Sarcome conjonctival de Kaposi

June 19, 2017 | Autor: Solange Milazzo | Categoria: Humans, Female, Optometry and Ophthalmology, Adult
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Journal français d’ophtalmologie (2009) 32, 151—155

PLANCHE ANATOMO-CLINIQUE

Sarcome conjonctival de Kaposi Conjunctival Kaposi sarcoma J. Sudzinski a,∗, F. Thomas a, A. Berthout a, M.F. Gonthier b, L. Lumbroso-Le Rouic c, S. Milazzo a a

Service d’ophtalmologie, centre Saint-Victor, CHU d’Amiens, 354, boulevard de Beauville, 80054 Amiens, France b Service d’anatomopathologie, Hôpital nord, Amiens, France c Service d’ophtalmologie, Institut Curie, Paris, France Rec ¸u le 29 juillet 2008 ; accepté le 19 d´ ecembre 2008 Disponible sur Internet le 6 mars 2009

MOTS CLÉS Angiosarcome conjonctival de Kaposi ; Déficit immun commun variable ; Herpès virus humain type 8

KEYWORDS Kaposi sarcoma; Common variable immunodeficiency; Human herpes virus 8



Résumé Le sarcome de Kaposi est une entité rare ; il existe quatre formes (classique, endémique, post-transplant et épidémique) ayant pour point commun une même présentation histologique associée à un agent viral : l’herpès virus humain type 8 (HHV-8). Les localisations conjonctivo-palpébrales sont rares ; seuls 30 cas ont été rapportés dans la littérature. Nous présentons le cas d’une femme, âgée de 34 ans, ayant présenté un angiosarcome de Kaposi conjonctival de localisation bulbaire associé à des télangiectasies palpébrales supérieures sur un terrain rare d’immunodépression (déficit immun commun variable). Le traitement consista en une biopsie-exérèse, avec une suture simple d’un lambeau de rotation conjonctival. La chimiothérapie anti-HHV-8 par Valganciclovir permit la régression de la lésion palpébrale. Cependant, la réapparition d’une lésion conjonctivale au niveau des berges d’exérèse nécessita la réalisation d’une radiothérapie locale d’environ 30 Grays, sans récidive à 1 mois. © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Summary Kaposi sarcoma is rare and occurs in four forms (classic, endemic, post-transplant and epidemic), which all have the same histological appearance associated with the same viral agent: human herpes virus type 8 (HHV-8). Conjunctival and palpebral locations are, however, rare, and only 30 cases have been described in the literature. We present the case of a 34year-old woman with conjunctival Kaposi angiosarcoma, with rare bulbar location associated with superior palpebral telangiectases against a rare immunodepression syndrome (common variable immunodeficiency). The treatment consisted of an excision biopsy with an over-andover suture of a conjunctival rotation flap, combined with anti-HHV-8 chemotherapy to effect a regression of the palpebral lesion. However, the reappearance of a conjunctival lesion on the

Auteur correspondant. Centre Saint-Victor, 354, boulevard de Beauville, 80054 Amiens CEDEX. Adresse e-mail : [email protected] (J. Sudzinski).

0181-5512/$ — see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.jfo.2008.12.004

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J. Sudzinski et al. rim of the excision site required local radiotherapy of approximately 30 Gy, with no recurrence after 1 month. © 2009 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Introduction L’angiosarcome de Kaposi est une tumeur vasculaire d’aspect bleu-rouge retrouvée surtout au niveau des extrémités, et exceptionnellement au niveau conjonctival [1,2]. Il en existe quatre formes : (i) une forme classique méditerranéenne, décrite par Kaposi en 1872 à Vienne, maladie cutanée maligne, rare, atteignant surtout l’homme âgé ; (ii) une forme endémique, décrite en 1950 en Afrique Centrale et de l’Est, maladie de l’homme adulte et de l’enfant ; (iii) une forme post-transplantation, décrite en 1970 chez des patients greffés sous immunosuppresseurs ; et (iv) une forme épidémique liée au SIDA, décrite en 1981, chez les patients infectés par le VIH. Depuis 1994, un nouvel agent viral, l’herpès virus humain de type 8 (HHV8), est considéré comme l’agent étiologique de toutes les formes de sarcome de Kaposi décrites plus haut [3]. Toutes ces formes ont en commun une même présentation histologique : une prolifération de type vasculaire avec existence de cellules endothéliales atypiques fusiformes mélangées à des espaces en fente contenant des globules rouges extravasés. Parfois, des cellules endothéliales se regroupent en faisceaux denses organisés en nodules. La part de la prolifération cellulaire et de la prolifération vasculaire est variable d’une lésion à l’autre [1,4,5]. Les localisations conjonctivo-palpébrales sont rares ; seuls 30 cas ont été rapportés dans la littérature [6]. Le déficit immunitaire commun variable (DICV) est un syndrome hétérogène caractérisé par une hypogammaglobulinémie touchant tous les isotypes d’immunoglobulines, diminuant les défenses à médiation humorale, donnant des infections bactériennes à répétition, et une incidence augmentée de manifestations auto-immunes ou de tumeurs [7].

