Offensive de printemps

June 2, 2017 | Autor: Jacob Rogozinski | Categoria: Radical Democracy
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Offensive de printemps en Sibérie Occidentale Ce matin, E. a une nouvelle fois voté contre la grève. L'AG du département de philosophie se réunissait, comme tous les lundis matin depuis le début du mouvement, dans la salle occupée du Portique. Aux murs, les affiches dessinées par les étudiants, une chouette de Minerve crucifiée, un belliqueux Socrate à la Kalachnikov s'affrontant à un Nietzsche armé de nunchakus. La "cafét' autogérée Épicure" propose du thé, des bretzels et des petits gâteaux. À chaque AG, notre jeune collègue E. prend calmement la parole pour expliquer pourquoi il trouve le mouvement légitime, mais s'oppose à la grève comme moyen d'action. La cinquantaine d'étudiants et la poignée de profs présents l'écoutent avec attention, presque affectueusement, puis la grève avec occupation est reconduite à 56 voix contre une (et quelques abstentions). Aujourd'hui, E. semble avoir un nouvel argument à faire valoir. "Il y a quelque chose qui ne va pas dans ce mouvement : tout le monde est joyeux. Dans chaque manif, il y a un orchestre et des clowns; on fait la fête, c'est l'homo festivus. Il manque quelque chose". Que lui manque-t-il donc? J'ai envie de l'interpeller : tu préférerais que le sang coule? Je me tais, tout le monde se tait. La grève est reconduite à 56 voix contre une. Et s'il avait raison? Nous sommes tellement heureux de voir que tout se passe bien. Aucun débordement. Aucune dégradation, pendant l'occupation du bâtiment central. Les slogans sont écrits sur de grands panneaux de cartons, on pourra les enlever plus facilement quand la fête sera finie. Il y a trois ans, lors du mouvement contre le CPE, les étudiants occupants avaient laissé entrer les clodos de l'Esplanade et leurs chiens. Pisse et merde dans les couloirs. L'alcool coulait à flots (avec quelques autres substances). Bilan : un mort (crise éthylique? overdose? allez savoir…). Cette fois, le Comité de Lutte a fait voter une "charte de l'occupation" et filtré les entrées. Les clodos sont raccompagnés poliment vers la sortie. On balaye tous les matins, l'alcool est sévèrement rationné, il y a même un "comité anti-sexiste" pour protéger les filles des dragueurs pendant les nuits froides de la fac occupée. Nous admirons tous l'inventivité du mouvement, les cours "hors-les-murs", dans le tram ou à la Poste, le bataillon de clowns et la batacuda, la fanfare étudiante en tête des manifs ou cette "ronde des obstinés" qui tourne inlassablement à Paris. "Impossible d'emprisonner un nez rouge", écrivait l'autre jour un magazine. La nouvelle contestation tire, paraît-il, toute sa force de sa dimension carnavalesque. On ne lance plus des pavés sur les flics, mais des quolibets, au pire des œufs, comme un jour de Mardi Gras. C'est d'ailleurs le temps du Carnaval : mercredi 11 mars, notre manif passait rue des Grandes Arcades, précédée de 1

ses clowns. Le dimanche suivant, c'était le tour des chars du Carnaval municipal, avec leurs bataillons de sorcières. Et si c'était une imposture? Une pantomime, une simulation d'action, comme il y a des simulateurs de vol? Si nous étions en train de jouer à la grève, mais une grève sans jaunes et sans briseurs de grève (ou presque, mais les étudiants "anti-bloqueurs" font maintenant partie du folklore estudiantin), sans milices patronales et même sans retenue de salaire? Ce qui ne vaut pas seulement pour l'Université. Branle-bas dans les médias lorsque des ouvriers un peu échauffés "séquestrent" un patron-voyou pendant quelques heures, certes sans le molester. Mais où sont-elles les grèves d'antan, les sanglantes batailles célébrées par Zola ou Eisenstein? Ce que suggère l'ami E., c'est ce que même les plus radicaux n'osent plus énoncer. "Dans le livre de l'Histoire, les seules pages de bonheur sont des pages blanches". Ce qui veut dire que l'on n'y n'écrit jamais qu'avec du sang. On connaît l'anecdote : en mai 68, quelqu'un (Lacan? Raymond Aron? peu importe) téléphone au vieux maître Kojève qui habitait alors New-York : "c'est la révolution en France, les usines sont occupées, il y a des barricades au Quartier Latin. – Combien de morts? lui demande le Sage – Pas de morts. – Alors, il ne s'est rien passé", et il lui raccroche au nez. Tout se passe bien, donc il ne s'est rien passé. Presque rien, un lycéen de 17 ans noyé dans la Seine, quelques ouvriers abattus à Sochaux (il arrivait donc que les CRS tirent encore à balles réelles). D'où le diagnostic porté par le philosophie hégélien, suivi aussitôt d'une nuée de chroniqueurs. Mai 68 : monôme, psychodrame, fête printanière, rite de passage, défoulement collectif. Le voilà, le grand tournant des temps modernes : pendant que des pays voisins -décidément plus archaïques- s'enfonçaient pour quelques temps dans une spirale infernale, la France inventait la Révolution pour rire, la Terreur d'opérette. Moyennant quand même une ou deux bavures : Pierre Overney (1972), Malik Oussekine (1986)... Passées les années de plomb, toute l'Europe allait nous emboîter le pas, et c'est ainsi que nous sommes sortis de l'Histoire, joyeusement. Objection : et s'il se passait vraiment quelque chose, si le "psychodrame" virait soudain au drame, que diriez-vous alors, ô experts et gazetiers? Vous qui ne supportez pas le moindre abribus tagué ou caillassé sans y consacrer un sondage ou une chronique, vous qui ne pouvez voir quelques dizaines de voitures brûler dans les banlieues sans glapir aussitôt à la "révolte ethnique", au "choc des civilisations"? Le double-bind est imparable : terroristes en puissance ou émeutiers de carton-pâte, dans les deux cas l'adversaire est hors-jeu, et vous emportez la mise. Et d'ailleurs, pourquoi faudrait-il que le sang coule à nouveau? "La rage du peuple!", c'est le cri de ralliement de nos étudiants les plus radicaux, à la fin du parcours autorisé, quand ils s'apprêtent à 2

