Tuberculose digitale : à propos de trois cas

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La Revue de médecine interne 33 (2012) e22–e24

Cas clinique

Tuberculose digitale : à propos de trois cas Tuberculosis dactylis: A case series of three patients C. Loussaief ∗ , F. Ammari , A. Toumi , H. Ben Brahim , F. Ben Rhomdane , M. Chakroun. Service des maladies infectieuses. EPS Fattouma Bourguiba, 5016 Monastir, Tunisie

i n f o

a r t i c l e

Historique de l’article : Disponible sur Internet le 6 mai 2011 Mots clés : Tuberculose digitale Antituberculeux

r é s u m é La tuberculose digitale est exceptionnelle. Nous en rapportons trois observations chez des femmes âgées respectivement de 51, 44 et 62 ans. Le diagnostic était suspecté devant un tableau clinique insidieux, chronique et confirmé par l’analyse histologique des prélèvements. Le traitement médical par antituberculeux était efficace. Deux malades gardaient des séquelles fonctionnelles. Les particularités cliniques et thérapeutiques sont discutées dans le contexte d’un pays d’endémie et par rapport aux données de la littérature. © 2011 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

a b s t r a c t Keywords: Tuberculosis dactylis Anti-tuberculosis drugs

Tuberculosis dactylis is exceptional. We report tuberculous dactylitis in three women who were 51, 44, and 62-year-old, respectively. The diagnosis was suspected on chronic and insidious clinical presentation, and confirmed by histology. Disease course was favourable with antibuberculosis regimen but two patients had permanent hand disability. Clinical and therapeutic issues are discussed in the context of an endemic country. © 2011 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

1. Introduction La tuberculose ostéoarticulaire représente 1 à 3 % des tuberculoses extrapulmonaires [1]. La tuberculose de la main constitue la localisation ostéoarticulaire la plus rare après celle de l’épaule [2]. Son diagnostic est souvent difficile du fait de sa rareté et des pathologies qui peuvent la simuler.

2. Observations 2.1. Observation 1 Une femme âgée de 51 ans, diabétique traitée par insuline, était admise pour une tuméfaction du médius gauche évoluant depuis quatre mois et rattachée à un traumatisme. L’examen clinique objectivait une limitation des mouvements du doigt due à une tuméfaction fusiforme douloureuse fistulisée à la peau laissant

∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (C. Loussaief).

sourdre du pus non fétide. Une adénopathie axillaire homolatérale était notée. La radiographie de la main montrait une ostéite de la deuxième phalange et une fracture diaphysaire de la troisième phalange du médius gauche sans réaction périostée (Fig. 1). L’hémogramme objectivait une lymphopénie à 900/mm3 et la vitesse de sédimentation (VS) était à 95 mm à la première heure. L’intradermoréaction à la tuberculine était négative. Un prélèvement bactériologique local isolait Staphylococcus aureus méthicilline résistant. Après sept jours d’antibiothérapie associant vancomycine 2 g par jour et gentamicine 160 mg par jour, l’évolution était défavorable conduisant à une biopsie osseuse. L’examen histologique montrait un granulome épithéloïde et gigantocellulaire associé à de la nécrose caséeuse. La radiographie thoracique et l’échographie abdominale à la recherche d’une autre localisation tuberculeuse étaient normales. La sérologie VIH était négative. La malade était traitée par une quadrithérapie antituberculeuse (rifampicine, isoniazide, pyrazinamide et éthambutol) pendant deux mois, relayée par une bithérapie (rifampicine, isoniazide) pendant dix mois. Une immobilisation du médius par une orthèse était associée pendant un mois. L’évolution clinicobiologique était favorable après 2,5 mois de traitement. Une stabilisation radiogra-

0248-8663/$ – see front matter © 2011 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.revmed.2011.03.335

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Fig. 1. Radiographie de la main gauche : ostéite de la deuxième phalange et fracture diaphysaire de la troisième phalange du médius gauche, sans réaction périostée.

phique était notée après 3,5 mois. Cependant, après un recul de trois ans, la patiente gardait des séquelles fonctionnelles dues à la déformation du doigt. 2.2. Observation 2 Une femme âgée de 44 ans consultait pour une tuméfaction douloureuse de l’annulaire droit évoluant depuis six mois. À l’interrogatoire, la patiente rapportait la notion d’un traumatisme traité par des antalgiques et des anti-inflammatoires non stéroïdiens. L’examen clinique objectivait une fièvre à 38,1 ◦ C, des signes inflammatoires locaux et une fistulisation à la peau. Le reste de l’examen physique, en particulier des deux mains, était normal. L’analyse bactériologique était négative, notamment la culture sur milieu de Löwenstein. La radiographie standard de la main droite révélait des lésions lytiques, soufflantes, rompant la corticale par endroits au niveau des première et deuxième phalanges de l’annulaire droit (Fig. 2). La malade était traitée par céfapirine 6 g par jour et gentamicine 160 mg par jour. Après 15 jours d’antibiothérapie, devant l’évolution défavorable, une biopsie osseuse était pratiquée. L’examen anatomopathologique de deux fragments de biopsie osseuse objectivait un granulome épithéloïde et gigantocellulaire avec nécrose caséeuse. La recherche d’une autre localisation tuberculeuse ou d’un facteur d’immunodépression était négative. Une quadrithérapie antituberculeuse (rifampicine, isoniazide, pyrazinamide et éthambutol) était instaurée pendant deux mois, relayée par une bithérapie (rifampicine, isoniazide). À quatre mois de traitement, la malade présentait une obstruction nasale et une douleur du gros orteil gauche avec ostéolyse radiographique. Une rechute était suspectée indiquant une biopsie nasosinusienne et osseuse. L’histologie montrait la persistance d’un granulome épithéloïde gigantocellulaire avec nécrose caséeuse. Une dissémination de la maladie en rapport avec une résistance bactérienne était évoquée. La malade était traitée par éthionamide, ofloxacine, éthambutol et amikacine. La durée totale du traitement médical était de 18 mois.

