Réalisme tragique au Nicaragua

May 27, 2017 | Autor: Kevin Parthenay | Categoria: Latin American Studies, International Relations, Central America and Mexico, Democracy, Nicaragua
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Réalisme tragique au pays d'Ortega !

Si l'élection régulière est le plus petit commun dénominateur des régimes démocratiques, elle peut également se mettre parfois au service des régimes autoritaires ou bien du déclin de la démocratie elle-même. Cet autoritarisme électoral touche aujourd'hui le Nicaragua, petit Etat d'Amérique centrale, qui avait ironiquement fait son retour à la démocratie grâce à une élection, celle de février 1990 (et qui avait vu d'ailleurs la défaite de Daniel Ortega). Vingt-six ans plus tard, Ortega a réussi à verrouiller l'ensemble des espaces politiques faisant des prochaines élections du 6 novembre une « farce » massivement dénoncée dans le pays. Pour comprendre ce qui est en jeu lors de ces élections de novembre et, plus largement, pour le pays, il est nécessaire de revenir sur un scénario politico-électoral qui remonte au début des années 2000.

A la tête du FSLN au début des années 2000, alors parti d'opposition, Ortega était parvenu à pacter une réforme constitutionnelle controversée avec le Président Arnoldo Alemán (1997-2002, Parti Liberal Constitutionnaliste). Si cette réforme permit au FSLN de contrôler progressivement tous les hauts postes de l'Etat, elle favorisa surtout leur retour au pouvoir, avec l'élection de Daniel Ortega en 2006 avec seulement 38,07% des voix. La réforme constitutionnelle de 2000 introduisait alors une baisse du seuil de validation du scrutin présidentiel à 35% des voix si un écart supérieur à 5% séparait le premier du second. En 2006, le libéral Montealegre avait remporté 29% des voix. Par ce premier « coup constitutionnel », Daniel Ortega était parvenu à revenir (enfin !) au pouvoir après trois tentatives ratées.

A l'issue du second mandat, la Constitution interdisait à Ortega d'être à nouveau candidat à la Présidence, selon l'article 147. En 2009, Daniel Ortega annonça vouloir changer la Constitution afin de pouvoir se présenter à nouveau mais n'obtint pas les 56 voix nécessaires au sein de l'Assemblée. En octobre 2010, c'est la Salle Constitutionnelle qui ratifia une décision de la Cour Suprême de Justice, composée à majorité de magistrats sandinistes, rendant inapplicable l'article 147 et donc possible un troisième mandat d'Ortega. Réélu en 2011 (62,46%), ce ne fut qu'en janvier 2014, qu'Ortega obtint finalement que le Parlement votât une réforme constitutionnelle autorisant la réélection indéfinie à la tête de l'État, tout en renforçant par ailleurs les prérogatives présidentielles. Désormais, le Président peut prendre des décrets ayant force de loi, en ignorant la séparation des pouvoirs entre l'exécutif et le législatif.

Par ailleurs, cette élection survient dans un scénario non concurrentiel, l'opposition ayant été réduite à néant par le régime sandiniste. En juin, la Cour Suprême de Justice, à la botte d'Ortega, décida de retirer la personnalité juridique au principal parti d'opposition, le Parti Libéral Indépendant (PLI), d'annuler la participation de la Coalition Nationale pour la Démocratie, et participa indirectement à l'affaiblissement de la représentation parlementaire de l'opposition suite à la destitution de vingt-huit députés d'opposition (PLI et Mouvement de Résistance Sandiniste). La réforme à la Loi électorale votée au mois d'août 2016 (Loi n°932) a achevé d'installer un contrôle absolu d'Ortega sur le processus électoral. En modifiant notamment les règles de l'identification (article 32) et du « nettoyage » des listes électorales (article 34), le processus électoral s'expose à des fraudes massives et fixe la main mise du parti sur des élections dont le résultat final ne réserve que peu de surprise.

Depuis 2000, Daniel Ortega se joue de la Constitution ainsi que des règles élémentaires de la démocratie pour enraciner toujours plus profondément les fondements d'un pouvoir familial. Si c'est avec son épouse, Rosario Murillo, qu'il se présente devant les urnes en novembre, les Ortega sont désormais légion au sein des institutions de l'Etat, à commencer par les fils, Laureano et Rafael, en charge des investissements économiques de la nation. A force de personnalisation du pouvoir, de confusion patrimoniale, de dévoiement de la souveraineté populaire et en phagocytant l'ensemble des espaces du pouvoir, le régime Ortega a lentement mais légalement sombré dans l'autoritarisme. Face à ce réalisme tragique, les prises de position étrangères demeurent bien pâles et feront de nous tous des spectateurs et témoins du retour et de l'officialisation de l'autoritarisme au Nicaragua…Et l'histoire nous a fréquemment enseigné que ce n'est pas parce que la démocratie qui sombre est lointaine qu'elle est moins dangereuse.
Kevin Parthenay (Sciences Po/CERI)

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