lancer une action "illégale" avec la centaine de manifestants qui n'ont pas envie de se disperser (quelques manifs plus tard, le signe de ralliement sera un drapeau rouge et noir avec une tête de mort). Mais qui y a-t-il en face, qui justifierait la rage ou la haine du peuple (et de quel Peuple introuvable...)? La haine, ça se mérite. De Gaulle avait assez d'envergure pour susciter de la haine, et pas seulement dans les rangs de l'OAS : que l'on se rappelle Sartre, criant à la dictature et ironisant sur la "petite moustache" du Général. Mais qui donc s'abaisserait à haïr le Président à la Rolex, la petite frappe de Neuilly et d'Acapulco, Bouffon Imperator? Rétrospective. Le 5 février : début du mouvement. Aujourd'hui, l'Université de Strasbourg entre dans la (petite) histoire. La blonde ministresse de Bouffon vient inaugurer la nouvelle Université réunifiée. Sur le parvis du Palais Universitaire, nos étudiants manifestent, clowns en tête. C'est leur baptême du feu. Deux ou trois jets d'œufs sur l'auguste façade. Aussitôt, une (petite) escouade de Gendarmes Mobiles casqués et bottés prennent position en haut des marches et chargent sans sommation. Coup de matraques et lacrymos. Pas de blessés ni d'arrestations. Un peu avant, les vigiles avaient laissé le digne corps des Universitaires invités à la cérémonie pénétrer à l'intérieur du Palais. Stucs, marbres et dorures (le PU est un héritage du Reichsland, les hommes du Kaiser savaient bâtir). La ministresse monte sur l'estrade. Soudain, des cris fusent, des cornes de brume retentissent, des coups de sifflets. Des trublions en gilet orange brandissent des pancartes ("halte au mépris!") en tournant ostensiblement le dos à la tribune officielle. L'opération "Cheval de Troie" vient de commencer. Quelques instants plus tard, je me retourne pour regarder la tribune. Visage tendu de la ministresse, visage défait du président de l'Université, visage absent des notables de droite et de gauche (l'un d'eux venait de conclure son homélie par un sonore "Vive l'Alsace!"). J'aperçois soudain, à quelques mètres, les visages de cinq ou six flics en civil, blêmes et crispés. Ils font la chaîne en se tenant les mains, pour protéger la tribune. Ils savent, eux, que leur position est précaire. Nous sommes une bonne soixantaine, un simple mouvement et la tribune serait prise d'assaut. À part eux, personne n'y a pensé. De plus en plus désemparée, la ministresse abrège son discours, s'apprête à conclure précipitamment : "Comme le disait un grand poète, qui fut étudiant dans votre Université…". Ricanements et huées. Elle joue l'indignation : "Si vous ne me respectez pas, respectez au moins Gœthe!". Non, Madame, nous ne vous respectons pas. Nous savons que vous nous méprisez, nous qui n'avons pas de Rolex, mais nous méprisons votre mépris. "Or un prince doit éviter par-dessus tout d'inspirer la haine et le mépris". Dans plusieurs siècles, on lira sans doute encore Gœthe, Machiavel et la Princesse de Clèves, mais qui se souviendra de votre nom et de celui de Bouffon? Nous 3

