choix dans les recommandations allemandes dans cette indication [17]. La présence d’idées suicidaires attirera l’attention du praticien, le surdosage en amitryptiline pouvant être fatal. La prégabaline a été le premier médicament à obtenir l’AMM aux États-Unis en 2007 alors qu’elle lui avait été refusée par deux fois par les autorités européennes, d’une part pour le faible niveau de preuve de son efficacité (en 2004 et 2009), mais d’autre part pour l’apparition d’idées suicidaires de novo. Ce médicament a été développé initialement dans le traitement des douleurs neuropathiques (par exemple diabé-

Psychiatr. Sci. Hum. Neurosci.

tique) et en traitement adjuvant de l’épilepsie. L’EULAR recommande en grade A la prescription de prégabaline pour diminuer la douleur dans le syndrome fibromyalgique en se basant sur une seule étude [8]. Les recommandations allemandes le placent en grade B ; elles se basent sur une méta-analyse mettant en évidence une réduction de la douleur, une amélioration du sommeil et de la qualité de vie [18]. Les myorelaxants benzodiazépiniques n’ont pas d’effets antalgiques, et la prescription de clonazépam, dans cette indication, fait à présent l’objet d’un contrôle visant à en restreindre l’utilisation abusive [27].

Psychothérapie cognitive et comportementale Les patients fibromyalgiques sont réputés difficiles, exigeants. Ils mettent en difficulté les médecins par leurs plaintes persistantes et la chronicité de leurs troubles. La qualité de la relation thérapeutique dépend en grande partie de la représentation que le médecin se fait de la maladie : Stone et McCloy publiaient en 2004 une étude où 93 % des médecins pensaient que c’était « dans la tête », 52 % que c’était « hystérique » et 42 % « psychosomatique » [36]. Mais le diagnostic d’hystérie peut aussi cacher l’impuissance du médecin face à des troubles chroniques, difficiles à traiter et qui induisent une souffrance non comprise, elle-même génératrice d’une surenchère symptomatique. Par ailleurs, la conversion hystérique fait l’objet, dans les classifications actuelles, d’une définition beaucoup plus restreinte. La thérapie cognitive et comportementale n’a démontré qu’une efficacité modeste dans le traitement de la fibromyalgie : elle ne semble pas avoir d’effet sur la douleur et le sommeil. En revanche, elle semble pouvoir améliorer le sentiment d’efficacité personnelle, et donc l’amélioration des traits de personnalité catastrophistes. Les patients souffrant de fibromyalgie ont souvent besoin d’une grande écoute, ce qui demande au praticien une grande disponibilité. La thérapie cognitive peut être associée ou non à des exercices physiques progressifs en durée et en intensité, suivant le modèle de l’exposition des troubles anxieux, avec un calendrier personnel d’activité. La psychothérapie peut s’accompagner de kinésithérapie, de relaxation, de méditation, de yoga, de tai-chi, d’acupuncture, de musicothérapie [37]. La neurostimulation par stimulation magnétique transcrânienne (rTMS) est en cours d’évaluation dans l’indication du syndrome fibromyalgique [22].

Associations de patients Les associations de patients (par exemple FibromyalgieFrance) demandent une meilleure prise en considération

Psychiatr. Sci. Hum. Neurosci.

du syndrome fibromyalgique, un droit à l’écoute de la plainte du patient par les médecins, un droit à des soins appropriés, une démarche claire pour établir un diagnostic et éliminer d’autres diagnostics, identifier l’impact sur la vie quotidienne, la reconnaissance du caractère invalidant du syndrome fibromyalgique, la proposition d’un traitement médical et paramédical adapté et une meilleure formation des professionnels de santé [27]. Aux États-Unis, les associations ont été très actives dans la diffusion du débat dans le milieu public et dans le lobbying auprès du Congrès américain et du National Institute for Health [27]. La fibromyalgie est à notre sens une maladie avant tout rhumatologique à laquelle s’ajoutent de nombreuses comorbidités psychiatriques dont les liens restent à clarifier. La fibromyalgie nécessite donc une prise en charge multidisciplinaire étroite entre les rhumatologues (à qui revient le diagnostic), les médecins généralistes (qui orientent et conseillent les patients), les médecins spécialistes de la douleur et enfin les psychiatres, dont les missions, comme nous l’avons vu, sont variées : dépistage d’une comorbidité (épisode dépressif majeur, anxiété, trouble de la personnalité, addictions), prise en charge psychothérapique sur certains traits de personnalité favorisant l’évitement et l’aggravation du retentissement fonctionnel de la fibromyalgie.