Fig. 2. Radiographie de la main droite : lésions lytiques, soufflantes, rompant par endroits la corticale au niveau des phalanges proximale et moyenne de l’annulaire droit.

Avec un recul de quatre ans, l’évolution était favorable avec toutefois des séquelles fonctionnelles. 2.3. Observation 3 Une femme âgée de 61 ans était admise pour une tuméfaction inflammatoire du pouce droit non améliorée par plusieurs cures ambulatoires d’antibiothérapie. L’examen clinique retrouvait un pouce droit, tuméfié, douloureux et impotent. Le reste de l’examen somatique était sans particularité. Le bilan biologique mettait en évidence une leucopénie à 3700/mm3 et un syndrome inflammatoire avec une VS à 110 mm à la première heure. La radiographie du pouce sur des incidences de face et de profil, montrait un aspect flou et moucheté de la première phalange avec un élargissement de l’espace interphalangien et des images géodiques en miroir. L’examen histologique du tissu osseux objectivait un granulome épithélio-gigantocellulaire centré par une nécrose caséeuse. L’interrogatoire retrouvait des antécédents de tuberculose pulmonaire chez le mari. L’intradermoréaction à la tuberculine était phlycténulaire. La recherche de bacilles tuberculeux dans les expectorations était négative. Un bilan, notamment scintigraphique, à la recherche d’autres localisations tuberculeuses était négatif. La patiente était traitée par une quadrithérapie antituberculeuse (rifampicine, isoniazide, pyrazinamide et éthambutol) pendant deux mois relayée par une bithérapie (rifampicine, isoniazide) pendant dix mois. L’évolution était marquée par la régression des signes cliniques au bout de deux mois. La VS se normalisait au quatrième mois et l’imagerie radiologique montrait un aspect stationnaire des lésions dès le second mois. Avec un recul de quatre

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ans, la patiente, qui avait pu reprendre son activité antérieure, ne présentait aucune séquelle. 3. Discussion La tuberculose ostéoarticulaire occupe la quatrième position après les tuberculoses pulmonaire, urogénitale et ganglionnaire [1]. La tuberculose de la main est la localisation ostéoarticulaire la plus rare après celle de l’épaule [2]. Elle représenterait 2 à 4 % de toutes les localisations de l’appareil locomoteur [3]. Cette rareté serait liée à la petite taille des os de la main. L’inoculation osseuse se fait essentiellement par voie hématogène à partir d’un foyer infectieux actif ou quiescent, pulmonaire ou gastro-intestinal [3–5]. Elle survient en général chez l’enfant avant dix ans et chez l’adulte après 20 ans. La prédominance sexuelle est variable selon les séries [7]. La localisation sur l’index et le médius est la plus fréquente [7]. L’atteinte du carpe et des phalanges est exceptionnelle. Comme c’est le cas de nos malades, le diagnostic est souvent tardif avec un délai moyen de 17,5 mois, parfois masqué par un traumatisme [8]. Cliniquement, il s’agit le plus souvent d’une tuméfaction douloureuse d’un doigt, d’évolution traînante pendant des mois ou années. La fistulisation spontanée à la peau [6], comme observée chez deux de nos trois patientes, est plus évocatrice de tuberculose. L’aspect radiographique varie d’une simple déminéralisation de la corticale à un aspect géodique ou lacunaire unique ou multiple, avec ou sans séquestre osseux. L’aspect flou, gommé, parfois grignoté de la phalange, ainsi que la soufflure ou l’interruption de la corticale sont des signes évocateurs. Selon plusieurs auteurs [6–9], l’absence de réaction périostée caractérise les ostéites tuberculeuses. La scintigraphie osseuse, pratiquée chez une de nos patientes, constitue une aide précieuse au diagnostic précoce et à la recherche d’autres localisations [7]. Le scanner semble moins sensible que l’imagerie par résonance magnétique pour détecter des anomalies débutantes de la moelle osseuse et apprécier l’extension [10–12]. Néanmoins, le scanner permet une analyse fine des modifications osseuses, de leur étendue et de l’atteinte des parties molles en recherchant des calcifications très évocatrices [6]. L’ostéite tuberculeuse des doigts doit toujours être évoquée devant une lésion lytique digitale surtout en pays d’endémie ou en cas d’immunodépression [13–15]. L’intradermoréaction à la tuberculine est habituellement positive, mais sa négativité, comme chez deux de nos patientes, n’élimine pas le diagnostic. La recherche bactériologique est souvent négative car l’ostéite est paucibacillaire [4]. La biopsie osseuse s’impose alors pour confirmer le diagnostic en révélant un aspect typique de granulome épithéloïde et gigantocellulaire avec de la nécrose caséeuse, comme dans nos observations [7]. En fonction du contexte, il faut parfois éliminer d’autres pathologies granulomateuses comme les mycoses, la brucellose, la sarcoïdose et la lèpre tuberculoïde [10]. Le traitement est avant tout médical et peut constituer, en cas d’absence de certitude bactériologique et histologique, un véritable traitement d’épreuve, permettant de faire le diagnostic rétrospectif en cas de guérison [11,15]. Il repose sur les antituberculeux spécifiques avec trois ou quatre antibiotiques pendant deux mois relayés