vous respectons si peu que nous n'arriverons pas à vous haïr, et vos gardes du corps s'affolaient en vain. ******************* À partir de quand un adversaire devient-il un ennemi? Je me souviens du visage impassible de ce jeune Gendarme Mobile, sanglé dans son uniforme de robocop, face aux premiers rangs de la manif "sauvage" ("la rage du peuple!"). Moqueries, huées, jets de boulettes de papier. La vieille antienne retentit une fois encore : "CRS = SS", suivie d'un nouveau slogan, plus freudien et plus juste : "La matraque, c'est viril, ça fait bander tous les flics!". Il ne bronche pas. Est-ce le visage de mon ennemi? Je m'aperçois que, derrière lui, un autre gendarme plus âgé est arc-bouté contre lui et lui presse le dos de sa main, d'un geste que l'on pourrait dire fraternel. Baptême du feu? Sans doute lui enjoint-il de tenir, et aussi de se retenir : ne pas répondre aux provocations, ne matraquer que lorsqu'il en aura reçu l'ordre. Riposter "modérément" et dans les formes légales (c'est ce qui fait, pourrait-il leur répondre, qu'il n'est pas un SS). Eviter l'affrontement, sauf si les chefs l'ont ordonné. Mais justement, c'est là que le bât blesse : et si ses chefs lui commandaient de matraquer sans retenue, voire de tirer à balles réelles? (cela s'est vu, il n'y a pas si longtemps, l'honorable Maurice Papon étant Préfet de Police). Ou simplement de courser des ados jusque dans un transformateur électrique. Irait-il jusqu'à désobéir aux ordres? Et s'il se contentait d'obéir, perdrait-il alors son visage, pour devenir un simple robot-tueur casqué et botté? Ce n'est pas certain : en affirmant cela, je présuppose qu'un ennemi n'a pas ou plus de visage. Lévinas pensait le contraire : pour lui, même le SS a un visage; et même sur le "visage grimaçant de haine du persécuteur" luit encore, de manière défigurée, l'éclat du Bien. Essayons de donner à la question une réponse moins métaphysique, une réponse politique : un adversaire devient un ennemi quand l'évolution des rapports de force ne laisse plus aucune place à un compromis -fût-il partiel et provisoire- avec l'autre camp. Ce que les bons auteurs appellent la montée aux extrêmes (ou le devenirantagonique de la contradiction), c'est le passage à cette logique du tout ou rien où la simple existence de l'autre met en péril la nôtre. La légalité démocratique s'est constituée précisément pour empêcher cette montée aux extrêmes, pour la différer indéfiniment, en substituant à l'affrontement guerrier la confrontation pacifique des opinions, réglée par les normes du droit. Aussi répugnant que soit un appareil judiciaire qui libère l'ex-préfet Marchiani tout en laissant Julien Coupat en prison, aussi illusoire que semble être aujourd'hui l'idéal d'une justice "égale pour tous", il faut reconnaître 4

que l'institution de cette légalité et sa consolidation contribuent à la pacification des rapports sociaux; qu'elles brisent le cercle infernal du lynchage, des représailles, de la violence sans fin, et font ainsi reculer le sombre horizon de la lutte à mort. Qui s'en plaindrait? A moins d'avoir gardé, comme certains, le goût du sacrifice héroïque qui saurait exhausser l'animal humain jusqu'à l'immortelle vérité de l'événement… Certes, l'Histoire s'est toujours écrite avec le sang des héros, mais nous savons désormais que les plus prompts à se sacrifier eux-mêmes sont souvent prêts à sacrifier aussi les autres. Tout a son prix, même le bonheur d'une paix perpétuelle à l'abri des carnages. En échappant à la logique de la guerre -plus longtemps, plus profondément qu'aucune autre société du passé- nos sociétés démocratiques auront perdu du même coup le visage de l'ennemi, la figure et le nom d'un ennemi déclaré que l'on puisse haïr sans réserve, tuer sans commettre de crime. Mais que serait un ennemi qui aurait perdu toute figure identifiable, un ennemi sans visage? Ne risque-t-il pas de resurgir comme une hantise anonyme, proliférante, celle d'une "insécurité" d'autant plus menaçante qu'elle demeure indéterminée? La disparition de l'ennemi dans un monde pacifié risque ainsi de déchaîner une hostilité sans limites, acharnée à débusquer cet ennemi caché qui se dérobe sans cesse. "Malheur à celui qui n'a pas d'ennemi", déclarait ce vieux nazi de Schmitt du fond de son cachot. C'est que mon ennemi est "la figure de ma propre question", il me permet de me situer, de m'identifier moi-même. Pas d'ego cogito sans Malin Génie : privé d'ennemi, je perds mon identité, je deviens fou. Objection : si je persiste à me donner un ennemi, à appeler à sa mise au ban ou sa mise à mort, je risque tout autant de devenir fou. Fou de haine, transi par un désir de meurtre que rien ne saurait apaiser (les Grecs en avaient fait une divinité, Lyssa, la Rage). C'est la réactivation de cette haine immémoriale, c'est cette diabolisation de l'ennemi -et non sa disparition dans une société dépolitisée- qui a provoqué les pires massacres du XX° siècle. Comment y échapper? Schmitt aurait sans doute répondu (du moins après la guerre…) qu'il s'agit de se donner un ennemi réel et de le combattre, mais sans en faire un ennemi absolu, un monstre, un "ennemi du genre humain" voué à l'extermination. Mais est-ce vraiment possible? Peut-on s'en tenir à la décision purement politique de désigner un ennemi, sans se laisser forcément contaminer par la haine, par tout ce remugle de phantasmes et d'affects qui accompagne nécessairement une telle décision? En vérité, la figure de l'"ennemi absolu" n'est pas une conséquence malheureuse de la dépolitisation libérale, mais un fantasme, une figure-écran qui se substitue à celle de l'ennemi réel et détourne sur elle la haine des peuples. Ainsi les lépreux, les sorcières ou les Juifs dans l'Occident médiéval, ou aujourd'hui le "terroriste" dans la vision sécuritaire du monde. Que faut-il en conclure? Que mieux 5