7

10.

11. 12. 13.

14.

15. 16. 17.

18.

19.

20.

21.

Conflit d’intérêt : les auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêt.

Références 1. Ablin JN, Cohen H, Buskila D (2006) Mechanisms of disease: genetics of fibromyalgia. Nat Clin Pract Rheumatol 2(12):671–8 2. Académie nationale de médecine, Menkès CJ, Godeau P (2007) La fibromyalgie. Rapport Bull Acad Natl Med 191(1):143–8 3. Bannwarth B, Blotman F, Roué-Le Lay K, et al (2009) Fibromyalgia syndrome in the general population of France: a prevalence study. Joint Bone Spine 76(2):184–7 4. Branco JC, Bannwarth B, Failde I, et al (2010) Prevalence of fibromyalgia: a survey in five European countries. Semin Arthritis Rheum 39(6):448–53. Epub 2009 Feb 27 5. Burgmer M, Pogatzki-Zahn E, Gaubitz M, et al (2009) Altered brain activity during pain processing in fibromyalgia. Neuroimage 44(2):502–8 6. Buskila D, Neumann L, Vaisberg G, et al (1997) Increased rates of fibromyalgia following cervical spine injury. A controlled study of 161 cases of traumatic injury. Arthritis Rheum Mar 40(3):446–52 7. Capdevielle D, Michot C, Boulenger JP (2006) Fibromyalgie et psychiatrie. In: Blotman F, Branco J (eds) La fibromyalgie : la douleur au quotidien. Privat, Toulouse, pp 139–76 8. Carville SF, Rendt-Nielsen S, Bliddal H, et al (2007) EULAR evidence based recommendations for the management of fibromyalgia syndrome. Ann Rheum Dis [revue en ligne] 9. Cohen H, Buskila D, Neumann L, et al (2002) Confirmation of an association between fibromyalgia and serotonin transporter

22.

23.

24.

25. 26.

27.

28. 29.

30.

31.