Figure 1.

Lésion conjonctivale préopératoire.

Dans les antécédents de la patiente, était noté un déficit immun commun variable, diagnostiqué trois ans auparavant devant des infections ORL à répétitions et nécessitant des injections mensuelles d’immunoglobulines, Devant la taille, l’aspect et la persistance de cette masse, une biopsie-exérèse conjonctivale fut réalisée avec suture simple d’un lambeau de rotation conjonctival (Fig. 3). L’examen anatomopathologique montra la présence de cellules fusiformes comportant des noyaux nucléolés disposés à la partie centrale du prélèvement soit en formes de vaisseaux contenant des hématies, soit en amas dense formant des fentes remplies d’hématies (Fig. 4). L’immunomarquage était fortement positif pour CD31 et CD34, caractéristique d’un syndrome de Kaposi (Fig. 5 et 6). Un bilan à la recherche d’autres localisations générales fut réalisé. Sur le plan clinique, l’examen dermatologique montra l’absence d’autres lésions cutanées. La fibroscopie

Observation Une femme, âgée de 34 ans, caucasienne, ayant toujours vécu en France métropolitaine, fut adressée par son ophtalmologiste pour une masse de la conjonctive nasale de l’œil gauche. Cette masse avait été traitée comme une épisclérite par un traitement antibio-corticoïde local durant trois semaines. À l’examen, l’acuité visuelle était de 10/10e Parinaud 2 de fac ¸on bilatérale. Les segments antérieurs et postérieurs étaient biomicroscopiquement normaux. Sur la conjonctive bulbaire, il existait en nasal une masse vascularisée, saillante, brillante, non adhérente aux plans profonds et indolore, mesurant 10 mm de longueur, 5 mm de largeur et 3 mm d’épaisseur (Fig. 1). Elle était associée à quelques télangiectasies proches du bord libre de la paupière supérieure homolatérale (Fig. 2).

Figure 2.

Lésion palpébrale préopératoire.

Sarcome conjonctival de Kaposi

Figure 3. rotation.

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Aspect postopératoire après biopsie et lambeau de Figure 6.

Figure 4.

Coloration classique (× 100).

Figure 5.

Immunomarquage CD31 et CD34 (× 100).

Immunomarquage CD31 et CD34 (× 300).

pulmonaire avec lavages broncho alvéolaires, ainsi que la fibroscopie oeso-gastro-duodénale avec biopsies systématiques étagées étaient normales. Sur le plan biologique, les sérologies VIH-1 et -2 étaient négatives. Le taux de gammaglobulines entre les différentes injections était normal (supérieur à 8 g/l). Les PCR à la recherche HHV-8 sur les prélèvements conjonctival et sanguin furent positives. Le scanner X thoraco-abdomino-pelvien montra des adénopathies inaccessibles à la biopsie pouvant entrer dans le cadre d’un sarcome de Kaposi. Un traitement complémentaire fut discuté : nouvel acte chirurgical, radiothérapie, traitement local à la mitomycine B, cryo-application, chimiothérapie générale, augmentation des injections de gammaglobulines. . . Après relecture histologique des lames et confirmation du diagnostic, il fut décidé d’instaurer un traitement général associant une mise sous anti-viral et une compensation maximum du déficit en immunoglobuline plus au moins, complété par une radiothérapie locale à faible dose (qui donne de bons résultats chez les patients immunodéprimés surtout atteints du VIH au stade SIDA).

Figure 7.

Récidive tumorale au niveau des berges d’exérèse.

