Le vital : Aspects physiques, aspects métaphysiques

Share Embed


Descrição do Produto

Paul-Antoine Miquel Le vital : Aspects physiques, aspects métaphysiques Broché 
18 janvier 2011 (Philosophie en cours). Un vol. de 162 p. Paris, Kimé, 2011. Prix: 20 /. ISBN 978-2-84174-539-5.

Dans son célèbre ouvrage de 1970, François Jacob assurait à son lecteur « qu'on n'interroge plus la vie dans les laboratoires ». Il tentait en même temps pourtant d'y fonder les principes d'une « connaissance du vivant », enfermant ainsi la réflexion philosophique dans un cercle inextricable: comment donc s'y prendre pour caractériser la différence entre le vivant et le non vivant, sans avoir recours à la vie?

Dans le prolongement de la réflexion que je mène depuis quelques années, ce livre tente de lever ce paradoxe en défendant les principes d'une « approche physique étendue » du vital qui rejette pourtant toute forme de métaphysique physicaliste, celle qui nous laisse croire qu'on peut tirer de la science ces deux affirmations ahurissantes: « le monde physique est complet » et « il est clôturé causalement »

Préface :

Paul-Antoine Miquel est un philosophe de l'ouverture, mais aussi de l'ancrage de la philosophie dans la matière et la vie, et les sciences qui l'explorent. Ouverture, car pour lui si la philosophie existe, c'est qu'échouent les tentatives scientifiques et autres pour réduire notre pensée à un système fermé et qu'on puisse décrire de manière complète. Les systèmes qui nous intéressent, entre autres parce qu'ils permettent la vie, sont des systèmes ouverts. La science peut supposer la complétude de ses descriptions, mais tout scientifique qui philosophe sur sn travail sait bien que c'est par commodité temporaire.
Ce sur quoi s'ouvre un système peut se nommer le monde. Être du monde, pour Miquel, c'est arriver à stabiliser un système dans le monde, et ce n'est pas possible si les conditions offertes par le monde ne présentent pas de changement important. Être au monde, c'est rendre compte de cette ouverture du système sur le monde.
Il est cependant hors de question que le philosophe ne déploie qu'une activité spéculative qui soit hors du système, qui prétende vaticiner sur la transcendance du monde et de son ouverture. Cette activité aurait perdu ses ancrages, et le philosophe n'aurait plus de répondant pour pouvoir montrer l'ouverture qu'il prétendrait magnifier. Le discours philosophique n'existe que par différence et relativement à cette dualité système/monde. S'il devient réductionniste, il s'élimine lui-même, et s'il devient spiritualiste, il se vide de sa substance.
Le philosophe qui veut penser cette ouverture au monde de systèmes du monde doit donc se libérer d'une philosophie de la conscience. Non que celle-ci ait eu tort de rappeler que les systèmes sont des constructions qui exigent des processus de représentation. Mais on ne peut la suivre quand elle voit dans la conscience une sorte de source et de fondement de ces processus qui reconstruirait le monde à partir de la perspective du sujet. Il faut alors, dit Miquel, revenir d'une philosophie de la conscience à une philosophie des objets, ceux-là qui, étant le résultat d'une rencontre entre nos processus de représentation et des devenirs concrets, ne peuvent se réduire à une perspective purement subjective.
Inversement, ces objets, il faut leur rendre leur dynamique. Miquel reprend l'idée profonde de Longo et Bailly : au lieu de penser la vie comme bornée par des transitions, par des seuils critiques, au sein d'un espace d'états possibles complet, il faut penser l'espace d'évolution des systèmes vivants comme lui-même critique, comme transitionnel. Dés lors la tâche du philosophe est de mettre l'accent sur ce qui, dans les sciences physiques et dans les sciences de la vie, nous montre que ce qui assure cet ancrage et cette ouverture, et qu'on a pu nommer Nature, ce sont les moments où les scientifiques eux-mêmes découvrent l'incomplétude de leur savoir, mais le découvrent de l'intérieur, non pas en le postulant ; où ils découvrent de la Nature et de ses modèles les dynamiques, les transformations critiques, et montrent que les rétroactions qui semblent fermer ces systèmes sur eux-mêmes sont en fait ce qui les engagent dans des irréversibilités et des imprévisibilités.
Miquel appuie cette philosophie de l'ouvert sur des auteurs qui en ont jeté les prémisses, et entre lesquels se rencontre une filiation : Bergson, Canguilhem, Simondon. Sa vision de Bergson est décapante. Elle consiste à ramener le dualisme apparent de Bergson à ce lien avec l'ouverture. Dans cette perspective, l'intelligence et la matière reprennent une place indispensable, l'élan vital se manifeste dans sa finitude, et si la perception est liée au mouvement, ce n'est pas simplement pour agir au plus commode. L'expérience métaphysique de l'intuition n'est plus directe, mais, paradoxalement indirecte. C'est lire Bergson à travers les questions d'aujourd'hui et trouver en lui des pistes de réponses qui soient moins dépendantes des idéologies de son époque.
En Canguilhem, Miquel trouve l'inspirateur de ce rapport de la philosophie aux matières scientifiques. Si la normativité du vivant pouvait chez cet auteur avoir quelques aspects qui auraient permis d'opposer explication scientifique et normatif, Miquel ramène cette tension à celle qui est propre au vivant, à l'interdépendance de ses fonctions. Cette interdépendance peut se jouer selon plusieurs régimes de stabilité et d'instabilité, la pathologique pouvant ainsi à la fois apparaître comme un nouveau régime, mais aussi comme une instabilité propre au vivant.
Cette instabilité peut elle-même présenter une structure différenciée (par exemple un changement de polarité dans un cristal) par rapport à son environnement, et cela dans un processus que Simondon nomme individuation, processus qui prend son essor avec la membrane, où la différence, le front-limite, se fait échangeur. L'individuation peut même intégrer de manière déphasée différents types de différenciation, d'individuel, ce qui ouvre des potentialités de jeu réflexifs ou de jeux entre individu et collectif ou espèce.