vaut encore la légalité démocratique, qui nous préserve de la Rage? Ou plutôt qu'il faut tenter d'inventer des illégalismes qui se retiendraient (mais comment?) de passer de l'adversaire à l'ennemi, ou de l'ennemi réel à l'ennemi absolu? ************************* Ce qu'il y a de plus intéressant dans une manif arrive toujours à la fin, quand un groupe d'"incontrôlés" refuse de se disperser. C'est à ce moment qu'il pourrait se passer quelque chose, que l'on sortirait enfin du rituel. Une manifestation autorisée est un acte liturgique, le dernier avatar des grandes processions médiévales où l'on promenait les statues de la Vierge et des saints pour faire tomber la pluie ou conjurer la peste. Mais il n'y a plus aucun Dieu à qui adresser de prières -si ce n'est ces misérables idoles de l'époque, les Médias et ce l'on appelle l'Opinion. Tout se passe comme si le peuple des manifestants s'était résigné à exhiber sa force sans l'exercer vraiment. Cette force se définit ainsi comme non-force, inactive par principe, comme la potentia passiva des Scholastiques. Elle a même renoncé à montrer qu'elle pourrait s'exercer autrement, se donner d'autres objectifs, plus menaçants, qu'une simple exhibition débonnaire de son impuissance. Du coup, elle ne "manifeste" plus rien, se renie elle-même, s'anéantit en tant que force pour ne plus subsister que comme simple quantité. Car il ne s'agit plus que de faire nombre : de là ces exercices de comptage, ces batailles de chiffres auxquels les deux parties se livrent rituellement au lendemain de la procession ("40.000 manifestants selon les organisateurs, 3.000 selon la Préfecture de Police"…). Ce qui révèle le mieux l'impuissance de la manif légale, c'est son acceptation d'un parcours imposé. Déjà vaincue avant même d'avoir démarré, elle reconnaît ainsi que la rue appartient à l'État, qui lui concède généreusement le droit d'y déambuler dans les limites qu'il a lui-même fixées. Car cette légalité à laquelle elle s'est assujettie est la loi du Pouvoir, l'un des instruments de contrôle qui lui permettent de quadriller le territoire et de museler toute résistance. En ne jouant pas le jeu de la dispersion obligatoire, les "éléments incontrôlés" montrent qu'ils n'acceptent pas ce quadrillage étatique de l'espace. C'est quand elle refuse de s'arrêter au terme de son parcours autorisé que la manif commence vraiment, qu'elle esquisse, face à la loi de l'État, ce que les politiciens appellent avec une indignation feinte la "loi de la rue", une "loi" à laquelle ils affirment ne pas vouloir céder. Expression où ils aimeraient faire résonner un écho de la terrifiante loi de la jungle -mais la rue libérée par la manif sauvage n'est pas une "jungle", c'est un espace poétique, c'est-à-dire imprévisible, un lieu de vie (comme l'est d'ailleurs, pour les 6