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J. Sudzinski et al.

Figure 8.

Aspect palpébral après traitement.

Figure 9.

Aspect conjonctival après traitement.

Du valganciclovir (Rovalcyte®), traitement anti-HHV-8 entrant en compétition de l’incorporation de la désoxyguanosine triphosphate inhibant la synthèse d’ADN viral, fut prescrit et permit la régression des télangiectasies en deux mois. L’apparition d’une nouvelle masse au niveau des berges (Fig. 7) d’exérèse motiva la réalisation d’une radiothérapie locale, de deux séances : une de 6,6 Grays et une de 17,6 Grays à une semaine d’intervalle. Un mois après l’irradiation, la patiente était indemne de lésions (Fig. 8 et 9).

Discussion Le cas présenté de syndrome de Kaposi conjonctival bulbaire est rare par trois aspects : sa localisation, son terrain, et comme symptôme révélateur de la maladie. En effet, les localisations conjonctivales sont présentes dans 7 à 18 % des cas et intéressent le fornix conjonctival inférieur, rarement la conjonctive bulbaire [4]. De plus, il n’entre dans aucune des formes classiques décrites (endémique, classique, posttransplantation, ou épidémiques). Il peut toutefois être rapproché de la forme de l’immunodéprimée par le déficit immun commun variable. Enfin, les lésions surviennent au cours d’une maladie de Kaposi déjà connue en donnant

des localisations palpébrales, conjonctivales, dans le sac lacrymal et plus rarement l’orbite. Les diagnostics différentiels pouvant être évoqués devant cette masse conjonctivale bulbaire sont les autres types de tumeurs bénignes ou malignes conjonctivales. Parmi les tumeurs bénignes, on peut noter le papillome conjonctival, le granulome réactionnel, et le granulome pyogénique. Le diagnostic de papillome conjonctival a pu être écarté en raison de son site de prédilection qui est la conjonctive nasale près de la caroncule et le repli semi-lunaire [8] ; de plus, il est plus fréquent chez l’homme jeune et apparaît comme gélatineux, rosé, avec souvent de petites taches rouges représentant de fins vaisseaux sanguins perpendiculaires à la surface. Le granulome réactionnel à un corps étranger se présente sous la forme d’une masse solide avec augmentation de la vascularisation pouvant contenir un corps étranger. L’absence d’antécédent de chirurgies ophtalmologique ou de projection de corps étrangers chez cette patiente a permis d’écarter le diagnostic. Enfin, le granulome pyogénique est souvent localisé au niveau de la conjonctive épibulbaire ou tarsale ou au niveau de la caroncule [9]. Pour les tumeurs malignes le lymphome conjonctival aurait pu être évoqué (patient jeune) : tuméfaction sous-conjonctivale lisse, de couleur saumon, située au niveau du fornix près de la caroncule ou du limbe [10] ou un carcinome épidermoïde conjonctival. Mais tous ces diagnostics auraient conduit à la même attitude : la réalisation d’une biopsie. Les lésions typiques du d’un syndrome de Kaposi ont l’aspect d’une tumeur allongée, d’un rouge prononcé (alors que chez cette patiente, elle était plutôt rosée), brillante ayant une extension sous conjonctivale et pouvant occuper toute la longueur du fond du cul-de-sac. La tumeur fait corps avec la conjonctive lorsqu’elle est mobilisée sur le plan scléral profond. Son aspect brillant est dû à l’épithélium qui la recouvre. Sur le plan clinique, trois types ont été décrits : les types 1 et 2 qui correspondent à des lésions planes d’une épaisseur inférieure à 3 mm, et le stade 3 qui concernent des tumeurs de plus de 3 mm nodulaires (cas de cette patiente) [4]. Toutes ses formes cliniques, à l’exception des stades cliniques avancés, présentent un aspect histopathologique identique. Dugel et al. [4] décrivent trois types histologiques : (i) le type 1, à lésions aplaties retrouvées surtout au niveau bulbaire, avec capillaires endothéliaux aplatis, entourés d’éléments inflammatoires, cellules à noyaux fusiformes et cytoplasme réduit ; (ii) le type 2 plus saillant, présentant des cellules endothéliales fusiformes à noyaux hyperchromiques, aplaties et minces, des capillaires vascularisés dilatés avec de rares infiltrats inflammatoires ; (iii) le type 3, à lésions tumorales contenant des cellules fusiformes endothéliales à noyaux hyperchromiques à activité mitotique,disposées en faisceaux. Le traitement local dans les localisations générales ou oculaires est constitué par les techniques chirurgicales, la cryothérapie, le laser, le traitement intralésionnel (les cytostatiques, le cidofovir, l’interleukine 2, l’interféron). Dans les localisations oculaires, le but du traitement est esthétique et fonctionnel. Dugel et al. [4] proposent d’adapter le traitement en fonction du stade clinique et