S'agit-il là de structures naturelles ou de structures de notre représentation ? On doit reconnaître que la perspective adoptée ne peut plus assurer de séparation ontologique entre les deux. Du coup, une fois reconstruites les potentialités réflexives à partir d'instabilités et de stabilisations de second ordre, il faut aussi inversement déconstruire et reconstruire le pôle subjectif. Pour ce faire, Miquel a recours à Barbaras, qui, partant de Merleau-Ponty, propose de suspendre l'époché qui nous ouvre le monde de l'immanence du vécu mais aussi nous y enferme. Mais, en cela Miquel diverge de la phénoménologie, il faut alors admettre que la conscience ne se constitue pas, ou plutôt que sa propre constitution passe par une hétéro-constitution. Inversement, cette hétéro-constitution doit conserver son ouverture, et ne pas se réduire à un englobement dans les constructions modélisatrices des processus du vivant. La perspective de la conscience introduit dans le monde l'ouverture de sa propre hétéro-constitution, car les possibilités de représentation sont toujours ouvertes. C'est ici une acception large du terme de perception qu'utilise Miquel, c'est celui d'une perception qui pourrait dans son ouverture au monde réviser ses propres schémas- donc celui d'une perception dans une dynamique de connaissance.
Ce livre devrait-il se conclure par une sorte d'ode à l'ouverture, sans cesse en différence par rapport aux stabilités, sans cesse re-formée ? Fidèle à sa position de philosophe dont la pensée n'existe que dans les bords actifs de recherches scientifiques, Miquel préfère revenir aux éléments proprement scientifiques qui peuvent montrer au sein des modèles physiques et des constructions logiques les germes de transformation des structures modélisées. Sur le thème des extensions d'une structure qui ne conservent pas toutes les propriétés de cette structure, mais en gagnent d'autres, il décline plusieurs exemples. Il s'intéresse, en sus du théorème d'incomplétude de Gödel, au « flambage », à la torsion que peut subir la chromatine, une fois un premier facteur de transcription fixé sur l'ADN. Cette torsion est le processus qui révèle et rend efficaces de nouvelles capacités de la structure initiale que celle-ci ne possédait pas sans cette déformation.
Faut-il y voir une métaphore des rapports entre science, philosophie, et monde ? Est-ce la philosophie qui peut faire « flamber » une structure scientifique en l'ouvrant au monde ? Ou ne seraient-ce pas plutôt les interactions entre les structures scientifiques innovantes et leur contexte de monde qui donnent lieu au discours philosophique ? On aura compris pourquoi dans cette approche, la philosophie est épistémologie : c'est dans l'épistémologie que devient manifeste que la philosophie ne se fonde pas sur elle-même, pas plus d'ailleurs que la science qu'elle étudie. Mais rendre cela manifeste, c'est le propre de la pensée du philosophe.