animaux de la forêt, la véritable jungle). En interrompant le cours ordinaire des choses, elle ouvre un nouveau champ de possibles, un autre rapport à l'espace : pour un moment, toujours trop bref, la ville cesse d'être ce lieu mort, livré à la circulation touristique ou affairée, cette zone soumise, agencée par les planificateurs et les urbanistes, scrutée par les appareils de surveillance, "animée" par les programmateurs de la Culture officielle (toujours festive, comme il se doit). Les poètes et les révolutionnaires de jadis étaient très sensibles à cette subversion de l'espace-temps quotidien. Ils célébraient les "nouveaux Josués" de la Révolution de Juillet qui "tiraient sur les cadrans des horloges pour arrêter le jour". C'est qu'ils concevaient l'instant de la délivrance -le temps du messie- comme un présent qui n'est plus seulement passage, qui est aussi arrêt et blocage du temps1. Et ce qui vaut pour le temps de l'histoire vaut tout autant pour l'espace de la ville, lorsqu'il s'agit à la fois de forcer de nouveaux passages et de bloquer ceux qui existent. 9 Mars. En AG, les étudiants les plus radicaux qui occupent depuis trois semaines une partie de l'Université sont enfin arrivés à faire voter le blocage de la fac de Lettres. De petites escarmouches sont à prévoir avec les "anti-bloqueurs" de Droit ou de Sports. C'est à la fac de Droit que l'on enseigne et transmet la légalité : aussi est-elle très majoritairement du côté du Pouvoir (mais pourquoi cette collusion avec les futurs profs de gym?). Quelques chaises feront voler en éclats une ou deux vitres, rien de bien grave. Pour le moment, le blocage tient. Il s'agit d'une forme de lutte récente, qui a commencé à se généraliser lors des mouvements de 2006-2007 contre le CPE et la LRU. L'on aurait tort de l'opposer au libre élan de la manif sauvage, car celle-ci se donne explicitement pour but de "bloquer les flux", d'interrompre la circulation ordinaire des hommes et des marchandises en zone soumise. Rien d'inattendu dans ce double geste de forçage et de blocage : depuis toujours, les rebellions savaient faire alterner l'offensive-éclair de l'émeute et la guerre de tranchées des piquets de grève et des barricades2. Elles tendaient cependant à privilégier la guerre de mouvement et non la guerre de position. Le nom même d'émeute fait allusion au mouvement : c'est un proche parent de la meute et de la mutinerie (l'émotion, l'émoi font aussi partie de la 1

W. Benjamin, "Sur le concept d'histoire" (1940), thèses XV et XVI. Il évoque aussi un "blocage messianique des événements" (thèse XVII). 2 Je pense entre autres à ce manuscrit de Blanqui cité par M. Abensour : "Il y a dans Paris des forteresses par centaines, par milliers, autant qu'en peut rêver l'imagination. La fantaisie les crée avec les rues (…). Il s'agit de choisir, au hasard ou selon son caprice, dans un quartier quelconque, un périmètre formé d'une série de rues (…). On ferme avec des barricades les issues des rues aboutissant au périmètre. On occupe les maisons sur le pourtour de ce front, et voilà la forteresse." - "W. Benjamin entre mélancolie et révolution" (Passé Présent n°4, 1984)

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famille). Qui a raison, de Canetti rapprochant l'émeute de la meute, dans sa dimension massive et toujours carnassière, ou de Deleuze appelant à les dissocier, à inventer une "émeute sans meute"? Le mot d'ordre de "blocage des flux" me semble en tout cas très récent. Il témoigne d'une transformation significative dans la perception du Pouvoir. Jadis, celui-ci apparaissait comme une instance unique et centralisée, une citadelle souveraine qu'il s'agissait de prendre d'assaut. Il est perçu désormais comme une multitude de flux, de réseaux fluides, décentrés, déterritorialisés. Ce qui engage une stratégie toute différente, articulant de manière inédite la mobilité et le blocage : il ne s'agit plus tant de prendre le Pouvoir que de prendre du pouvoir. À la stratégie de l'insurrection centrale succède celle des soulèvements périphériques. Harcèlements sporadiques, blocages toujours provisoires qui cherchent à dégager des "zones d'autonomies temporaires", aussitôt abandonnées et reconstituées ailleurs. La figure du partisan, du guérillero, exerçait autrefois une véritable fascination sur les éléments radicaux de ma génération (et déjà chez Schmitt au début des années soixante…). Mais la guerre de partisans était censée mener de la résistance à l'insurrection; elle restait ordonnée à la visée de l'assaut final contre l'État. Aujourd'hui, la figure du pirate tend à remplacer celle du partisan, sans refouler pour autant le souvenir du mouvement ouvrier révolutionnaire. De là cet emblème assez élaboré, le drapeau rouge-et-noir à tête de mort (insinuera-t-on qu'il rappelle fâcheusement certains insignes fascistes? mais le fascisme, Merleau-Ponty nous le rappelle, est "comme une mimique du bolchevisme"3 et des vieilles rebellions libertaires : il est leur simulacre mortifère, il s'approprie leurs emblèmes et leurs mythes tout en inversant leur sens). Le fameux manifeste de Hakim Bey commence par une célébration nostalgique de "l'utopiepirate", de ses enclaves de liberté provisoires et nomades, qu'il oppose à l'idéal de la Révolution centrée sur la prise du Pouvoir4. Ne pas abuser de l'étymologie -mais se rappeler malgré tout que le "pirate" est d'abord celui qui passe à travers (per) une limite (peiras en grec). Le péril et l'expérience proviennent de la même racine : toute expérience authentique est pirate. Devinette : pourquoi la misérable imagerie marchande destinée aux jeunes consommateurs représente-t-elle toujours le pirate comme un corps mutilé? Qu'arrive-t-il lorsqu'un mouvement revendicatif se laisse pirater? Le mouvement du printemps 2009 s'est donné des objectifs limités (retraits des décrets Darcos-Pécresse, abrogation de la LRU…), réalisables ou non en fonction du rapport de 3 4

Humanisme et terreur, Gallimard, 1947, p. 133. TAZ, zone autonome temporaire (1991), l'Éclat, 1997.