par une bithérapie pendant une durée totale de 12 à 18 mois [6]. Il permet d’obtenir la guérison sans séquelles dans la majorité des cas sans avoir recours à la chirurgie [10–12]. Un traitement adjuvant est le plus souvent associé. Il comporte le repos et l’immobilisation, permettent de lutter contre la douleur et le surmenage articulaire. La rééducation fonctionnelle n’est envisagée qu’après une stabilisation clinique, radiologique et biologique. La place de la chirurgie est souvent limitée à la biopsie dans un but diagnostique. Elle trouve parfois sa place pour l’évacuation d’un abcès froid, ou pour le traitement des séquelles orthopédiques. 4. Conclusion La tuberculose ostéoarticulaire de la main est très rare. Elle doit être évoquée, notamment en pays d’endémie devant une monoarthrite chronique. L’examen anatomopathologique est indispensable pour le diagnostic de certitude afin d’éviter tout geste chirurgical agressif intempestif car le traitement est avant tout médical. L’évolution est favorable au détriment parfois, de séquelles fonctionnelles. 5. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] De Vuyst D, Vanheonacleer F, Gielen J, Bernaerts A, De Schepper AM. Imaging features of musculoskeletal tuberculosis. Eur Radiol 2003;13:1809–19. [2] Urovitz EP. Tuberculous dactylitis: a rare entity. Can J Surg 1982;25:689–90. [3] Ben Brahim E, Abdelmoula S, Ben Salah B, Kilani F, Chatti Dey S. Une tuberculose digitale révélée par un traumatisme. Rev Chir Orthop 2003;89:71–4. [4] Ben Keddache Y, Sidhoum SE, Derriddj A. Les différents aspects des tuberculoses de la main : à propos d’une série de 45 cas. Ann Chir Main 1988;7:166–75. [5] Morvis BS, Varma R, Garg A, Awasthi M, Maheshwari M. Multifocal musculoskeletal tuberculosis in children: appearances on computed tomography. Skeletal Radiol 2002;31:1–8. [6] Pertuiset E. Tuberculose osseuse et articulaire des membres, EMC-Appareil locomoteur 2004 14-185-A-10. [7] Bellarbi S, Belkorchia E, Chihoub A, El Mannonar M. Tuberculose osseuse du pouce révélée par un traumatisme. Chir Main 2004;23:257–9. [8] Flowers MW. Cystic tuberculosis of a metacarpal. An unusual presentation of primary lung disease. Hand 1977;9:291–4. [9] Shaof HS, Donald PR. Radiological case of the month. Multiple-bone tuberculosis and dactylitis. Arch Pediatr Adolesc Med 2000;154:1059–60. [10] Vanmarsenille JM, De Berg B, Houssiau FA, De Selys J. Unusually prolonged course of tuberculous dactylitis with osteitis. Joint Bone Spine 2003;70:535–7. [11] Sunderamaorthy D, Gupta V, Bleetman A. TB or not TB: an unusual sore finger. Emerg Med J 2001;18:490–1. [12] Le Breton C. Ostéites infectieuses à germes banals, ostéites tuberculeuses ; ostéites à mycobactéries atypiques. In: Laredo JD, Morwan G, Wybier M, editors. Imagerie ostéoarticulaire. Paris: Édition Flammarion; 1998. p. 235–46. [13] Agarwal S, Caplwiski D, Botone EJ. Disseminated tuberculosis presenting with finger swelling in a patient with tuberculous osteomyelitis: a case report. Ann Clin Microbiol 2005;4:18. [14] Moujtahid M, Essadki B, Lamine A, Fikry T, Bennouna D, Dkhissi M, et al. Tuberculous osteitis in limbs. Twenty five case-reports. Rev Rhum Engl Ed 1996;63:344–8. [15] Hassen-Zrour S, Younes M, Haj Salah-Othman M, Korbäa W, Touzi M, Béjia I, et al. Multifocal tuberculous dactylitis: a case report. Chir Main 2008;27: 122–5.

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