Sarcome conjonctival de Kaposi histopathologique de la tumeur. Pour des lésions conjonctivales de stade 1 et 2 (c’est-à-dire localisées au niveau bulbaire), la biopsie exérèse effectuée à 1 ou 2 mm en zone saine est suffisante. Pour le stade 3, une délimitation angiographique des bords avant excision chirurgicale est recommandée. Devant la rareté de cette tumeur ainsi que devant le peu de caractéristiques cliniques classiques chez cette patiente, la délimitation angiographique n’a pas été réalisée. Cette dernière aurait pu épargner la récidive ainsi que la radiothérapie adjuvante. La cryothérapie ou l’excision chirurgicale sont les méthodes de choix pour les localisations palpébrales des stades 1 et 2, la cryothérapie ou la radiothérapie (20 ou 30 Grays, fractionnés en deux ou trois séances, pendant trois semaines) pour les lésions ne permettant pas l’excision chirurgicale. Malgré les traitements, des récidives sont rapportées dans la moitié des cas [4]. Rodriguez et al. [10] recommandent pour des lésions uniques bulbaires une biopsie-exérèse complète avec marges de sécurité associée à une greffe de membrane amniotique avec des résultats esthétiques, fonctionnels et carcinologiques satisfaisants à 18 mois.

Conclusion Les localisations conjonctivales de sarcome de Kaposi sont rares quelle que soit la forme. Le traitement de choix est l’exérèse complète chirurgicale en zone saine avec l’aide d’une délimitation angiographique préalable. Cependant, un traitement général par anti-rétroviral associé à une radiothérapie local peut permettre une disparition des récidives. La contamination par HHV-8 associée à un déficit

155 immun, quel qu’il soit, peut amener à un tableau de sarcome de Kaposi.

Références [1] Dupin N. Maladie de Kaposi. Rev Med Int 1995;16:484—6. [2] Lebbé C. Maladie de Kaposi. Rev Prat 1999;49:843—6. [3] Boulanger E. L’herpès virus humain (HHV8). I- Caractérisation et épidémiologie. Ann. Biol. Clin., 1998, 56, 643—650 et IIRôle pathogène et sensibilité aux antiviraux. Ann Biol Clin 1999; 57:19—28. [4] Dugel PV, Parkash SG, Frangieh GT, Ral NA. Ocular adnexal Kaposi’s sarcoma in aquired immunodeficiency syndrome. Am J Ophthalmol 1990;110:500—3. [5] Wolff-Rouendaal D et Sahel J. Tumeurs conjonctivales. Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales SAS, Paris, Elsevier, tous droits réservés), Ophtalmologie, 21-150-A-10, 2000, 22 p. [6] Kalinske M, Leone Jr CR. Kaposi’s sarcoma involving eyelid and conjunctiva. Ann Ophthalmol 1982;14:497—9. [7] Sneller MC, Strober W, Eisenstein E, Jaffe JS, CunninghamRundles C. NIH conference: new insights into common variable immunodeficiency. Ann Intern Med 1993;188:720—30. [8] Seitz B, Fischer M, Holbach LM, Naumann GO. Differentialdiagnose und Prognose bei 112 exzidierten epibulbaren epithelialen Tumoren. Klin Monatsbl Augenheilkd 1995;207:239—46. [9] Shields CL, Shields JA, White D, Augsburger J. Types andfrequency of lesions of the caruncle. Am J Ophthalmol 1986;102:771—8. [10] Rodriguez-Pérez C, Gris-Castellono O, Soler-lluis N, Del Campocarrasco Z, Wolley-Dod C. Amniotic membrane transplantation after surgical resection in conjunctival kaposi’s sarcoma. Arch Soc Esp Oftalmol 2005;80:525—8.

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