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force qu'il saura créer. La mouvance radicale a repris ces revendications, mais sans s'y attacher vraiment : les critères de modulation du service et de la promotion des enseignants-chercheurs ne les passionnent pas outre mesure (qui le leur reprocherait?). À vrai dire, la grève, l'occupation, la manif ne sont pour eux que des leviers, des occasions propices pour lancer une nouvelle action, organiser un nouveau blocage. Tout se passe alors comme si les actions de blocage avaient pour seule fin la création d'enclaves temporaires, c'est-à-dire le blocage lui-même. Dirons-nous que cette stratégie est trop réactive (on se contente de résister au Pouvoir, en lui laissant toujours l'initiative et le dernier mot)? Qu'elle a renoncé à tenir, à se déployer dans la durée (on riposte toujours au coup-par-coup, on ne fait apparition que pour disparaître aussitôt)? Elle donne en tout cas un nouveau style à l'action, celui d'un nihilisme actif qui en aurait fini avec l'attente passive du Grand Soir (ou de la prochaine échéance électorale). En renonçant au mythe de la lutte finale, ce qui a été gagné est une plus grande lucidité : l'on a enfin compris qu'il ne suffisait pas de s'emparer du Palais d'Hiver pour en finir avec les rapports de domination; que ceux qui se donnaient pour but de "prendre le Pouvoir" se sont à chaque fois laissés prendre par le Pouvoir, en devenant à leur tour ses gardes-chiourmes et ses bourreaux. Mais ce qui a été perdu, avec ce changement de perspective, c'est peut-être le sens de l'action : sa finalité et sa signification. "Le but final n'est rien, le mouvement est tout", proclamait Bernstein il y a un siècle. Désormais, ce n'est plus le mouvement, c'est le blocage qui est son propre but. Objection (de style nietzschéen) : pourquoi faudrait-il absolument se fixer un but qui serait au-delà de l'action elle-même? N'est-ce pas encore une manière d'être pieux? De croire à un arrière-monde qui serait la justification de ce monde-ci? L'idéal révolutionnaire de naguère -et ses variantes réformistes-électorales- ne revenait-il pas à sacrifier le présent vivant au nom d'un avenir radieux toujours différé? À se soumettre à un prétendu Tribunal de l'Histoire au lieu d'affirmer la vérité de l'Instant, de l'affirmer avec tant d'intensité que cet instant se répètera, ailleurs, autrement, d'innombrables fois? Pour le dire dans un style différent : si la tradition des opprimés leur interdit de se soumettre aux "sortilèges de l'avenir", c'est que, pour elle, "chaque instant est la porte étroite par où peut entrer le messie". ********************* 23 mars : une imposante AG -près de 1500 étudiants rassemblés sur la "Place Rouge"- a voté l'occupation de la fac de Droit. Une bonne centaine de bloqueurs investissent le soir même cette bastille et se barricadent dans un amphi. 24 mars : 9