Pierre Livet

Critique :

Paul-Antoine MIQUEL, Le vital. Aspects physiques, aspects métaphysiques (Philosophie en cours). Un vol. de 162 p. Paris, Kimé, 2011. Prix: 20 /. ISBN 978-2-84174-539-5.

Revue Philosophique de Louvain 110(4), 739-805
Philosophie contemporaine p p 781-782 2012

Dans ce livre, Paul-Antoine Miquel, maître de conférences à l'Université de Nice, propose une synthèse autour du vital, entre sa lecture personnelle de Bergson et les problèmes actuels de philosophie de la biologie. Pour Paul-Antoine Miquel, la réflexion philosophique part de la pensée et c'est la science qui pose le problème de l'objet physique ou vital; mais cette même science est toujours incomplète, elle crée un espace de modèles toujours partiels et ouverts à un accomplissement, elle fait appel à «une exigence de penser le monde qui apparaît ainsi au cœur de la philosophie» (p. 30). La dualité entre une science positive et une philosophie subjectiviste, entre le «système objets» et le système conscience», demande de reposer clairement la nécessité d'une métaphysique et d'une philosophie de la nature. Les systèmes biologiques renvoient à la fois au-dedans et au- dehors, aux propriétés du système lui-même et à ses interactions avec le milieu, leur incomplétude demanderait une pensée du vital; ce que la science montre, «la non-substantialité du monde» réclame une réflexion philosophique (p. 37). Arrêtons-nous un instant: pour l'auteur, la philosophie n'a rien à dire sur le monde, mais elle viendrait comme une démarche constructive, postérieurement aux résultats scientifiques pour revoir et préciser leur sens dans une réflexion plus globale. C'est sans doute ici que nous apporterions une nuance à la pensée de l'auteur. Peut-on dire que la philosophie n'a rien à dire sur le réel? Pas si sûr... La philosophie de la nature et du vivant peut aussi poser des questions et chercher des propriétés accessibles à la réflexion philosophique de cet être particulier qui se dit en tant que sujet au mouvement, ou en tant que vivant. Nous serions moins affirmatifs sur le caractère postérieur de la philosophie à l'égard de la démarche scientifique, peut-être faut-il redécouvrir une relative autonomie de la philosophie qui n'est pas que phénoménologie, philosophie de la conscience, mais aussi philosophie de la nature.
Un intérêt de l'ouvrage est le retour constant à Bergson comme veine inspiratrice de cette réflexion sur le vital et sur ses conséquences biologiques. Ainsi, la philosophie bergsonienne de l'intuition cherche à se transcender elle-même en métaphysique. Il faut préciser ici que l'auteur demeure fidèle à Bergson quant à la dualité intelligence/intuition. Dans cette perspective, l'intuition s'exerce sur les états vécus à l'intérieur de la conscience et saisit finalement une durée dans une immanence; mais elle s'appuie aussi sur l'intelligence (scientifique) pour appréhender une durée extérieure au «Je» et articulée sur des faits, pour se mouvoir dans le réel. Cette autre façon de définir l'intuition rompt apparemment avec la tradition bergsonienne qui fait de l'intuition une opération spirituelle; mais n'est-ce pas tout simplement un autre usage de l'intuition, définie comme accès au monde extérieur et à son unité, en dialectique avec ce que Bergson nomme «l'intelligence» (cf. p. 47)? La difficulté réside surtout dans le fait de garder ici la définition bergsonienne de l'intuition et de l'intelligence. Ne vaudrait-il pas mieux chercher à cerner l'intelligence humaine à travers ses diverses opérations, dans une démarche analogique?