promoter region (5-HTTLPR) polymorphism, and relationship to anxiety-related personality traits. Arthritis Rheum 46(3):845–7 Crofford LJ, Clauw DJ (2002) Fibromyalgia: where are we a decade after the American College of Rheumatology classification criteria were developed? Arthritis Rheum 46(5):1136–8 Diatchenko L, Nackley AG, Slade GD, et al (2006) Idiopathic pain disorders–pathways of vulnerability. Pain 123(3):226–30 Dinerman H, Steere AC (1992) Lyme disease associated with fibromyalgia. Ann Intern Med 117(4):281–5 Ensen KB, Kosek E, Petzke F, et al (2009) Evidence of dysfunctional pain inhibition in Fibromyalgia reflected in rACC during provoked pain. Pain 144(1–2):95–100 Gracely RH, Petzke F, Wolf JM, et al (2002) Functional magnetic resonance imaging evidence of augmented pain processing in fibromyalgia. Arthritis Rheum 46(5):1333–43 Greenfield S, Fitzcharles MA, Esdaile JM (1992) Reactive fibromyalgia syndrome. Arthritis Rheum 35(6):678–81 Gür A, Karakoç M, Nas K, et al (2002) Cytokines and depression in cases with fibromyalgia. J Rheumatol 29(2):358–61 Häuser W, Bernardy K, Uceyler N, Sommer C (2009) Treatment of fibromyalgia syndrome with gabapentin and pregabalin: a metaanalysis of randomized controlled trials. Pain 145(1–2):69–81 Häuser W, Eich W, Herrmann M, et al (2009) Fibromyalgia syndrome: classification, diagnosis, and treatment. Dtsch Arztebl Int 106(23):383–91 Hudson JI, Arnold LM, Keck PE Jr, et al (2004) Family study of fibromyalgia and affective spectrum disorder. Biol Psychiatry 56 (11):884–91 Mease P (2005) Fibromyalgia syndrome: review of clinical presentation, pathogenesis, outcome measures and treatment. J Rheumatol 32(75):6–17 Mease P (2005) Fibromyalgia syndrome: review of clinical presentation, pathogenesis, outcome measures, and treatment. J Rheumatol 75(Suppl):6–21 Mendonca ME, Santana MB, Baptista AF, et al (2011) Transcranial DC stimulation in fibromyalgia: optimized cortical target supported by high–resolution computational models. J Pain 12(5):610–7 Moynihan R, Heath I, Henry D (2002) Selling sickness: the pharmaceutical industry and disease mongering. BMJ 2002 324 (7342):886–91 Narváez J, Nolla JM, Valverde-García J (2005) Lack of association of fibromyalgia with hepatitis C virus infection. J Rheumatol 32(6):1118–21 Paccaud F (2007) Implausible diseases and public health. Eur J Public Health 17(5):410 Passard A, Attal N, Benadhira R, et al (2007) Effects of unilateral repetitive transcranial magnetic stimulation of the motor cortex on chronic widespread pain in fibromyalgia. Brain 130(Pt 10): 2661–70 Pauchet-Traversat AF, Nacu A (2010) Syndrome fibromyalgique de l’adulte, rapport d’orientation de la Haute Autorité de santé (HAS), en ligne uniquement sur : http://www.has-sante.fr/ portail/upload/docs/application/pdf/2010-10/syndrome_fibromyalgique_de_ladulte_-_rapport_dorientation.pdf Payer L (1992) Disease-mongers: how doctors, drug companies, and insurers are making you feel sick. John Wiley & Sons, New York Raphael KG, Janal MN, Nayak S (2004) Comorbidity of fibromyalgia and posttraumatic stress disorder symptoms in a community sample of women. Pain Med 5(1):33–41 Ribeiro LS, Proietti FA (2004) Interrelations between fibromyalgia, thyroid autoantibodies, and depression. J Rheumatol 31 (10):2036–40 Roskell NS, Beard SM, Zhao Y, Le TK (2010) A meta-analysis of pain response in the treatment of fibromyalgia. Pain Pract doi:10.1111/j.1533-2500. 00441

8 32. Sherman JJ, Turk DC, Okifuji A (2000) Prevalence and impact of posttraumatic stress disorder-like symptoms on patients with fibromyalgia syndrome. Clin J Pain 16(2):127–34 33. Smith R (2002) In search of “non-disease”. BMJ 324(7342):883–5 34. Smith R, Gardiner J, Lyles J, et al (2005) Exploration of DSM-IV criteria in primary care patients with medically unexplained symptoms. Psychosom Med 67(1):123–9 35. Smythe HA, Moldofsky H (1977) Two contributions to understanding of the “fibrositis” syndrome. Bull Rheum Dis 28(1):928–31 36. Stone R, McCloy R (2004) Ergonomics in medicine and surgery. BMJ 328(7448):1115–8. Review 37. Thomas EN, Blotman F (2010) Aerobic exercise in fibromyalgia: a practical review. Rheumatol Int 30(9):1143–50

Psychiatr. Sci. Hum. Neurosci. 38. Werle E, Fischer HP, Müller A, et al (2001) Antibodies against serotonin have no diagnostic relevance in patients with fibromyalgia syndrome. J Rheumatol 28(3):595–600 39. Wolfe F (2003) Stop using the American College of Rheumatology criteria in the clinic. J Rheumatol 30(8):1671–2 40. Wolfe F, Clauw DJ, Fitzcharles MA, et al (2010) The American College of Rheumatology Preliminary diagnostic criteria for fibromyalgia and measurement of symptom severity. Arthritis Care Res 62(5):600–10 41. Wolfe F, Smythe HA, Yunus MB, et al (1990) The American College of Rheumatology. Criteria for the classification of fibromyalgia. Report of the multicenter criteria committee. Arthritis Rheum 33(2):160–72

Lihat lebih banyak...

Comentários

Copyright © 2017 DADOSPDF Inc.