échauffourées matinales avec une poignée de défenseurs fanatiques du Droit, qui essayent d'y pénétrer à leur tour afin de les déloger. Certains de ces anti-bloqueurs ont une fâcheuse propension à chanter la Marseillaise en faisant le salut hitlérien. Confusion des langues : que signifie le vieil hymne républicain lorsqu'il est ponctué de Sieg Heil? Donne-t-il à entendre autrement le célèbre couplet sur le "sang impur" qui "abreuve nos sillons"?... Riposte des nôtres : ils hissent le drapeau à tête de mort sur le fronton et déploient à la fenêtre une banderole "fac occupée au nom du Droit". Ils finiront par l'évacuer sans heurts dans l'après-midi, en rangs serrés, le poing levé et masqués de keffiehs, en scandant El pueblo unido jamas sera vencido. Guerre des emblèmes : l'héritage des générations mortes et des tragédies du passé continue de peser sur les vivants. Il ne les empêche cependant pas de penser à nouveaux frais. J'aime que la citadelle du Droit ait été bloquée au nom du Droit : cette banderole atteste d'une conscience aiguë des paradoxes fondateurs de la Loi. Ceux qui l'ont rédigée montrent qu'ils ne se laissent pas piéger par une opposition abstraite entre légalité et illégalité. Ils ont compris que, si le droit et la loi apparaissent le plus souvent comme des instruments au service du Pouvoir, ils peuvent aussi se laisser retourner, devenir des armes aux mains de ses adversaires. Droit contre droit, justice hors-la-loi. Matin du 26 : la tension monte à nouveau. On s'attend à une intervention policière pour évacuer le bâtiment central de la fac de Lettres, occupé nuit et jour depuis cinq semaines. La préfecture a fait savoir au président d'Université que l'intervention est devenue inévitable : selon les autorités, le bâtiment risquerait d'être investi par des hordes d'"anarchistes allemands" convergeant sur Strasbourg à l'occasion du prochain sommet de l'OTAN, les 3 et 4 avril. À la demande expresse de la police, l'Université toute entière doit être évacuée et fermée "préventivement" une semaine avant la tenue du sommet. Nous avons également appris que trois cent lits ont été libérés "préventivement" dans les hôpitaux, et que des dizaines de détenus ont été transférés pour faire un peu de place dans la prison. La police a même entrepris de faire souder les plaques des égouts et, dit-on, de les faire inonder, au cas où les séides d'AlQaida auraient lu Les Misérables. Barack Obama à Strasbourg, escorté par Bouffon, une vingtaine d'autres chefs d'États et une escouade de généraux, voilà qui exige des mesures exceptionnelles. Des milliers de policiers, les tireurs d'élite du GIGN et du Secret Service, des hélicoptères qui survolent déjà la ville en rase-mottes… Comme une cité médiévale frappée par la peste, comme une ville soumise au couvre-feu par des troupes d'occupation, Strasbourg sera découpée en différentes zones, quadrillée par un imposant dispositif militaro-policier. État de siège sans précédent dans une ville française -mais la capitale de la Sibérie occidentale a-t-elle jamais été une ville 10

française? Des barrières anti-émeutes sont déjà disposées autour de points stratégiques : l'Hôtel de Ville (où Barack ira signer le Livre d'Or), l'ancien palais épiscopal (où il participera à un raoût). Les habitants de la "zone rouge" ne pourront sortir de chez eux que munis d'un badge et d'un laisser-passer. Là où passeront les cortèges officiels, les autorités déconseillent vivement aux habitants de se montrer à leur balcon ou même à leurs fenêtres sans être accompagnés d'un policier en uniforme. Plus personne ne pourra circuler entre Kehl et Strasbourg : la vieille et sanglante frontière du Rhin redevient étanche. Aux manifestants anti-OTAN, qui s'annoncent nombreux, la préfecture a imposé un parcours surréaliste, en dehors de la ville, dans une friche industrielle totalement déserte. L'avons-nous assez scandé, durant ces deux mois de manifs, que "la rue nous appartient"? Désormais, le dernier mot est à la police. Le dernier mot, vraiment? Nous savons bien que cette situation est purement provisoire. Mais le blocage de toute une ville par la police aura eu lieu. "Mesures exceptionnelles de sécurité", nous dit-on : c'est comme toujours au nom de la sécurité que l'État bafoue sa propre légalité; entre autres, le droit de circuler librement, qui ne concerne pas seulement les "flux" du Capital… Il s'agit d'une démonstration de force, et plus encore : de la réaffirmation d'une puissance souveraine. L'État de Droit fait savoir qu'il peut, le cas échéant, quadriller une ville aussi efficacement qu'un État policier; qu'il est parfaitement capable d'instaurer sans coup férir un état d'exception. Cette situation d'exception est-elle seulement une transgression provisoire de la légalité démocratique, qui ne la remettrai nullement en cause -ou nous en révèle-t-elle la vérité cachée? Qu'un tel dispositif se mette en place à l'occasion de la venue d'Obama ne manque pas de sel. Son premier acte de président élu aura quand même été de mettre fin à un état d'exception : d'annoncer la fermeture de la prison-camp de Guantanamo. Peu importe que son geste ait été dicté par des considérations politiciennes : il suffit qu'il l'ait fait. Pour une fois, le respect du Droit l'a emporté sur les diktats sordides des policiers et des militaires. Décision qui a également une portée philosophique. Selon de bons auteurs, il n'y aurait aucune différence décisive entre la légalité démocratique et les tyrannies totalitaires. Toutes nos sociétés vivraient aujourd'hui sous un régime où l'exception est devenue la règle, où la violence et le droit sont strictement équivalents. Dans cet immense Auschwitz planétaire, toutes les vaches bio-politiques sont noires : le camp de concentration est le "paradigme caché" du politique dans les temps modernes, et chacun de nous est virtuellement un homo sacer, une vie nue exposée à l'extermination. L'on a tenté de justifier ces thèses en se référant à Guantanamo : le statut du djihadiste emprisonné dans la base américaine ne saurait être comparé qu'"à la