Le chapitre 3, intitulé «La théorie des deux ordres», est prétexte à réfuter le «projet ontologique d'Aristote» en tant que «système complet de la réalité», au sens où en parle Bergson dans La Pensée et le mouvant. L'intérêt de la demande de Miquel est cependant ici de reprendre toute la démarche de la «mise en ordre de la réalité» dans le livre de la métaphysique d'Aristote, pour tenter d'éclairer le sujet. Ce que Bergson refuse chez Aris- tote, c'est le mouvement de hiérarchisation voulu par la cause finale et ordonnant le possible, mouvement qualifié par Paul-Antoine Miquel de doctrinal. Ce qu'il propose, par la «métaphysique des deux ordres», c'est «un enchevêtrement des hiérarchies» et une approche métaphysique négatrice du possible. De fait, la pensée bergsonienne est une pensée du «plein» excluant le discontinu, le vide, le «simple possible» (p. 69), c'est ce que réfutera Bachelard. Et ce que propose Bergson semble bien mélanger, confondre, l'efficience et la finalité.
Outre Bergson, une autre source de la réflexion de Miquel dans ce livre est Canguilhem. L'auteur est évidemment connu pour avoir montré que la santé ne se définit qu'à l'égard de la maladie et qu'elle implique une normativité vécue par l'être vivant (cf. p. 78). La normativité est une caractéristique de la vie, Canguilhem pense cette normativité comme instituée par la vie. La physiologie est la science qui sert de fondement pour comprendre le passage de la normativité de l'état normal à l'institution d'une nouvelle norme, fragile et déviante, celle de l'état pathologique. La vie est alors une «polarisation normative», la santé n'est connue que par la maladie, le retour à l'état normal est l'objectif de la norme transitoire de l'état pathologique (p. 83). Après Bergson et Canguilhem, il est assez naturel que le troisième philosophe du XXe siècle convoqué dans cet essai soit Simondon. Chez cet auteur, la vie est «communicationnelle», elle implique à la fois l'individuation et la «présence à soi des parties au tout» (p. 100); l'individuation du vivant implique «des réseaux de communication, des effecteurs, des signaux et finalement des gènes» (p. 102). Il est intéressant qu'en conclusion, l'auteur débouche sur ce qu'il nomme «l'inhumanité du vital et la bipolarité du réel» (p. 104). Effectivement, si le vital n'est décrit et pensé qu'en termes de conditions d'équilibre ou en termes de propriété des systèmes biologiques, on comprend qu'il ne puisse nous parler de l'humain et qu'on retombe, à travers le monisme même de cette analyse, dans une bipolarité du réel. Le devenir serait ainsi à côté de l'être comme «la science est à côté du sens commun» (p. 130).
La science ne met donc en scène que des systèmes qui montrent quelque chose de ce qui apparaît dans le devenir vital. Le rejet de l'ontologie de l'immanence, telle que formalisée par la phénoménologie, conduit au fait de privilégier «cette irréductibilité de notre participation au monde de la nature» (p. 132) et de «dire que nous sommes du monde» (p. 133). Certes, la science n'atteint pas tout, mais il s'agira de «privilégier le point de vue du système sur celui des vécus» (p. 133). On voit ici comment le fait que la phénoménologie ait privilégié le vécu de la conscience et de l'immanence peut conduire dialectiquement à la réaction opposée, une insistance sur l'appréhension de l'être de l'homme à l'intérieur de systèmes naturels. En fait, tout cela conduit à décrire et à formaliser le système biologique qu'est l'organisme, d'un point de vue logique, en sortant du monde de la conscience; on pourrait dire qu'il s'agit de se concentrer sur le fait d'être dans un certain étant et non plus sur l'être lui-même. Mais cette sortie de la phénoménologie et finalement de la métaphysique pour penser le vital, pour intéressante qu'elle soit, résout-elle pour autant une autre irréductibilité, celle de la vie de notre esprit, celle qui fait que nous pensons, nous voulons et nous aimons humainement et pas seulement comme si ces activités n'étaient qu'une émergence de systèmes physico-biologiques?

Olivier PERRU

Lihat lebih banyak...

Comentários

Copyright © 2017 DADOSPDF Inc.