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situation juridique des juifs dans les Lager nazis"5. Mais voilà : dans cet enfer totalitaire que seraient les USA, la première décision politique du nouveau président a été d'ordonner la fermeture de Guantanamo. Yes, he can. Que Barack Obama soit loué : grâce à lui, les thèses d'Agamben ont été démenties sans appel par les faits. Et notre mouvement, où en est-il? Barack et Bouffon partis et les libertés civiles rétablies, la fac sera probablement réoccupée et la ronde obstinée des manifs recommencera jusqu'aux vacances. Mais il aura fallu, pendant dix longues journées, céder la place à l'adversaire. Même les plus impétueux des nôtres le reconnaissent : on ne joue pas dans la même cour; pendant le sommet, le rapport de forces a changé d'échelle. Cela suffit-il pour discréditer le mouvement? Pour n'y voir qu'un pittoresque raffut estudiantin, qui s'évanouirait dès que l'on passe aux choses sérieuses? Lorsque la puissance souveraine fait valoir ses droits, nous voilà à nouveau sous l'horizon de la guerre, et nos blocages pacifiques ne font plus le poids. Il me semble cependant que le changement d'échelle ne modifie pas tellement le sens des événements. Ce qui s'écrit en petites lettres dans un amphi occupé ou une manif sauvage ressemble fort à ce qui s'écrit en lettres immenses dans les grandes manœuvres du Pouvoir. Inversons le paradigme platonicien6 : il se pourrait que le texte microscopique nous permette pour une fois de mieux lire le plus grand. Certes, le nouveau style de contestation paraît avoir renoncé à l'affrontement direct, à la violence extrême, celle qui fait couler le sang. Mais, à son échelle, la machine de guerre occidentale a elle aussi renoncé à exercer la plus extrême violence, celle qui aurait recours à l'ultima ratio nucléaire. Sans doute continue-t-elle encore à guerroyer à la périphérie (et ce n'est pas pour déplaire aux Kosovars ou aux femmes afghanes : en voilà qui ne se joindront pas aux manifs "anti-impérialistes"…); et pourtant, à son niveau, il ne s'agit plus que d'escarmouches : la terrifiante machine à tuer commence elle aussi à sortir de l'horizon de la lutte à mort. Fin de l'état de guerre, auquel ne succède pas la paix, mais plutôt des états de violence diffuse. À la différence de la guerre classique, ils ne se caractérisent plus par un affrontement direct entre deux camps : plus de commandement hiérarchique et centralisé, mais des réseaux mobiles, insaisissables; plus de déclarations de guerre ni d'armistices, plus de champs de bataille, mais des "principes d'éclatement stratégique, de dispersion géographique, de 5

G. Agamben, État d'exception, Seuil, 2003, p. 13-14. "Si l'on ordonnait à des gens qui n'ont pas la vue très perçante de lire de loin des lettres tracées en très petits caractères, et que l'un d'eux se rendît compte que ces mêmes lettres se trouvent tracées ailleurs en gros caractères, ce leur serait une bonne aubaine de lire d'abord les grandes lettres et d'examiner ensuite les petites (…). Par conséquent, nous chercherons d'abord la nature de la Justice dans les cités, ensuite dans l'individu" – La République, livre II, 369 ab. 6

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perpétuation indéfinie". Le nouveau théâtre des opérations, c'est "la ville vivante des passants. Celle des espaces publics : marchés, gares, terrasses de café, métros"7. Nos pirates urbains miment-ils, peut-être sans le savoir, ces nouvelles figures de la violence? Qui imite qui? À moins que tout ceci n'atteste, à différentes échelles, d'une mutation radicale de l'espace et du temps de notre monde, que nous commençons à peine à entrevoir? 28 mars au petit matin : fin de partie, ou fin du premier acte. Après six semaines d'occupation, la police est intervenue à la demande du président d'Université pour faire évacuer la fac. Pas de violence, pas d'arrestations. L'avant-veille, un débat sur Debord avait rassemblé une centaine d'occupants dans l'amphi Louise Michel soigneusement barricadé (troisième porte à gauche, entre l'amphi Potemkine et l'amphi Julien Coupat). Chacun s'attendait à l'intrusion imminente des flics. Le temps semblait suspendu. De la Société du Spectacle, nous en étions venus à discuter du mouvement lui-même, de sa radicalisation, de la finalité du blocage, des métamorphoses du Capital et du Pouvoir, de la persistance ou de la disparition du mouvement ouvrier, des nouvelles stratégies révolutionnaires et du nouveau style de l'action, et aussi de la mimésis et de la catharsis, des devenirs-minoritaires deleuziens, de l'absorption de toute réalité par le Spectacle et de la possibilité de retourner le Spectacle contre lui-même. De tels instants sont uniques, absolument singuliers, et pourtant ils s'affirment si intensément qu'il leur faudra revenir à jamais. Ailleurs, autrement, d'innombrables fois.

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Je me réfère ici aux analyses de F. Gros : cf. États de violence, essai sur la fin de la guerre, Gallimard, 2005, p. 216-218.

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